“VIGGO BRØNDAL (1887-1942)” in “Portraits of Linguists: A Biographical Source Book for the History of Western Linguistics, 1746-1963, V. 2”
VIGGO BRØNDAL (1887-1942)
Viggo Brøndal
(13 octobre 1887-14 décembre 1942)
Jens Holt
La mort prématurée de Viggo Brøndal est sentie non seulement par ses collègues danois, mais aussi par tous les linguistes qui s’occupent des questions générales de notre science, comme une lourde perte.
Viggo Brøndal fit ses études à Copenhague, qui était sa ville natale. Romaniste de formation il garda toute sa vie une affection profonde pour la langue française, expression propre de l’esprit français qui lui était si cher. Mais ses connaissances des langues romanes n’étaient pour lui que le fondement d’études plus vastes, concernant presque toujours les questions générales de la linguistique. Il sera permis d’y voir l’influence de ses grands maîtres Vilhelm Thomsen et Otto Jespersen, pour lesquels il a si souvent exprimé sa profonde admiration. Son esprit de philosophe, éveillé par Harald Høffding, fut, depuis son séjour à Paris, intimement influencé par les idées des philosophes français comme Lévy-Bruhl et Émile Meyerson, d’où le rôle important que jouent dans sa pensée les rapports entre le langage d’un côté et la psychologie et la logique de l’autre.
Le rapport entre langage et psychologie est traité dans la thèse de doctorat de Brøndal,1 où il s’efforce de montrer que les changements subis par les systèmes phonétiques doivent être interprétés comme les effets de changements ethniques ; selon lui, l’influence du substrat ne se manifeste pas par un acte unique au moment où la langue nouvelle est adoptée par la population envisagée, mais les tendances articulatoires propres à une population déterminée subsistent et dirigent l’évolution ultérieure de sa langue. Les changements phonétiques sont regardés surtout comme des changements de système, ce qui fait voir que Viggo Brøndal se présentait de prime abord comme un linguiste qui voyait dans le fait de former système le trait essentiel du langage, et que, sur ce point, ses idées étaient influencées de la doctrine de F. de Saussure.
Après avoir collaboré aux recherches de toponymie danoise et après avoir publié des notes sur ce sujet Viggo Brøndal fut nommé lecteur de la langue danoise à l’Université de Paris (1925-28), où il avait l’occasion d’approfondir ses études philosophiques qui s’étendaient aux philosophes médiévaux et anciens. On peut supposer que ces études ont fourni le fondement à la doctrine linguistique avancée dans son livre sur les parties du discours et, plus tard, dans les livres sur la morphologie et la syntaxe et sur la théorie des prépositions.2 En 1928 il succéda à Kristoffer Nyrop comme professeur de langues et de littératures romanes à l’Université de Copenhague. Ses cours portaient souvent sur les problèmes de la grammaire générale, et ses idées ont eu une influence considérable sur la nouvelle génération de linguistes au Danemark. Pendant les années suivantes il a complété les idées publiées en 1928 et a établi un système renfermant toutes les parties de la grammaire.
L’esprit de Viggo Brøndal était en réalité un peu conservateur, et par cela il s’oppose au radicalisme d’Otto Jespersen. Cependant il n’était pas traditionaliste, mais d’une manière très originale il a renouvelé les idées des grammairiens anciens. Comme eux il croit qu’on peut définir les formes linguistiques uniquement par les significations et par le contenu du signe linguistique. Malgré la méthode un peu arbitraire employée pour établir ces significations il a proposé des idées très intéressantes. Selon Brøndal la grammaire se divise en quatre chapitres principaux : morphologie, syntaxe, phonologie et phonétique. Tout mot se définit par sa classe et par son noyau.3 La morphologie (y compris la synonymie) et la phonologie relèvent de l’aspect systématique du langage, tandis que la syntaxe et la phonetique en traitent l’aspect rythmique. La morphologie générale se conçoit comme la théorie des parties du discours, et celle-ci s’établit au moyen des concepts génériques : substance, qualité, quantité et relation. Les parties du discours forment une hiérarchie dont le sommet est établi par les quatre classes ‘ abstraites ‘, renfermant toutes un seul concept et se manifestant dans les noms propres, les noms de nombre, les adverbes et les prépositions. Sur le deuxième plan se placent les classes ‘ concrètes ‘, comprenant la conjonction, le réfléchi, le verbe, le pronom, le possessif et le nom. Ces classes sont définies chacune au moyen de deux concepts. Sur le troisième plan se trouvent les classes ‘ complexes ‘, définies au moyen de trois concepts et se manifestant par exemple dans les noms et verbes dérivés ; et comme la seule classe ‘ indifférenciée ‘ se présente l’interjection. De cette façon on peut établir 15 classes de mots et 12 sous-classes. Ces dernières s’établissent par une différenciation des classes ‘ concrètes ‘ suivant qu’on insiste sur l’un ou sur l’autre des deux concepts qui en forment la définition.
De manière analogue sont définis les 15 membres de phrases possibles. Mais les unités syntaxiques diffèrent des unités morphologiques par leur qualité rythmique. Dans les définitions syntaxiques les concepts se placent suivant un ordre déterminé, tandis qu’ils sont, dans les définitions morphologiques, complètement réversibles.
Après avoir traité la morphologie et la syntaxe Viggo Brøndal a abordé la question intéressante et très délicate de la synonymie.4 La synonymie traite ce qu’il appelle le noyau du mot. Il a appliqué sa théorie à une série de systèmes de prépositions. Pour définir la place occupée par le mot à l’intérieur de sa classe Brøndal se sert d’une nouvelle série de concepts, à savoir les concepts relationnelles : symétrie, transitivité, connexité, variabilité, pluralité, généralité, continuité, totalité, extension, intégrité et universalité. En établissant dans un système ces concepts Brøndal s’est évidemment inspiré de l’École de Prague ; car les concepts relationnels se définissent non seulement au moyen de leur contenu mais aussi par leurs rapports mutuels, c’est-à-dire par les formes de relations,5 qui sont : ‘ polaire ‘, ‘ neutre ‘ complexe ‘ et (assez rarement) ‘ complexe-polaire ‘.
Ces définitions, morphologiques, syntaxiques et synonymiques, sont utilisées pour caractériser les langues. Les langues qui possèdent des classes ‘ abstraites ‘ et des formes ‘ neutres ‘ sont l’expression d’une pensée analytique et d’une civilisation avancée, tandis que les langues qui sont dominées par des classes et des formes ‘ complexes ‘ représentent une civilisation assez primitive.
Viggo Brøndal était un linguiste doublé d’un philosophe. Le dernier mémoire qu’il a écrit, Délimitation et subdivision de la grammaire,6 en témoigne. Brøndal ne pouvait se contenter d’examiner les parties de la grammaire, mais il a senti la nécessité de placer la linguistique et ses disciplines dans les cadres de l’ensemble des sciences. La linguistique prend, selon lui, une place intermédiaire entre les phénomènes extérieurs et les phénomènes intérieurs, entre les faits systématiques et les faits rythmiques. Sur ce point la distinction établie par F. de Saussure entre forme et substance et entre relation syntagmatique et relation associative ont inspiré, mais d’une façon moins claire, les idées de Brøndal.
La personnalité aimable et charmante de Viggo Brøndal fascinait tous ceux qui le connaissaient. Par le plaisir qu’il trouvait à la conversation et au débat il était devenu un personnage important dans le Cercle linguistique de Copenhague, dont il était jusqu’à son dernier jour un membre actif. Il s’intéressait beaucoup aux communications internationales entre les savants, les congrès internationaux étant pour lui des fêtes véritables, la suprême réalisation de coopération scientifique. Il fut le secrétaire général du IVe Congrès international de linguistes tenu à Copenhague en 1936. Son activité fut décisive pour la fondation des Acta linguistica, dont il était avec M. L. Hjelmslev le directeur. Il a lui-même contribué à ce périodique par un article substantiel,7 des comptes rendus et des nécrologies.
Par sa mort Viggo Brøndal a laissé un vide à l’Université de Copenhague, dans le Cercle linguistique et dans la direction des Acta Linguistica. Il nous a laissé une richesse d’idées originales dont l’avenir nous fera voir la valeur ; il est hors de doute que les linguistes trouveront dans ses ouvrages une inspiration de grande portée.
Source: Jens Holt. י Viggo Brondal, 13 octobre 1887-14 décembre 1942,’ Acta Linguistica 3.1-4 (1942-1943). By permission of the author.
1 Substrater og Laan i Romansk og Germansk. Studier i Lyd. og Ordhistorie. Copenhague 1917.
2 Ordklasserne. Partes orationis. Studier over de sproglige Kategorier. Copenhague 1928. Morfologi og Syntax. Nye Bidrag til Sprogets Theori. Copenhague 1932. Praepositionernes Theori. Copenhague 1940.
3 La constitution du mot. Essais de linguistique générale publiés avec une bibliographie des œuvres de Vauteur. Copenhague 1943, p. 117 sqq.
4 Praepositionernes Theori. Copenhague 1940.
5 l. c., p. 36 sqq.
6 Essais de linguistique générale, p. 134 sqq.
7 Linguistique structurale, Acta Linguistica I, p. 2 sqq.
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