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Geneva School Reader in Linguistics: Geneva School Reader in Linguistics

Geneva School Reader in Linguistics

Geneva School Reader in Linguistics

Charles Bally

CHARLES BALLY

L’ÉTUDE SYSTÉMATIQUE DES MOYENS D’EXPRESSION*

Mesdames et Messieurs:

Pour situer le sujet dont j’ai à vous entretenir, je dois formuler quelques principes généraux dont les uns vous sont certainement connus, d’autres au contraire vous paraîtront peut- être paradoxaux.

Ainsi je ne vous apprends rien en vous disant que la linguistique, après avoir longtemps concentré son attention sur la face externe des faits de langage, semble s’attacher de plus en plus aux problèmes psychologiques et sociaux de son étude: quels sont les rapports qui unissent la parole à la pensée? Quelles relations existe-t-il entre le langage et les formes typiques de la vie individuelle et de la vie en société? Telles sont les questions qui se posent à elle toujours plus pressantes, et elle ne cherche plus à les éluder; ainsi s’explique en particulier l’essor vigoureux qu’a pris dans ces dernières années la psychologie du langage, et pour dessiner la courbe de cette évolution, il suffirait de noter les interprétations successives que les linguistes ont données de phénomènes fondamentaux, tels que, par exemple, les lois phonétiques et les actions analogiques. Ce contact toujours plus grand de la linguistique avec la vie, vous en aviez tous l’intuition, Messieurs, en entendant lundi la belle conférence de M. Gauchat.1

Comme on devait s’y attendre, cette évolution a eu son contre-coup dans l’enseignement des langues. A l’école, on s’élève toujours plus passionnément contre le formalisme, le travail machinal, l’assimilation mécanique des faits de langage. De plus en plus, on cherche à modeler les méthodes sur la constitution même de l’esprit. Une langue n’est plus une machine plus ou moins compliquée dont on veut connaître les rouages et qu’on peut mettre en mouvement par des déclanchements automatiques; on commence à voir qu’elle est un ensemble, ou mieux, un système de moyens d’expression.

* * *

Mais lorsqu’on embrasse d’un coup d’œil le champ des études scolaires et qu’on le parcourt de classe en classe, d’école en école, on s’aperçoit que les réformes se répartissent assez inégalement sur les différentes sections des programme, et que le conservatisme maintient d’autant mieux ses droits qu’on s’éloigne des débuts de l’étude.

I. C’est l’enseignement élémentaire qui a été le plus favorisé; au lieu de faire violence à l’esprit de l’enfant, on cherche à le comprendre et à s’y conformer; l’école fait une place toujours plus grande à la vie et toujours plus petite à l’ennui. Je dirai peut-être dans une autre occasion ce qui me paraît manquer encore à cette orientation nouvelle; l’intuition, que l’on met si largement (et si justement) à contribution, n’est pas tout dans la psychologie de l’enfant. On a raison d’utiliser les impressions fournies par les sens; mais on ne fait pas assez appel à d’autres facultés maîtresses: la sensibilité, la faculté d’émotion, si vive dans le jeune âge, et plus encore, cet instinct qu’ont les enfants de tout rapporter à eux-mêmes, d’expliquer toutes choses par des jugements, ou plutôt des sentiments de valeur; pour s’en rendre compte, il suffit d’observer les définitions spontanées qu’ils donnent des objets et des êtres qui les entourent (p. ex.: une maman, c’est «une dame qui prend soin des enfants, » «qui est très gentille,» «qui travaille beaucoup» etc.). Il n’y a pas là que des enfantillages; ces valeurs attribuées aux choses ont une très grande importance en matière d’éducation et d’instruction; c’est le chaînon qui relie la pensée de l’enfant à la pensée abstraite; on devrait toujours songer à cette tendance remarquable avant d’affirmer que l’enfant est incapable d’abstraire; il abstrait à sa façon, voilà tout. Il y a là en tout cas une indication précieuse pour l’enseignement élémentaire des langues, qui pourrait recevoir de ce fait un élargissement inespéré. Mais passons.

II. L’enseignement secondaire, du moins dans les classes supérieures, a été moins bien partagé. On en est à la période des tâtonnements. D’abord la mentalité de l’adolescent est moins bien connue que celle de l’enfant; cependant on se rend compte qu’à l’âge dont il s’agit, l’esprit est beaucoup plus accessible aux idées abstraites et que l’étude du langage doit à la fois satisfaire ce besoin et en bénéficier; mais là, à mon sens du moins, l’enseignement intuitif ne suffit plus. Quoi qu’on ait dit sur ce sujet, il me semble que pour dominer une idée pure, il faut autre chose que des impressions spontanées, souvent inconscientes, et qu’en tout cas, par ces procédés, on arrive lentement à un but que l’on pourrait atteindre plus directement. Ce n’est pas tout: la méthode directe, en se fondant avant tout sur la langue parlée, favorise un mode d’expression aux dépens des autres; or je tâcherai de montrer tout à l’heure que l’étude raisonnée des divers modes d’expression est indispensable pour qui veut connaître la véritable physionomie d’une langue. Il résuite de cet état de choses que, ou bien on continue à se plier à la tradition, ou bien on fait usage de méthodes qui ne conviennent qu’à un enseignement plus élémentaire.

III. Je ne dirai qu’un mot de l’enseignement universitaire. Il est resté conservateur en un point capital: il ne conçoit pas encore de science linguistique qui ne soit pas historique. La grande innovation consistera à reconnaître qu’il y a, en dehors de l’histoire, une science théorique de l’expression qui étudie (ou étudiera) les formes linguistiques des faits de sensibilité, et en second lieu, qu’un état de langage peut être envisagé en lui-même et pour lui-même, abstraction faite du passé. Cette double étude viendra se placer à côté de la linguistique historique, non pour la supplanter, mais pour l’éclairer et lui fournir de nouveaux éléments d’information.

* * *

Les quelques observations que je me permets de vous soumettre concernent l’étude de l’expression abstraite et visent surtout l’enseignement secondaire. Les expériences que j’ai pu faire m’ont permis d’envisager la question sous deux faces différentes, mais non opposées: l’enseignement de l’idiome maternel, et l’enseignement d’une langue étrangère. Les constatations faites de part et d’autre ne m’ont pas semblé se contredire; fort de cette concordance, je m’attacherai ici à dégager quelques principes généraux.

Pour la clarté de l’exposition, j’emprunterai tous mes exemples au vocabulaire proprement dit, aux mots et aux locutions; mais il doit être entendu que les remarques qui y seront rattachées s’appliquent à tous les faits d’expression quels qu’ils soient; or, dans le langage, tout peut être envisagé comme fait d’expression, depuis la prononciation jusqu’à l’emploi d’un temps, d’un mode, d’une construction de phrase, et jusqu’aux incorrections et aux barbarismes.

* * *

Comment apprend-on les mots abstraits? Comment doit-on les apprendre? J’aperçois ici deux méthodes extrêmes, entre lesquelles nous chercherons un moyen terme: d’une part, la traduction des mots par d’autres mots de l’idiome maternel, la correspondance mécanique de langue à langue; d’autre part, l’assimilation intuitive. En d’autres mots: ou bien on apprend une fois pour toutes que le courage = der Mut, la vaillance = die Tapferkeit, l’héroïsme = der Heldenmut; ou bien on apprend peu à peu ce que c’est que le courage, la vaillance et l’héroïsme, par des expériences accumulées au cours des lectures ou des conversations.

On voit sans peine le caractère propre de chacun de ces procédés. Le premier est «formel»; il peut toujours se dispenser d’atteindre l’idée exprimée par le mot; le second, beau- coup plus naturel, je le reconnais, a l’inconvénient de la lenteur et de l’a peu près. N’y a-t-il pas un procédé intermédiaire?

Les exercices de composition et de traduction nous montrent bien la nécessité de ce moyen terme; ce sont deux pierres de touche de la connaissance du vocabulaire. En outre la composition, en particulier, pose un problème très actuel; elle figure à l’ordre du jour de toutes les discussions pédagogiques. On se demande de quelles réformes elle est susceptible, comment elle pourrait porter le plus de fruits pour la culture généraie; on devrait, semble-t-il, se demander d’abord quelles sont les conditions qui la rendent possible. Chercher pourquoi les trois quarts de nos élèves composent mal, c’est déplacer la question; qu’on se demande d’abord pourquoi ils ont tant de peine à composer. Cette difficulté tient à plusieurs causes; il y en a une qui me frappe particulièrement. Donnez à un élève de force moyenne un sujet à développer; vous aurez beau le lui expliquer, en tracer le plan, indiquer l’enchaînement des parties: si vous ne l’avez pas exercé, par un entraînement préalable et méthodique, au maniement de l’expression, vous exigez de lui un véritable tour de force; c’est un peu comme si un professeur de piano faisait exécuter à un débutant une sonate de Beethoven avant de lui avoir fait faire des gammes ni appris ce que c’est qu’un accord.

En effet, dans la traduction et la composition, toutes sortes de problèmes particuliers se compliquent encore du fait qu’ils sont présentés simultanément. Alors que l’expression de chaque idée, prise isolément, est souvent une grosse difficulté à surmonter, la composition exige que tout un ensemble de problêmes d’expression, présentés comme en faisceau, soient résolus coup sur coup ou en même temps: sans compter, bien entendu, les difficultés inhérentes à l’invention et à la disposition. C’est là, encore une fois, un tour de force, et l’on est étonné de constater qu’au fond ce travail synthétique n’est préparé par aucun exercice sérieux; car, ne nous y trompons pas: nos exercices scolaires sont rarement des exercices d’expression.

Ainsi la composition, la traduction de textes suivis, les développements oraux, tous les travaux enfin qui contribuent le plus à la culture générale de l’élève, reposent sur des combinaisons synthétiques de faits d’expression; ils supposent une étude préalable de ces faits, pris isolément; ils exigent une répartition plus judicieuse de l’effort, une sorte de division du travail, un entraînement plus méthodique. Mais de quelle nature sera cette étude préparatoire? Il me semble que la marche à suivre est très simple: il s’agit de se rendre un compte aussi exact que possible des idées fondamentales qu’exprime le vocabulaire abstrait et de grouper autour de ces idées fondamentales les moyens d’expression que le langage met à notre disposition pour les rendre. Avant tout, il ne faut pas attacher au mot «idée» un sens bien philosophique: il s’agit dans la plupart des cas de ces concepts simples qui sont familiers aux esprits les moins cultivés et qui se dégagent naturellement des formes typiques de la vie, de la société et surtout des lois naturelles, en tant que nous avons à les subir. Vie, mort, mouvement, re- pos, plaisir, douleur, richesse, pauvreté, justice, injustice, etc.: voilà des idées que nous saisissons sans effort; nous pouvons ignorer les réalités qu’elles cachent, mais nous les adoptons sans les discuter, parce qu’elles font partie de notre vie et forment la trame même de notre pensee; il est vrai que nous les saisissons par l’instinct plutôt que par la raison, dans les valeurs que nous leur attribuons bien plus que dans leur essence. Or, dans un état de langage donné, le sujet parlant a le sentiment inconscient que toute idée fondamentale peut se rendre par les expressions les plus diverses, selon qu’elle est conçue par l’esprit sous tel ou tel aspect, logique ou affectif; chaque idée a donc à son service un vocabulaire plus ou moins riche; tous les éléments de ce vocabulaire sont entre eux dans des rapports plus ou moins fixes, mais déterminés par des associations d’idées devenues traditionnelles; ce vocabulaire forme donc un tout relativement cohérent, une sorte de «molécule» dont les «atomes» seraient disposés d’une manière déterminée. Une «molécule expressive» est donc l’ensemble ou plutôt le système des faits d’expression groupés autour d’une idée fondamentale; étudier méthodiquement ces «molécules expressives», voilà en quoi consiste le travail préliminaire dont il était question plus haut.

Qu’on prenne n’importe quelle idée simple et générale: mouvement, repos, lumière, obscurité, chaleur, froid; intelligence, sottise, action, inaction, beauté, laideur, etc., etc.: dans toute langue du type «européen» on trouvera que chacune de ces idées comporte toute une gamme d’expressions; parmi ces expressions, les unes rendent l’idée dans sa simplicité nue; d’au- tres y ajoutent des déterminations positives et logiques, grâce auxquelles les faits de langage se groupent autour de l’idée fondamentale comme en cercles concentriques; à ces aspects logiques viennent se superposer, ou plutôt se mêler, des nuances affectives; ces nuances ne sont pas quelconques, elles correspondent aux tendances profondes de notre esprit, et elles ont pour effet de créer des impressions différentes, de faire appa- raître l’idée sous des couleurs diverses.

Quand on se rend compte de la complexité de ces moyens d’expression, des rapports qui les unissent ou les opposent, des réactions qu’ils exercent les uns sur les autres, on n’a pas de peine à comprendre d’où vient l’incapacité d’expression chez la plupart de nos élèves. D’abord ils ont rarement une notion claire de ces concepts fondamentaux, bien qu’ils soient familiers à leur esprit; il faudrait les leur faire saisir dans leurs contours exacts, dans leurs affinités et leurs contrastes, et cela en se fondant sur le simple bon sens, sans leur faire un cours de philosophie. Ensuite les manuels qu’on met entre leurs mains ne les familiarisent guère avec le vocabulaire des idées, parce que les mots y sont groupés d’après des principes tout différents (p. ex. selon la parenté étymologique ou d’après l’ordre de matières). En dernier lieu, ils ignorent tout de ces aspects logiques ou affectifs dont je parlais tout à l’heure, et qui mettraient un ordre lumineux dans le chaos des faits d’expression; sans compter qu’aucun exercice sérieux ne les forme à ce genre de travail.

Voilà comment se pose, à l’école, le problème de l’expression, et il se pose avec toujours plus d’insistance. Tant qu’il ne sera pas résolu, un problème plus général, celui du maniement du langage, restera une énigme pour toutes les intelli- genees moyennes; je mets à part, bien entendu, les esprits particulièrement doués, notamment les tempéraments littéraires.

* * *

Mais ici surgissent des difficultés de méthodes. D’abord on se heurte à une tradition desséchante, vieille comme la grammaire elle-même; c’est celle qui prétend expliquer tout le langage par la logique; la grammaire que nous avons tous apprise à l’école nous faisait partout découvrir des distinctions intellectuelles, et nous avons appliqué cette fâcheuse habitude à l’interprétation des faits d’expression. Que ces différences intellectuelles existent, personne ne songe à le nier; mais qu’elles existent seules, qu’elles forment seulement la majorité des faits analysables, voilà ce qu’on ne peut plus admettre.

Au contraire la plupart des distinctions que notre instinct nous fait trouver spontanément dans notre idiome maternel reposent sur des impressions inconscientes dont les faits de langage sont les véhicules et les symboles, et, chose capitale, ces impressions se ramènent à un certain nombre de types fondamentaux. Citons-en quelques-uns, pour fixer les choses. Ainsi nous pouvons être affectés par l’intensité avec laquelle l’idée se présente à notre esprit; ou bien nous y associons des sentiments de plaisir ou de déplaisir; nous la devinons bonne ou mauvaise, belle ou laide, etc. Ou bien (dans un tout autre ordre d’idées): à l’énoncé d’une expression nous voyons surgir en nous la représentation d’un certain «milieu»; p. ex. un mot évoque pour nous une classe sociale (peuple, paysans, etc.), une certaine forme d’activité (un métier, une occupation administrative, etc.), telle ou telle forme typique de la pensée (comme la pensée scientifique), une attitude particulière de l’esprit (vision artistique ou littéraire des choses, etc.). Ce sont ces distinctions fondamentales qui se cachent sous les termes courants d’expression usuelle (ou inusitée), forte, exagérée (ou faible, atténuée), péjorative (ou laudative); c’est à l’évocation des «milieux» que se rapportent les termes de langue parlée (ou langue écrite), mot familier, populaire, argotique (ou distingué, relevé, choisi), terme technique, littéraire, poétique, etc.

Vous le voyez, Messieurs, ces aspects sont dès longtemps connus, et pourtant je ne crois pas qu’on les voie sous leur angle véritable; on ne les conçoit guère comme les éléments d’un vaste système, le système expressif. Se rend-on compte aussi que tous ces aspects se ramènent en dernière analyse à des jugements, ou plutôt à des sentiments de valeur, pour la plupart inconscients? A tel point que la science de l’expression pourrait être définie, au moins provisoirement, la face linguistique de la psychologie de la valeur, et la psychologie de la valeur, qu’est-ce en définitive, sinon la psychologie tout entière dans ses relations avec la vie et l’action? Enfin il faudrait comprendre que ces aspects, reflétant les tendances primordiales et constantes de l’esprit, ne peuvent être de pures subtilités, mais constituent, pour les faits d’expression, un principe natu- rel d’explication et de classement, partout où il peut être appliqué.

Permettez-moi, Messieurs, d’appuyer d’un exemple coner et ces vues théoriques:

Que l’on parcoure dans un dictionnaire idéologique le vocabulaire de la folie, et que l’on dise si ce sont toujours des distinctions logiques, à l’exclusion des impressions affectives, qui ressortent de la comparaison des mots et des tours qu’on y lira. Pour le psychiatre, il y a certainement une différence de fait entre la folie, l’aliénation mentale, la démence, la vésanie; mais pour les neuf dixièmes des sujets parlants, cette différence de fait se transforme en une différence d’impression: démence marque pour eux une intensité plus grande du désordre mental, et cette intensité est perçue affectivement; aliénation se distingue de folie simplement parce que c’est un terme technique et que folie est un terme usuel; quant àvésanie, c’est un mot tellement rare qu’il fait l’impression d’être en marge du langage (et c’est par cela qu’il nous frappe!). Mêmes constatations à propos de délire et frénésie, et surtout à propos des expressions verbales: avoir l’esprit égaré, avoir perdu l’esprit, avoir perdu la tête, extravaguer, radoter, battre la campagne, avoir la tête fêlée; être dérangé, détraqué, toqué, timbré, etc., etc. Dans tous ces exemples les nuances affectives sont au premier plan, les distinctions logiques apparaissent beaucoup moins.

* * *

Eh bien, ces différences capitales, on les reconnaît, on les devine, mais on ne les étudie pas méthodiquement. Et d’abord on ne fait jamais très sérieusement le gros travail que cette étude suppose: la détermination des idées fondamentales et simples qui sont à la base des expressions et qui seules permettent de grouper et de comparer ces expressions. Découvrir l’idée simple dont une expression est le symbole, c’est là une recherche bien plus difficile qu’on ne le croit, et généralement, au lieu de la faire, on la suppose déjà faite. Une expérience à peu près journalière me le prouve. J’ai demandé à des jeunes gens qui parlent le français depuis leur naissance, de dire aussi simplement que possible ce que c’est que être bon enfant; beaucoup ont répondu que c’est «être tranquille», «paisible», «indulgent», etc., mais aucun n’a su dire que c’est simplement une expression de la bonté, vue sous un aspect spécial. Si vous faites des expériences analogues autour de vous, vous comprendrez combien peu nos élèves sont initiés à cette recherche et combien elle est nécessaire; tant qu’elle n’est pas faite, il est inutile de vouloir étudier les valeurs expressives des faits de langage, puisque ces valeurs ne se révèlent à nous que par la comparaison des différentes expressions d’une même idée.

Ainsi la détermination des aspects expressifs suppose deux opérations successives:

1. Recherche de l’idée fondamentale et simple qui se trouve dans un mot ou n’importe quel fait de langage, et groupement des faits de langage servant à exprimer la même idée.

2. Explication des nuances expressives, ces nuances étant ramenées à des tendances fondamentales que fera connaître la science de l’expression.

Inutile d’ajouter que la langue maternelle réclame cette étude aussi impérieusement, si ce n’est plus que, l’étude d’une langue étrangère.

Mais cette étude ne peut être féconde que si elle s’appuie sur une méthode à la fois rigoureuse et naturelle, strictement fondée sur l’observation du langage de tout le monde, dégagée par conséquent de toute préoccupation rhétorique ou littéraire; il faut en outre que les exercices qui en sont l’application présentent les mêmes caractères, et soient gradués de manière à former vraiment un acheminement à ces exercices synthétiques dont il était question plus haut (traduction, composition, etc.); il faut enfin que cette méthode soit servie par des manuels appropriés.

* * *

Mais, entre tous les manuels que nécessitent ces recherche s nouvelles, il en est un dont l’absence se fait tout particulièrement sentir: c’est un dictionnaire ou vocabulaire systématique qui présenterait les faits d’expression, non pas alphabétiquement, pas davantage d’après l’ordre de matières, mais d’après les idées simples que représentent ces expressions.

Mais, me direz-vous, ces manuels existent bel et bien: ce sont les dictionnaires idéologiques. Sans doute, et je ne l’ignore pas, puisque j’y ai fait allusion tout à l’heure; mais (sans excepter même l’excellent Roget,2 ni Sanders,3 malheureusement épuisé) aucun ne répond au but visé ici, ni aux exigences de l’enseignement.

Il est vrai de dire que sous ce rapport le français, auquel je pense avant tout, est particulièrement mal partagé. Robertson4 n’est qu’une adaptation maladroite de Roget; Boissière,5qui offre une quantité incalculable de matériaux, les rend presque inutilisables par sa méthode de classement. Permettez- moi de signaler les principaux défauts de tous ces répertoires:

1. Ils font une confusion assez fréquente entre Vordre de matières et l’ordre idéologique. Ainsi il n’y a aucune idée commune entre des expressions comme: déclarer la guerre, ouvrir les hostilités, livrer bataille, battre en retraite, conclure la paix. Elles ne peuvent être réunies que dans une rubrique descriptive où l’on groupe tout ce qui se rapporte à la guerre: c’est là proprement l’ordre de matières.

2. Les concepts fondamentaux sont souvent brouillés au nom de vagues analogies: Robertson, citant les mots qui ren- dent l’idée d’obéissance, fait figurer dans la liste sujétion et assujettissement, et donne succomber à côtéd’obéir. Rouaix (Les idées suggérées par les mots) fait de la discorde une forme du désordre. Voilà des choses très différentes rapprochées sans raison suffisante, pour le plus grand dommage de la clarté.

3. Les aspects logiques des idées, si précieux pour le classement, ne sont pas mieux distingués. Rien n’est plus facile, semble-t-il, que de séparer les verbes intransitifs des transitifs; pourtant, si on lit cette série de Robertson (140): changer, altérer, modifier, déroger, diversifier, on voit que déroger est intransitif, et l’on se demande pourquoi il est mêlé aux autres, qui ne le sont pas; c’est comme si l’on mettait côte à côte les verbes allemands: ändern, verändern, modifiziren, abweichen (c’est d’ailleurs ce que fait Schlessing dans son dictionnaire6).

4. Les valeurs affectives sont confondues; il fallait s’y attendre, mais c’est le reproche le plus grave qu’on puisse formuler. Robertson (830) donne pêle-mêle: mettre a la torture, plonger un poignard dans le cœur, mettre dans de beaux draps, venir la comme un chien au milieu d’un jeu de quilles (sic !); à côté de prendre intérêt il cite... braver! Et, au n° 700, il aligne, comme des noix sur un bâton, les mots: génie, adepte, maître, docteur, économiste, prudhomme, vieux renard, sorcier, prodige. Cela se passe de commentaire.7

Il faut donc reconnaître que ceux qui se méfient de pareils instruments de travail n’ont pas absolument tort. Pour ma part, je me fais une tout autre idée de ce genre d’ouvrages. Pour être utiles, ils ne devraient pas seulement éviter les grossières erreurs dont j’ai donné des échantillons, ils devraient suivre pas à pas, dans les moindres détails, les lois de l’esprit et les associations d’idées devenues traditionnelles dans un groupe linguistique. En outre, pour qu’un vocabulaire de cette espèce soit vraiment utile et nouveau, il faut qu’il s’adapte aux exigences de l’enseignement aussi bien qu’aux nécessités de la recherche individuelle. La règle à observer le plus scrupuleusement, c’est de trier et de disposer les matériaux avec méthode; partant de l’usage le plus général et de la langue actuelle, il faudrait rayonner habilement et discrètement tout autour de ce point central, sans jamais le perdre de vue, plonger successivement dans les différents modes d’expression; et le plan devrait être si méthodique qu’à chaque consultation d’une partie quelconque de l’ouvrage, on pût avoir comme une vue en raccourci du système expressif tout entier.

Remarquez que le dictionnaire idéologique n’est point destiné à supplanter le dictionnaire alphabétique, mais au contraire à le compléter et à montrer comment il faut s’en servir. En outre, pour le consulter avec fruit, il faut une certaine habitude; et si les élèves de nos gymnases étaient mieux entraînés à leur maniement, les dictionnaires existants, malgré toutes leurs imperfections, rendraient de grands services.

Je n’hésite pas à dire qu’un livre tel que celui dont je viens d’esquisser le plan serait un levier pédagogique de premier ordre. Alors seulement l’étude des moyens d’expression deviendrait une étude fructueuse et intéressante, au lieu d’être, comme actuellement, livrée au hasard. Alors aussi les exercices dont je parlais p. 57 seraient réalisables. De quelle nature pourraient-ils être? Il est difficile de le dire en deux mots: ils devraient amener l’élève à unir les faits de langage aux idées simples qu’ils représentent, à opérer ces groupements, ces comparaisons, ces variations dont il a été question plus haut, à établir entre les diverses expressions les mêmes associations que le sujet parlant établit spontanément; il apprendrait comment une même idée s’exprime en passant par divers aspects, comment les idées s’appellent réciproquement ou s’opposent les unes aux autres. Enrichir progressivement, méthodiquement le vocabulaire de l’élève, l’assouplir, l’affranchir, tel est le but dernier que doivent poursuivre ces exercices; avec le secours d’un bon dictionnaire idéologique, ils arriveraient à préparer insensiblement les travaux synthétiques de traduction et de composition, et, en définitive, les rendraient plus faciles et meilleurs.

* * *

Voilà, Mesdames et Messieurs, une esquisse très sommaire du programme de réformes que je rêve pour nos établissements d’instruction secondaire; j’y vois, non pas le moyen (je ne crois pas aux méthodes exclusives), mais un des moyens de faire contribuer l’étude des langues à la culture générale; un moyen d’affranchir l’expression du formalisme qui menace toujours de l’étouffer; et, dans l’étude des langues étrangères, un moyen d’atténuer les effets d’un mal qui, sans doute, ne peut jamais être complètement supprimé: la comparaison avec la langue maternelle. L’avenir dira si ces procédés sont viables; j’ajouterai seulement que je les applique depuis plusieurs années dans mon enseignement au Séminaire de français moderne de l’Université de Genève, et que les résultats ont en général répondu à mon attente.

Je suis d’ailleurs convaincu que c’est l’enseignement universitaire qui doit ici ouvrir la voie et établir la méthode; de quelle façon? Il suffit, pour répondre, de répéter en terminant ce que j’ai avancé au début de cette communication: à côté de l’étude historique des faits de langage, la linguistique doit faire une place à la science de l’expression et àl’étude des états de langage; de la sorte, sans cesser de faire œuvre scientifique, l’université dotera nos gymnases de maîtres mieux préparés pour l’enseignement des langues vivantes; car celles-ci s’expliquent tout autant, si ce n’est mieux, par leur réalité actuelle que par leur passé lointain.

Appendice

Spécimen d’article d’un dictionnaire idéologique en préparation

(Les chiffres renvoient aux paragraphes du Tableau synoptique placé à la fin du Ile vol. de mon Traité de stylistique française.)

13. Cause

13׳. Effet

Substantifs. — Cause, pourquoi, raison, raison d’être; principe, fondement, base; condition, élément (de succès, etc.); cause première, secret, dessous (d’une affaire, etc.), le mot, le fin mot; ressort, mobile (192), motif (191 a); in- fluence, action, levain, ferment (13 bis). — Origine, point de départ, commencement (20, 200), genèse; germe, œuf, embryon, semence, racine; source. — Sujet, occasion; brandon, pomme (de discorde). ֊Rapport, relation de cause à effet (relation 3), causalité, principe de causalité; étiologie (techn.). - Attribution de la cause, imputation, accu- sation (277).

Substantifs. — Effet, suite, consé- quence, résultante (14), contrecoup. — Résultat, issue, aboutissement, événe- ment (succès, 213); dénoûment, péri- pétie, crise, catastrophe; fin (20); con- elusion (136). — Produit (80), ouvrage, œuvre, fruit, enfant.

Agent, auteur, artisan (de la fortune de qqn), acteur (14), instigateur, fauteur, promoteur (192).

Verbes. — Etre cause, la cause, une cause de, avoir pour effet (13׳), rejaillir sur; causer, occasionner, faire arriver, faire (fondre la glace, etc.); amener, apporter, appeler, provoquer; fomenter; entraîner, — avec soi, après soi, s’accompagner de, aboutir à (réussir, 213); déterminer, décider (192); mettre en mouvement (61), remuer; déchaîner, faire lever, faire éclater, éveiller; allumer, enflammer; mettre le feu aux poudres; créer, engendrer, faire naître, donner naissance à (81). Être cause de qch. pour qqn, donner lieu à, — matière, occasion à; attirer, susciter, coûter, valoir à; être (la joie de qqn, la ruine pour qqn), faire (le désespoir de), tour- ner (à la gloire de qqn), procurer, donner (la fièvre, etc.); jeter (le trouble dans).

Verbes. ֊Être l’effet, etc. de, être causé, etc. par (13), avoir pour cause, etc., tenir à (qch., à ce que); procéder de, tenir de, dépendre de; suivre, s’ensuivre de; être dû à; reposer sur, avoir pour base, être fondé, basé sur; rimer à (être en relation avec, 3); naître, tirer son origine de; être de, être l’oeuvre de; partir, sortir de; descendre de, remonter à; dériver, découler, émaner de; tirer sa source de, prendre sa source à, dans.

Attribuer une cause à, rapporter, ramener à; imputer à; accuser, rendre responsable de (277).

Adjectifs. — Qui est cause de, dé- terminant, efficient (techn.); primordial, premier (20); originaire, originel, radi- cal (vx.); coupable, fautif, responsable de (277). Causal, causatif, étiologique (techn.).

Adjectifs. — Résultant, etc. de; consécutif (maladie—).

Adv erbe s. — Pourquoi? pour quelle raison, — cause, — motif (191 a )? d’où? d’où vient que? comment? — se fait-il que? Que (p. ex.: que n’étiez-vous là?).

Pour cette raison, etc.; de là, d’où; c’est pourquoi, voilà pourquoi, c’est pour cela que; de ce fait, de ce chef, de cette affaire-là (fam.), à ces causes (administr.).

Adverbes. — En conséquence, par conséquent, conséquemment, partant; de là, par là, ipso facto; aussi, ainsi, par ainsi, alors; donc, ainsi donc, ergo (133); enfin, finalement (20), en dernier résultat, en fin de compte.

Prépositions. — A cause de, pour, pour cause de, pour raison de (santé, etc.), par suite de, en suite de, en raison de, eu égard à, étant donné, considérant, en considération de, en vertu de; devant (p. ex.: devant un pareil suc- cès, nous avons décidé...); grâce à, par l’effet de, par; du côté de, de la part de; de (p. ex.: mourir de faim, des cris de douleur, etc.).

Prépositions. — De manière à, de façon à (à Teffet de, pour, afin de, 191 ͤ; au pointde.

Conjonctions. — Parce que, c’est que, vu que, attendu que, par la raison que, étant donné que; d’autant que, d’autant plus que; puisque, puisqu’aussi bien; car, en effet.

Conjonctions. — De sorte que, de façon que, en sorte que; si, tant, telle- ment, à tel point, au point que, à telles enseignes que, si bien que, tant et si bien que.

Syntaxe. — Si elle est irritée, c’est que vous l’avez offensée. — Que la mon- tagne était belle, éclairée qu’elle était par le soleil couchant. — Je partirai, non que je le désire, mais c’est mon devoir. — Il a échoué pour avoir trop attendu. — J’ai les doigts gelés, tant il fait froid. — En apprenaw/ cette nou- veile, elle s’évanouit. — Il n’était guère aimé, lui qui n’avait jamais aimé lui- même. — Je ris de vous voir si ahuri; vous êtes gentil d ’être venu. — (Apposi- lion) Jeune, belle, riche, elle attirait tous les regards. Grièvement blessé, il ne put continuer la lutte.

Syntaxe. — Il fait si (36) froid que j’ai les doigts gelés. — Voilà ce que c’est que de trop parler. — Il est assez naïf pour croire cela. — Il est trop in- telligent pour croire cela. — Il n’est pas si bête de (que de) croire cela. — Elle chante que c’est une merveille. — C’est triste à pleurer. — Un bruit se fait entendre, et les voleurs de disparaître (et voilà les voleurs qui disparaissent).

Spécimens d’exercices

(Les chiffres renvoient aux numéros des exercices de mon Traité de stylistique française: j’y reporte le lecteur, qui y trouvera les matériaux et les explications necessaires.)

N. B. Les mots étudiés ne doivent jamais être isolés, mais toujours présentés dans des contextes suffisamment clairs.

Délimitation. Groupements phraséologiques. Étude de groupes de mots correspondant à des idees fondamentales, et remplacement de ces groupes par des mots synonymes (35-71). Ex.: battre en retraite = se retirer; sur-le-champ = immédiatement; en dépit de = malgré, etc. Cet exercice est destiné à combattre l’analyse excessive des faits de langage; il peut conduire à une réforme de la grammaire et de l’étude des parties du discours. — Enrichissement du vocabulaire par les synonymes et les contraires. Ex.: Remplacer un mot par un ou plusieurs synonymes. Ex.: Il faut s’habituer Ó tout (s’habituer à = s’accoutumer à, se faire à, etc.). Chercher le ou les contraires d’une expression donnée. Ex.: Acquitter (: condammer) un accusé. — Identification ou recherche du synonyme le plus simple, le plus général et le plus usuel. Cette recherche est le fondement de toute l’étude du langage abstrait. Choisir dans une série de synonymes, le terme qui a, à l’exclusion des autres, ce caractère de généralité et de simplicité. Ex.: Dénoûment, fin, issue, terme, etc. Étant donné un groupe de synonymes dont aucun n’est absolument simple et général, trouver ce terme. Ex.: Début, point de départ, naissance, etc. (: commencement). (78). Chercher les contraires de termes d’identification donnés. Ex.: cause (:effet), mouvement (:immobilité, repos) (80). Remplacer des expressions figurées par les expressions abstraites correspondantes, et ramener celles-ci aux termes les plus simples (cet exercice est capital pour le traitement de l’abstraction) (124). Ex.: Porter qqn aux nues (:louer), rouler sur Vor (:être riche). — Classification des termes abstraits. Ramener à une catégorie de phénomènes ou de faits de pensée une expression ou un groupe d’expressions (84-85). Ex.: Reculer, avancer, monter, descendre, entrer, sortir, etc. (mouvement): droit, courbe, rond, carré, etc. (forme);persévérance, hésitation, ordre, obéissance, etc. (volonté). — Divers aspects logiques d’une idée fondamentale. Trouver l’expression de ces aspects pour une même idée. Ex.: Idee de la maladie; état (1être malade, etc.); entrée dans l’action (tomber malade, contracter une maladie, etc.); progression {s’aggraver, empirer; baisser, décliner, etc.); aspect causatif (rendre malade, communiquer une maladie, infecter, etc.). — Associations naturelles entre les idées. Cas où l’une est l’aspect objectif, l’autre l’aspect subjectif d’un même concept. Ex.: Opposer l’opinion qu’on a de qqn et sa réputation; la différence entre deux choses et la distinction qu’on fait entre elles; la beauté d’une chose et l ’admiration qu’on a pour elle; la difficulté d’une chose et la peine qu’on a à la faire, etc. — Associations par les contraires (voir plus haut). — Associations par emploi métaphorique d’une autre idée. Ex.: Ressemblance (:voisinage, contact, etc.);apprendre, connaître {:acquérir, posséder, etc.); habileté (:agilité etc.). — Associations analogues entre les catégories générales d’idées. Ex.: Désignation d’une position par le mouvement correspondant (une montagne s’élève, se dresse, etc.). — Correspondance entre le vocabulaire et la grammaire, entre les mots et les tours de syntaxe (159). Transformation d’un tour de syntaxe en un mot, et vice versa. Ex.: Il a échoué pour avoir trop attendu = sa lenteur est la cause de son échec; je désire vivement qu’il vienne =s’il pouvait venir ! si seulement il venait! (Exercice capital pour l’explication des faits de grammaire; voir à ce propos Brunot et Bony: Méthode de langue française, III, pp. 270 à la fin). — Exercices d’ensemblesous forme de variations d’une idée donnee, avec application de tous les procédés décrits plus haut (Exercice fécond pour l’assouplissement du style; pour la méthode à suivre, voir 97).

Différences de sens entre les synonymes. Comparer un ou plusieurs synonymes d’un mot dans une phrase donnée, et indiquer une différence essentielle qui les distingue dans cette phrase (101 sqq.). Ex.: Une allure (démarche?) rapide; allure = degré de rapidité;démarche = manière de marcher; donc la substitution n’est pas possible. (Exercices destinés à combattre l’étude théorique et vague des synonymes.)

Valeurs affectives. Exercices préliminaires; emploi affectif et non affectif d’un même mot (107). Ex.: L’histoire universeile: une réputation universelle. Adjectifs affectifs ou non, selon la place qu’ils occupent. Ex.: Une prairie verte: une verte prairie; une route large: une large blessure. De deux synonymes donnés, dire lequel est le plus affectif. Ex.: Admirer: s’extasier;moqueur: gouailleur;figure: minois, etc. — Intensite. Trouver dans une serie de synonymes le terme le plus fort, le plus énergique, etc. (114.) Ex.: Une idée claire, limpide, nette, lumineuse. Trouver les synonymes intensifs de mots donnés. Ex.: Aimer (adorer, idolâtrer, etc.). Trouver des mots qui exagèrent l’idee d’une expression donnée (183- 184). Ex.: Travailler trop (:se tuer de travail), dépenser sans compter (:jeter l’argent par les fenêtres). —Exercice inverse: trouver des synonymes qui atténuent la force d’une expression donnée (115). Ex.: Etre irascible, colérique {:nerveux, vif, etc.). — Valeurs laudatives et péjoratives (116 sqq.). Trouver dans une serie de synonymes des termes qui présentent l’idée sous un aspect favorable (Ex.: Caractère fier, altier), ou, au contraire, avec une nuance de déplaisir, de mépris, de blâme (Ex.: Fierté, orgueil, morgue). — Valeurs esthétiques. Exercices analogues aux precedents pour la détermination des expressions descriptives (Ex.: Humeur gaie, badine, folâtre), comiques (idée bizarre, cocasse) (121 sqq.). N. B. Ne pas confondre les nuances esthétiques avec les nuances littéraires (voir plus bas).

Effets par évocation de «milieux.» Exercices préliminaires: effets resultant de la frequence ou de la rareté de l’emploi d’une expression (138 sqq.). Indiquer, dans une série de synonymes, le terme qui s’éloigne le plus de la langue usuelle (Ex.: Tirer, traîner, remorquer, touer). Poser, à propos d’expressions frappantes ou rares, la question: Comment auriez-vous exprimé la même idée? — Étude du milieu et des circonstances qui déterminent la valeur affective d’une expression. Exercices stylistiques sur la terminologie technique (145 sqq.) la langue administrative (150 sqq.), la langue «écrite))( 141 sqq.), la langue littéraire (154 sqq.), le parler familier (172 à la fin), 1 ,argot (144), les langues des métiers (153). — Expression des rapports sociaux (185-188). Trouver pour une même idée des expressions marquant divers degrés de politesse ou d’impolitesseי d’atténuation sociale, d’euphémisme, etc.

Procédés affectifs. Spécimens: Le langage figuré (126 sqq.). Dire si une image est vivante, ou affaiblie, ou entière- ment réduite à l’abstraction. Déterminer la valeur affective de l’image (littéraire, familière, etc.). — Le langage exclamatif(163-166). Transposer des expressions exclamatives en langage non affectif. Ex.: Ce que c’est que l’habitude! (= Tant est grande la force de l’habitude). Déterminer la valeur affective de tours exclamatifs donnés.

Exercices d’ensemble. Transposition générale d’un texte d’un mode d’expression dans un autre. Ex.: transposer une poésie en prose usuelle (p. 180). Donner à un même récit une tournure différente suivant les personnes qui sont censées le raconter (homme du peuple, fonctionnaire qui en fait un rapport officiel, etc.), le milieu (conversation familière, récit fait à une classe d’enfants, etc.), l’intention visée (intention de produire une forte émotion, de faire rire, etc.). Examiner les modifications subies par l’expression dans chaque cas particulier (122).

Appendice. Étymologie, dérivation, composition, familles de mots, etc. Déterminer, par la signification réelle de mots donnés, si leur étymologie est vivante ou morte. Montrer que, dans ce dernier cas, l’étude historique des faits de langage offre des dangers pour la compréhension de leur sens actuel et surtout de leur valeur affective (1-34).

Notes

1Prof. L. Gauchat (Zürich): Sprachforschung im Terrain.

2Thesaurus of English words and phrases.

3Deutscher Sprachschatz.

4Dictionnaire idéologique.

5Dictionnaire analogique de la langue française.

6Der passende Ausdruck.

7On me dispensera de critiquer le plan de Boissiere; on peut l’ouvrir à n’importe quelle page, on trouvera des successions de mots telles que: Acte, allure, arranger, attitude, barque, biomètre, etc. (sous conduite); ou encore: Abrotone, affermir, vents alizés, aller, ancien, etc.

*Communication faite le 19 mai 1910 au Congr6s des n~ophilologues 1 Zurich. Gen6ve: A. Eggimann & Cie., 1910.

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