“KAZIMIERZ NITSCH (1874-1958)” in “Portraits of Linguists: A Biographical Source Book for the History of Western Linguistics, 1746-1963, V. 2”
KAZIMIERZ NITSCH (1874-1958)
Kazimierz Nitsch
(12 février 1874-27 septembre 1958)
Zdzislaw Stieber
Le professeur Kazimierz Nitsch,1 mort récemment, a été, avant tout, le fondateur de la dialectologie polonaise. Avant la parution de ses travaux, on ne savait que fort peu sur les dialectes polonais. Seuls, les ouvrages de Lucjan Malinowski donnaient une description plus détaillée des parlers silésiens et ceux de F. Lorentz et de G. Bronisch nous renseignaient sur certains dialectes kachoubes. Le reste des dialectes polonais était alors pour la science une véritable table rase.
Le premier ouvrage dialectologique de Nitsch, écrit à l’époque de sa jeunesse, concernait le kachoube. C’était une description du patois du village de Luzino, publié en 1904. Bien que la façon dont l’auteur traite cette question nous semble aujourd’hui quelque peu surannée, il convient de souligner que cet ouvrage compte au nombre des meilleures études sur la dialectologie slave qui aient paru au début du XXe siècle.
Au cours de l’année 1904, Nitsch s’est chargé de faire tout seul une monographie des dialectes de la ‘ Prusse Occidentale ‘, c’est-à-dire de la partie de la Poméranie sise sur les deux rives de la Vistule. Dans un temps record, soit en trois mois et demi, il a recueilli de toute cette région (à l’exception de la Kachoubie du Nord) une documentation extrêmement riche sur la base de laquelle il a publié dès 1907 une monographie intitulée ‘ Dialekty polskie Prus Zachodnich ‘ (Dialeetes polonais de la Prusse Occidentale) ; monographie excellente au point que, même de nos jours, les savants qui entreprennent des recherches systématiques dans ce domaine ne peuvent y ajouter grand chose, en dehors des données sur la géographie des mots.
Après la ‘ Prusse Occidentale ‘, en six mois Nitsch a visité la Silésie, la région de Poznan, l’ancienne Prusse Orientale et certains territoires du Sud de la Petite Pologne, après quoi il s’attaqua aux dialectes de l’ancien Royaume du Congrès. La publication de ‘ Dialekty polskie Prus Wschodnich ‘ (Dialectes polonais en Prusse Orientale) datait de 1907, et en 1909 il a publié un vaste ouvrage intitulé ‘ Dialekty polskie Šlaska (Dialectes polonais de Silésie). Encore avant la seconde guerre mondiale, Nitsch avait l’intention de publier un ouvrage sur des dialectes de la Grande Pologne sur la base d’une riche documentation qu’il possédait. Malheureusement, un travail accablant ne lui permit pas de réaliser ce projet. Ce ne fut qu’après la guerre qu’on vit paraître une étude de valeur, bien que courte, sur l’ancien dialecte du village de Chwalim en Grande Pologne Occidentale, déjà disparu.
En ce qui concerne la Petite Pologne, Nitsch a donné une description sommaire des patois de deux villages de la région de Cracovie et a publié, avec I. Stein, un ouvrage plus important ‘ Zapiski gwarowe ze šrodkowej Galicji ‘ (Notes sur les dialectes de la Galicie du Centre, 1915) qui caractérise parfaitement la frontière linguistique existant entre les langues polonaise et ukrainienne. De même, nous apprenons bien des choses sur les dialectes de Podlasie et de la région de Suwalki dans sa critique du livre de Niederle, publiée en 1910. Dès la fin de la 1re guerre mondiale, Nitsch a publié un article : ‘ Jêzyk Polski w Wilenszczyžnie ‘ (La langue polonaise de la région de Wilna) qui, malgré ses dimensions modestes (32 pages), constitue la base de nos connaissances du nouveau parler polonais, né sur le substrat lithuanien et blanc russe.
Nitsch connaissait certes tout le territoire de la langue polonaise, mais en dehors des parlers sus-mentionnés, il n’a plus traité séparément de dialectes distincts ni de territoires dialectaux plus étendus. Il s’en occupera plus tard dans ses grandes œuvres de synthèse.
C’est également dans un temps record que Nitsch brossa un tableau synthétique des dialectes polonais. En 1910 parut un essai de 32 pages intitulé ‘ Próba ugrupowania gwar polskich ‘ (Essai de groupement des dialectes polonais) qui, en principe, n’a rien perdu jusqu’à nos jours de son actualité. Une autre synthèse, bien plus vaste, mais de caractère moins scientifique, fut publiée par lui en 1911 sous le titre ‘ Mowa ludu polskiego ’ (Les parlers du peuple polonais). L’ouvrage ‘ Dialekty jçzyka polskiego ‘ (Dialectes de la langue polonaise) dont la première édition date de 1915, la seconde, complétée, de 1923 et la troisième, la plus complète, de 1957, constituent une synthèse purement scientifique. ‘ Wybór polskich tekstów gwarowych ‘ (Le choix de textes polonais en dialectes), paru en 1929, fut un excellent complément des ‘ Dialectes ‘ précités. Le professeur á passé de longues années à préparer la réédition de cet ouvrage qui, très complété, paraîtra d’ici peu.
Tout en décrivant dans son ensemble le territoire de la langue polonaise et ses segmentations, Nitsch a examiné également l’aire d’expansion des différents faits dialectaux sur tout le territoire de la Pologne. C’est ainsi qu’il composa ses trois premiers ouvrages du cycle : Monografie polskich cech gwarowych (Monographies des caractéristiques des dialectes polonais), continué par ses élèves.
Nitsch avait réuni une partie de la documentation nécessaire à ces monographies pendant la guerre mondiale et notamment au cours de son séjour à Plan, dans le camp autrichien des prisonniers de guerre polonais ayant fait partie de l’armée du tsar. On pourrait y rassembler surtout une riche documentation sur le vocabulaire. Aussi, Nitsch s’intéressa-t-il davantage aux questions relatives au vocabulaire des dialectes, tandis qu’avant il s’occupait surtout du ‘ système ‘ des dialectes (c’est-à-dire de la phonétique, de la morphologie et moins de la syntaxe dont la description nécessite des méthodes que le professeur ne pouvait alors appliquer).
Le premier ouvrage de Nitsch consacré uniquement à l’étude du vocabulaire est un important article intitulé ‘ Z geografu wyrazów polskich ‘ (De la géographie des mots polonais, 1918). Il y a traité en détail des zones des appellations se rapportant à différents objets de la culture matérielle de la paysannerie, ainsi qu’à différents animaux. Aussitôt après la fin de la première guerre mondiale, Nitsch a commencé à préparer la documentation sur le vocabulaire par la méthode des questionnaires. Ces matériaux provenant de toutes les régions du pays furent rassemblés dans un centre d’étude extrêmement modeste, au siège de l’ancienne Académie Polonaise des Sciences à Cracovie. Ils ont alimenté des ouvrages postérieurs, consacrés au nouveau dictionnaire des dialectes polonais et ont servi de base à l’élaboration d’un questionnaire pour l’Atlas des dia- leetes polonais. Après 1929 י Lud Slowianski ‘ (Le Peuple slave) a publié son article sur les noms des arbres conifères (‘ Jodla, œwierk, smerk ‘), ainsi que ses trois études écrites en collaboration avec E. Mróz (Ostrowska) sur les noms de plantes utilisés en Masovie (‘ Mazowieckie nazwy przyrodnicze ‘).
Les recherches poursuivies par Nitsch dans le domaine de la géographie linguistique de la Pologne l’ont poussé sans doute à l’idée de composer un Atlas des dialectes polonais, à l’instar de ceux existant depuis longtemps dans certains pays, tels que la France et l’Italie. Mais la Pologne d’avant guerre ne disposait ni de fonds suffisants, ni d’un personnel qualifié pour entreprendre une tâche d’une telle envergure. Il a fallu tout d’abord préparer un atlas régional pour une étendue de terrain relativement restreinte qui fût en même temps une épreuve avant d’entreprendre la confection d’un atlas de la Pologne entière. C’est ainsi qu’on a vu paraître l’Atlas linguistique de la région subcarpathique polonaise (œuvre d’un élève de Nitsch, Mieczyslaw Malecki qui a travaillé sous la direction de son maître) contenant 500 cartes et un cahier de notes et explications (1934). Le plan d’un atlas à l’échelle nationale fut présenté par Malecki dès 1939. L’occupation allemande et ensuite la mort de Malecki en 1946 en retardèrent la réalisation. Cependant, en 1950 fut créée sous la présidence de Nitsch une commission de l’Atlas des dialectes de la Pologne.
Bien qu’elle disposât de fonds très modestes, pendant plusieurs années, grâce à la participation de tous les centres universitaires, il fut possible de réunir toute la documentation nécessaire à la publication du petit Atlas des dialectes polonais. Celui-ci fut appelé ‘ petit atlas ‘ non à cause de son format, mais en raison du nombre restreint de cartes (500-600) et de localités d’où provient cette documentation (une centaine environ). Pour utiliser les matériaux recueillis et préparer l’impression des différents volumes de l’Atlas, la création d’un centre scientifique permanent s’avérait nécessaire. En effet, après la création de l’Académie Polonaise des Sciences à Varsovie, un centre spécial permanent, chargé de la confection de l’Atlas, fut créé à Cracovie sous la direction de Nitsch. Le professeur dirigeait vraiment ce centre ; malgré sa vue qui baissait (par ex. : il avait de la difficulté à examiner les projets de cartes et tableaux), Nitsch visitait le centre tous les jours, discutait avec ses assistants et exerçait une influence permanente sur l’ensemble des travaux. Comme on le sait, jusqu’à présent parut le premier volume, le second fut préparé sous la direction du professeur et c’est à ses remplaçants qu’incombe la tâche de veiller à ce que les suivants soient également publiés.
Le centre chargé de la publication de l’Atlas comprend actuellement une section où l’on prépare la publication d’un vocabulaire des dialectes polonais et qui fut fondée par Nitsch et dirigée par lui jusqu’à sa mort. L’ancien vocabulaire des dialectes polonais (‘ Slownik Gwar Polskich Karlowicza ‘) terminé en 1911 était excellent à l’époque, mais aujourd’hui il ne nous suffit plus. La section dispose déjà d’une documentation très vaste, provenant de toute la Pologne, sur laquelle on travaille en appliquant les méthodes les plus modernes.
Nitsch ne se limitait pas à la seule description des dialectes. Ce sont les problèmes de la genèse qui l’avaient toujours intéressé : la naissance des différents types de dialectes et des faits dialectaux, l’influence réciproque des dialectes, le rôle des dialectes de l’ancienne Pologne dans la formation de la langue littéraire. Dans l’article ‘ Ζ historii narzecza malopolskiego ‘ (De l’histoire du dialecte de la Petite Pologne, 1929) se reflète son effort pour reproduire les changements qui se sont effectués sur une étendue du territoire dialectal polonais. Les œuvres de Nitsch traitant du rapport entre les dialectes et la langue littéraire ont confirmé en lui l’opinion d’après laquelle le dialecte de la Grande Pologne était à l’origine de la langue littéraire polonaise : ce dialecte ayant pénétré à Cracovie avec la dynastie des Piast continuait à s’y développer (en tant que langue de la cour) sur cette base. C’est à cette opinion et à la discussion qu’elle a provoquée, que nous devons l’élargissement de nos connaissances de l’ancienne langue polonaise littéraire et dialectale.
Le premier article publié par Nitsch concernait déjà la langue de Paterek — écrivain de la lre moitié du XVIe siècle. Nitsch a traité encore plus d’une fois de la langue des différents écrivains polonais, tels que Kochanowski, Krasicki, Zeromski, Reymont etc. Son ouvrage ‘ Ζ historii polskich rymów ‘ (De l’histoire des rimes polonaises, 1912) est d’une très grande valeur. Il ne pouvait d’ailleurs être écrit que par un historien de la langue polonaise qui fût à la fois un dialectologue.
De même, dans le domaine du lexique, Nitsch ne s’est pas limité uniquement au vocabulaire des dialectes. Outre ses articles, très nombreux, dans ‘ Jêzyk polski ‘ (La langue polonaise), il convient de mentionner tout particulièrement ses études sur l’histoire du vocabulaire polonais (‘ Studia z historii polskiego slownictwa ‘). Il s’agit là non seulement du vocabulaire des dialectes, mais aussi de la langue littéraire de l‘апсіеппе Pologne. En plus, cet ouvrage nous renseigne sur la fonction syntaxique de certains mots.
Pendant plusieurs dizaines d’années, Nitsch a consacré beaucoup de son temps au périodique ‘ Język Polski ‘dont il était le rédacteur en chef. Ce périodique s’est chargé de la popularisation de la science de la langue polonaise (le niveau de cette popularisation étant, toutefois, très élevé). ‘ Język Polski י est accessible aux étudiants et aux licenciés en philologie polonaise et, surtout, aux professeurs des lycées. Bien que la langue du périodique soit très compréhensible, les articles qui y paraissent ont un caractère essentiellement scientifique.
Kazimierz Nitsch est resté toute sa vie polonisant. Cependant, il connaissait parfaitement tout ce qui se rapportait aux autres langues slaves et tous ses ouvrages consacrés à la linguistique polonaise ont un fonds général slave. Son ouvrage le plus important sur la parenté entre les langues léchites (‘ Stosunki pokrewienstwa jçzyków lechickich ‘, 1905) est également étroitement lié à la langue polonaise. Avec Los et Rozwadowski, Nitsch a été le fondateur de ‘ Rocznik Slawistyczny ‘ (Revue slavistique), qui paraît encore de nos jours, et rédacteur de la section linguistique de l’excellente revue ‘ Lud Slowianski ‘ consacrée à la dialectologie et à l’ethnographie des slaves. Malheureusement, la publication de cette revue qui a paru pour la première fois en 1929 n’a pas été reprise après la guerre.
Bien qu’il ne fût pas slavisant par excellence, Nitsch a formé une école de slavisants tels que M. Malecki, A. Obrçbska-Jablonska, L. Ossowski, S. Rospond, S. Urbanczyk, Z. Stieber et autres. Son apport, direct ou indirect, au développement de l’étude des langues slaves en Pologne a été grand.
Le professeur Nitsch est resté jusqu’à sa mort un savant actif au sens propre du mot. Il a présidé jusqu’à la fin le Comité linguistique de l’Académie Polonaise des Sciences, a dirigé la section de l’Atlas et celle du vocabulaire des dialectes polonais et a rédigé ‘ Jêzyk Polski ‘. Sa dernière œuvre originale a été un mémoire scientifique extrêmement intéressant qu’il dictait à ses élèves même lorsqu’il ne voyait presque plus. Des fragments de ce mémoire ont paru dans ‘ Jêzyk Polski ‘ et ont vivement intéressé les lecteurs. Une autre partie paraîtra dans le prochain numéro de cette revue. La mort est venue l’emporter lorsqu’il dictait la suite.
Le professeur Kazimierz Nitsch est décédé le 26 septembre 1958.
Source : Zdzislaw Stieber, ‘ Kazimierz Nitsch (12 février 1874-27 septembre 1958),’ Orbis 8.583-588 (1959).
1 Cf. Stanislaw Wedkiewicz, L’Œuvre linguistique de Kazimierz Nitsch, dans Orbis, t. III, 1954, 567-575.
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