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Geneva School Reader in Linguistics: Geneva School Reader in Linguistics

Geneva School Reader in Linguistics

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LA MÉTHODE DES DICTIONNAIRES DE PHRASES*

.. mehr als die schwierigste Rechnung, die mit Hilfe alter Operationen ausgeführt wird, dedeutet die Ermittelung einer neuen Operationsart : in der Vervollkommenung der Methoden liegt der wahre Fortschritt der Wissenschaft” (Schuchardt, 409).1

1. But du dictionnaire de phrases. 2 ---. Procédés d’enquête : par simple observation ou par questionnaire. — 3. Le questionnaire. 4 ---. L’enquête. — 5. Utilisation des relevés.

1. La méthode des dictionnaires de phrases cherche à remédier à deux points faibles de la linguistique, telle qu’elle est pratiquée par la plupart des savants : la pléthore des matériaux et leur hétérogénéité.

1.1. D’une part, les faits par lesquels se manifeste une langue sont si abondants que le nombre des exemples que peut citer le linguiste, dans le cas d’un idiome vivant, n’a théoriquement et pratiquement pas de limites. Mais la tendance des linguistes est d’en utiliser le plus grand nombre possible.

Les sept tomes de la grammaire française de Damourette et Pichon reposent sur l’analyse de plus de 34.000 exemples écrits et parlés, et les auteurs déclarent, au terme de leur ouvrage (§ 3164), qu’en plus d’un quart de siècle d’efforts ils ont “essayé de faire l’inventaire le moins incomplet possible des ressources” de cette langue.

J’extrais de la préface d’un atlas linguistique (Saareste) les lignes suivantes : “la condition préalable pour l’étude fructueuse d’une langue est d’en posséder des matériaux aussi abondants que possible ...”

Nous tenons là un reste de l’époque présaussurienne, où l’on considérait la langue non comme un système de valeurs immatérielles se définissant par leur opposition réciproque, mais comme une masse d’éléments concrets, ayant chacun son existence propre, quasi comme les pierres qui entrent dans la construction d’un édifice, d’où la nécessité où l’on se croit de recueillir l’ensemble de ces matériaux, ou du moins le maximum possible, pour obtenir une vue générale. Si au contraire la langue constitue une “forme” (Saussure),2 c’est-à-dire un équilibre d’éléments insubstantiels, la connaissance de chaque pièce implique celle de tout le reste et il suffira dès lors de matériaux en nombre limité.

Une expérience tirée de la vie ordinaire suggère qu’il doit en être ainsi. A l’ouïe de quelques mots seulement, nous reconnaissons immédiatement telle ou telle langue dont nous avons l’habitude. N’est-ce pas parce que le système se retrouve dans la moindre parcelle comme une goutte de pluie implique tous les facteurs du phénomène pluie?

1.2. D’autre part, même en admettant qu’une langue forme un système, on ne sait jamais avec certitude jusqu’à quel point ce dernier constitue un tout fermé. Qu’on pense aux différences de dialectes, aux distinctions sociales, sans parler des oppositions d’âge et de sexe ! Il en résulte que des faits présentés comme appartenant à une langue donnée ne relèvent pas toujours strictement du même système : autant de cerveaux, autant de systèmes linguistiques particuliers.

La pratique courante, pour une langue telle que le français, d’établir une grammaire “générale” combinant, outre la langue écrite et la langue parlée, diverses époques, diverses classes sociales et même diverses régions, ne peut aboutir, dans l’état actuel de la science, qu’à un méli-mélo : une grammaire à plusieurs systèmes, dont aucun n’a été étudié séparément. Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter les six volumes de la Grammaire de Nyrop ou les sept tomes de l’Essai de Damourette et Pichon.

Sur les quelque 34.000 exemples de ce dernier, 2900 à peine relèvent de l’observation orale, soit un peu plus de 8%. Ils ont été recueillis de la bouche de 8 à 900 personnes appartenant aux milieux les plus différents : bourgeoisie et peuple, médecins et infirmières, adultes et enfants, Parisiens et provinciaux, citadins et paysans. La plupart de ces témoins ne fournissent qu’un seul exemple chacun. Les quatre qui ont été le plus mis à contribution ont procuré respectivement : moins de 400 exemples (Mme EJ), moins de 200 (M. P), plus de 100 (M. WF et Mme A). Il ne s’agit donc pas, à strictement parler, dans l’ouvrage en question, d’un système du français, mais d’une pluralité de systèmes dont on peut certes supposer la coexistence et l’interaction partielles, mais dont aucun n’a été décrit et défini pour soi.

1.3. La méthode des dictionnaires de phrases procède de l’idée que la meilleure manière d’obvier à ces difficultés est de partir d’un ensemble limité de pensées usuelles pour examiner comment chacune est exprimée par une seule et même personne dans son parler individuel. Le but de cette méthode est donc de fournir des matériaux limités et individuels (idiosyncrasiques).

2. L’introduction de la méthode des questionnaires, lancée par les dialectologues, a pour la linguistique une signification parallèle à l’entrée, dans toute autre science empirique, de la méthode expérimentale. C’est le remplacement de l’observation pure et simple des faits, ou son complètement, par l’”observation provoquée” (Claude Bernard).3 Au lieu de recueillir au hasard des conversations et pendant des années, à la manière d’Edouard Pichon, les faits dont il peut avoir besoin, le linguiste se les procure systématiquement, et d’une manière relativement rapide, au moyen de questions appropriées posées à un certain nombre de témoins choisis.

2.1. Les avantages et les défauts respectifs de l’observation simple et de la méthode des questionnaires ont été souvent discutés, notamment à propos de géographie linguistique.

La méthode des questionnaires a sur l’observation simple l’avantage de l’homogénéité des matériaux, recueillis sur un seul4 témoin et dans un temps relativement court. Alors que le relevé des 2000 phrases, si les séances ne sont pas trop espacées et que le témoin ait été bien choisi et n’abandonne pas en cours de route ni ne doive être abandonné, peut être confortablement effectué dans l’espace de quelques mois, les 2800 à 2900 exemples oraux de Damourette et Pichon sont le résultat d’une enquête qui a duré 29 ans (de 1911 à 1940) et qui a atteint plus de 850 personnes, dont 140 à peu près furent des témoins de rencontre à l’état-civil inconnu.

En revanche, l’observation simple, comme on l’a souvent remarqué, a sur la méthode des questionnaires l’avantage de fournir, au lieu de traductions, des matériaux spontanés. Cependant, lorsque le questionnaire est composé de phrases, dont la situation sera précisée chaque fois que cela paraîtra nécessaire, le risque d’enregistrer des réponses erronées ou artificielles se réduit considérablement.5

2.2. Le vice irrémédiable des questionnaires de mots est d’inciter le témoin à rendre le mot du questionnaire par un mot appartenant apparemment à la même catégorie grammaticale, alors que le nombre, la répartition et par conséquent la définition de ces catégories varient d’une langue à l’autre. A la rigueur, cela peut aller tant qu’il s’agit de mots désignant des choses, mais dès que l’on quitte, tant soit peu, le domaine concret, les différences de perspective éclatent. Au substantif français appétit figurant dans un questionnaire de mots, un témoin de langue anglaise répondra automatiquement par le substantif appetite, mais si le vocable français apparaît dans une phrase (45. Symptôme de maladie : Il a peu d’appétit), la réponse pourra être fort différente, par exemple He’s off his food. Cette tournure ne contient que des mots de très haute fréquence; effectivement, appetite ne se rencontre ni dans les 850 mots du Basic English (Ogden), qui le périphrase par desire for food, ni dans le 1000-Word Radius de Palmer, ni dans les 2000 mots de I ‘Interim Report on Vocabulary Selection.6

3.Le but du questionnaire est d ’enregistrer la parole au service de I’ home quelconque.

3.1.Quelles idées,donc,mettre dans le questionnaire?Naturellement,pas de pensées rares et originales,mais les plus balanes et les courants,cells qui sont la raison d’être du langage dans la vie de tous les jours.

Il s’agissait, par conséquent,de mettre á la pensée, á la selection de vocabulaire7pratiquée par les Anglo-Saxons pour l’enseignement de la langue maternelle aux étrangers. Si des mots tels que nature, nourriture, jambe, tomber, pleuvoir, etc., doivent être appris avant idiosyncrasie, fenouil, péroné, s’affaler, bruiner, pers, il en est évidemment de même pour les notions qui leur correspondent. A cet effet, j ,ai choisi dans la pensée usuelle un ensemble de 2000 notions dont chacune est illustrée par une phrase empruntée à la vie quotidienne.

Ce choix n’a pas été adapté spécialement à l’étude d’une famille de langues donnée. C’est la raison pour laquelle la sphère des idées qui remplissent le questionnaire, orienté plutôt vers le présent et l’avenir que vers le passé, est celle de la culture moderne, de caractère de plus en plus urbain et technique, de l’Occident, celle-ci étant la seule à étendre son emprise sur tous les continents.

Les notions ont été classées en deux parties (notées A et B), comprenant au total 13 chapitres (I-XIII) et 150 sections (I-CL). Cet arrangement s’inspire des dictionnaires qui partent de l’idée, depuis le Thesaurus de Roget et ceux de ses imitateurs en toutes langues jusqu’au Tableau synoptique qui termine le Traité de Bally et au Deutscher Wortschatz de Dornseiff; mais, au rebours de leurs classifications, je parcours la voie empirique qui va de l’homme aux choses. La première partie de la liste s’occupe de l’homme en partant du corps pour passer successivement à la nourriture et aux vêtements, à l’habitation et aux transports, à l’industrie et à l’économie, à la société, à l’âme et aux signes, tandis que la seconde traite de la nature (êtres et choses, phénomènes) et de l’abstraction (espace, temps, ordre, quantité et qualité, existence et relation).

Naturellement, et comme c’est généralement le cas pour les dictionnaires idéologiques, cette classification des notions n’est pas invulnérable à toute critique; pour éviter des malentendus, il convient cependant de souligner qu’outre l’assurance qu’elle procure qu’aucune des faces les plus courantes de la vie de l’homme moderne n’a été oubliée, elle n’a qu’une portée pratique : faciliter le travail de l’enquêteur et du témoin et, après publication du relevé, la consultation par le lecteur. Mais il reste bien entendu que chaque langue possède son système de signes à elle et qu’une classification des notions, qui relèvent de la pensée et sont en principe des entités extra-linguistiques, est autre chose qu’une organisation de signifiants et de signifiés formant la langue au sens saussurien de ce terme.8

3.2. Chacune des 2000 notions est illustrée par une phrase empruntée à la vie de tous les jours. Exemple:

1294. [Disparaître]. Il a disparu au tournant.

3.2.1. Le mot-souche qui exprime la notion n’apparaît pas nécessairement sous la même forme dans la phrase correspondante :

1321. [Peinture]. Et si on faisait peindre le portail en vert?

1351. [Mauvaise odeur]. La viande commence à sentir.

1695. [Fréquence]. Autobus : A. Est-ce qu’il passe souvent? — B. Il y en a un toutes les dix minutes.

Pour éviter que l’enquêteur et le témoin ne se laissent influencer, les mots-souches ne figurent pas en regard des phrases respectives, mais ont été groupés, en manière de sommaire, au début de chacune des 150 sections.

3.2.2. L’expression “2000 phrases” ne doit pas être prise à la lettre. En fait, il s’agit d’énoncés : phrases proprement dites et quasi-phrases (exclamations et interjections, adverbes : Oui. Peut-être. Demain), et souvent un seul numéro comprend plusieurs énoncés successifs.

3.2.3. Chaque numéro a une seule teneur sans aucune variante : l’ensemble est comparable à une collection d’instantanés pris sur un même individu dans des situations diverses. Chacune, en fait, est censée avoir été dite une fois seulement, toujours par le même témoin,9 dans des circonstances définies (faits concrets, lieu, temps, personnes, disposition d’esprit), qu’on appellera la situation.10 Celle-ci, quand il y a lieu de la préciser pour éviter des équivoques, est signalée en italiques au début de la phrase, à la manière des indications scéniques qui figurent dans les pièces de théâtre :

31. Courant d’air : Ça m’a fait éternuer.

1893. Fâche : Mais dites donc, est-ce que ça vous regarde?11

Comme le même individu, selon les situations où il se trouve, peut adapter sa parole aux “registres” stylistiques et sociaux les plus divers, l’homogénéité des phrases du dictionnaire s’arrête à l’individu. La langue d’un individu est une donnée immédiatement observable, tandis que les “registres” en question, qui constituent un problème et non une donnée, ne peuvent être pris comme point de départ. A l’heure actuelle, il n’existe d’ailleurs pas encore de critères scientifiques pour les établir. C’est au contraire par la comparaison de relevés mono-individuels qu’on parviendra peut-être un jour à les définir.

La notion d י idiolect12 donnerait des matériaux mieux délimités, mais sans supprimer pour autant les variations de style, puisque, même avec un même interlocuteur on peut changer de ton (colère, etc.). Et surtout, en obligeant de multiplier les relevés pour un même individu, cela ne répondrait pas au but économique des dictionnaires de phrases; même ainsi, le monologue (ex. no. 1010) et le polylogue (la parole adressée à plusieurs individus à la fois) échapperaient à l’enquête et, par exemple, la 2e personne du pluriel, employée comme adresse directe (nos. 996, 1140, etc.), n’apparaîtrait jamais !

3.2.4. La plupart des phrases du questionnaire sont courtes; et les numéros relativement plus longs ne sont en général qu’une succession de brefs énoncés. L’individu quelconque préfère la parataxe à ltiypotaxe. Il ignore les longues périodes compliquées et n’a pas de goût marqué pour les propositions relatives : il ne s’exprime pas comme les sorbonnagres. Qui reprochera à une collection d’instantanés de ne pas être un panorama ou un long métrage?

3.2.5. Conformément à la banalité linguistique de l’homme quelconque (cf. supra : 3.1.), beaucoup de phrases du questionnaire se ressemblent. L’original chez qui tout ce qui tombe des lèvres est une trouvaille n’existe que dans les pièces de théâtre et appartient donc à la littérature.

Les linguistes hypnotisés par la préoccupation d’être complets (cf. supra : 1.1.) s’attachent au contraire à créer des questionnaires destinés à faire apparaître les types d’expression les plus variés. On aboutit ainsi à des drôleries du genre suivant : “Mon chien, le tien et celui de ton ami sont très fatigués d’avoir couru” (Cohen no. 276).

On oublie que le relief numérique des types syntaxiques (morphologiques, etc.) d’une langue est inégal : alors que certains reviennent sans cesse, d’autres sont rares ou très rares. Un questionnaire dont chaque numéro présenterait une formule différente serait contraire à la réalité statistique des langues.

3.2.6. Une autre méthode, plus voisine de la vie, en apparence, eût été d’élaborer chacune des 150 sections en autant de conversations.13 Mais la compression, dans un seul entretien, de notions relativement nombreuses et appartenant à la même sphère, — par exemple, sous la section 1 (Tête), les notions “tête,” “cheveux,” “chauve,” “front,” “visage,” “teint,” “pâle” et “cou,”--risque de produire des résultats souvent artificiels et même comiques, comme il ressort de la plupart des manuels de conversation contenant des dialogues classés par matières.14 En fait, une conversation familière, même quand elle porte sur un sujet donné, se poursuit le plus souvent à bâtons rompus.

En revanche, certaines phrases ont été installées dans le questionnaire de manière à s’enchaîner, soit à l’intérieur d’un même numéro :

1924. A. Est-ce que cette étoffe est solide? — B. Elle est solide, je vous assure. Elle tiendra. soit d’un numéro à l’autre:

1645. Voyage, pas décembre : A. Nous ne pourrions pas faire ça en janvier? —

1646. B. En tout cas février c’est trop tard.

4. Au rebours des dictionnaires traditionnels, qui, se plaçant au point de vue de la langue, présentent l’emploi des mots, des expressions et des phrases dans des situations variées, le dictionnaire de phrases note le langage sous l’aspect de la parole, comme une série d’actes uniques (cr. supra : 3.2.3.).

4.1. Sauf dans le cas d’un idiome dont l’inventaire des phonêmes est généralement connu ou a été établi par l’enquêteur lui-même, la notation sera donc, en principe, du type phonétique, quitte, pour le linguiste qui utilisera le relevé, à la compléter par une transcription phonématique qu’il élaborera lui-même. L’enquêteur notera, et enregistrera si possible, l’accentuation et l’intonation, — et aussi, dans certains cas, les gestes; une phrase reste souvent inintelligible quand on n’en voit pas la mimique accompagnante.

4.2. Une longue expérience a malheureusement montré que trop fréquemment le témoin, même quand il n’est pas particulièrement cultivé, adopte instinctivement le style des manuels de conversation pour étrangers et l’élocution des professeurs de littérature et de diction, alors que dans la vie courante, dans sa famille ou avec ses camarades, il s’exprime tout autrement. C’est là le principal écueil des enquêtes par questionnaire.

4.3. L’universalité d’application du questionnaire (cf. supra : 3.1.) est limitée jusqu’à un certain point par la diversité des milieux géographiques, nationaux et sociaux ; il ne sera donc guère possible d’éviter certaines inégalités d’un relevé à l’autre.

C’est ainsi que les noms de villes et de pays, dans la mesure où ils sont localisés par rapport à l’habitat du témoin, devront être remplacés éventuellement par des équivalents.

Les noms de famille seront choisis parmi ceux qui, dans l’esprit du témoin,15 sont les quatre plus fréquents de sa localité : Dupont, Durand, Martin, Mercier en ce qui concerne Paris.

Les mêmes adaptations s’imposeront, s’il y a lieu, pour la faune, la flore, le climat, etc.

Dans certains cas, plus délicats, le témoin se trouvera obligé de faire correspondre sa phrase à une situation qui n’est pas exactement celle du questionnaire, ou de l’accompagner d’un commentaire. Ainsi la phrase 2 (Elle a les cheveux frisés) ne saurait être dite, en Chine ou au Japon, que d’une étrangère ou d’une métisse. Un témoin anglais (une dame cultivée) a ajouté au no. 39 (Je vais souffler sur le thé pour le refroidir) la remarque : Bad manners. Dans des cas de ce genre, souvent intéressants et donc dignes d’être signalés, l’enquêteur inscrira, en tête ou à la fin de la phrase du relevé, les additions ou modifications requises.

Tout cela n’altérera guère, dans l’ensemble, l’homogénéité et par conséquent la comparabilité, d’une langue à l’autre, des matériaux obtenus.

4.4. Le questionnaire a servi jusqu’ici aux relevés suivants :

Idiome

Enquêteur

alémanique (Bâle -Ville)

F. Kahn

allemand (Hanovre)

F. Kahn

anglais (Londres)

H. Frei

berbère (deux dialectes)

L. Galand

chinois (ville de Pékin)

H. Frei et S. W. Lou

français (Paris)

F. Kahn

japonais (Tokio)16

H. Frei

D’autres enquêtes17 sont en cours.

5. Le fait que le dictionnaire de phrases note le langage sous l’aspect de la parole n’empêche nullement d’utiliser cet instrument pour l’étude de la langue. Bien au contraire, il fournit à cette discipline une base empirique, puisque toute linguistique qui se veut scientifique, c’est-à-dire fondée sur autre chose que l’à priori, doit partir du concret et pour cela, comme l’usager qui délimite les entités concrètes le long de la chaîne phonique, “se placer dans la parole, envisagée comme document de langue” (Saussure).18

5.1. Une collection de matériaux homogènes a l’avantage de se prêter à la statistique.

Les grammaires savantes visent à décrire en détail le maximum des faits observables. Si un linguiste essayait d’établir la grammaire d’une langue à l’aide des éléments fournis par un dictionnaire de phrases, comme si ces matériaux limités, mais homogènes,19 étaient la seule source d’information la concernant, il pourrait en résulter une grammaire de type nouveau : une grammaire statistique, dans laquelle chaque facteur important du système serait cité avec son coefficient d’usage.

Pour autant que l’enquête portera, avec les mêmes phrases et la même méthode, sur deux langues ou plus, les matériaux ainsi obtenus permettront en outre des statistiques comparatives.

5.2. Une discipline telle que la géographie linguistique, basée sur la comparaison de mots extraits de listes, ressemble à l’anatomie comparée à laquelle on aboutirait si celle-ci se bornait, comme avant Cuvier, à la simple comparaison des organes, d’un animal à l’autre, sans tenir compte de leur assemblage et de leurs fonctions dans le corps.

C’est qu’au fond les questionnaires à l’aide desquels les linguistes géographes recueillent leurs matériaux répondent encore, en gros, malgré certaines améliorations, aux problêmes qui agitaient les savants vers les années 1880 : vérification des lois phonétiques, histoire des mots et des choses (Wörter und Sachen), folklore, etc. On est même allé jusqu’à prétendre que la méthode historique et la méthode géographique ne font qu’un : “Von zwei ‘Methoden,י eine historische und eine geographische, kann gar nicht die Rede sein, trotz der oft gebotenen Arbeitsteilung bei den Vorstudien. Es gibt nur eine einzige, nämlich die historisch-geographische” (J. Dupont).20

Le point de vue géographique pourrait rendre des services à la linguistique synchronique. Mais si l’on veut appliquer la notion d’espace à l’étude des systèmes de langues, la méthode correcte ne consistera pas à mettre en rapport, entre les divers points de la carte, des pièces détachées : des mots extraits de listes ; elle consistera à comparer, après l’avoir établi, le système linguistique de chacun des points.

Dans un ouvrage célèbre, dont la méthode s’imite d’une manière mécanique depuis une cinquantaine d’années, Gilliéron a étudié les rapports que manifestent entre elles, entre les divers points du territoire gallo-roman, les expressions de l’abeille cartographiées dans !9Atlas linguistique de la France. Or ces rapports, pour autant que les points en question appartiennent à des systèmes différents, sont d’ordre extralinguistique. Ils ne sont des faits linguistiques que dans la mesure où ils existent dans les mêmes cerveaux, par exemple lorsque plusieurs points forment un même parler ou dialecte ou lorsqu’il s’agit de sujets bilingues. Ce qui est proprement linguistique, ce sont les rapports contractés chez les mêmes sujets, en un point donné ou dans un groupe de points homogènes appartenant au même parler ou dialecte, entre le mot abeille et le reste du système : bourdon, guêpe, frelon, mouche, essaim, ruche, nectar, miel, dard, butiner, bourdonner, fleur, etc.

De même si, en se plaçant sur un plan plus vaste, on considérait Paris et Bâle-Ville comme des points d’une carte linguistique de l’Europe, il ne serait pas scientifique de mettre en rapport des pièces détachées, par exemple le passé composé du parisien et celui du bâlois, avant d’avoir établi quels sont les liens noués entre ce temps et les autres temps grammaticaux dans le système linguistique de chacun de ces deux points.

5.3. Le relevé du dictionnaire de phrases n’est pas destiné à l’enseignement de la langue. Celui qui voudrait néanmoins s’en servir à des fins didactiques aurait à regrouper les numéros, par exemple en un certain nombre de classes dont chacune appartiendrait à un type syntagmatique différent, à la manière des “structure drills” des linguistes anglo-saxons.21

Références

Ch. Bally, Traité de stylistique français (Heidelberg 1909), repr. Genève/Paris 1951.

do. Le langage et la vie, Genève 19523 (Soc. de publ. rom. et fr., 34).

Claude Bernard, Introduction a l’étude de la médecine expérimentale (1865).

Karl Bühler, Sprachtheorie, Jena 1934 (repr. 1965).

Marcel Cohen, Questionnaire linguistique, Paris 1931.

Jacques Damourette et Edouard Pichon, Des mots a la pensée. Essai de grammaire de la langue française, Paris 1927 et suiv.

Franz Dornseiff, Der Deutsche Wortschatz nach Sachgruppen (Berlin 1934), 19544.

L. Faucett, Maki, A Study in English Word-values, Oxford University Press.

J. Gilliéron, Généalogie des mots qui désignent l’abeille d’après l’Atlas linguistique de la France, Paris 1918 (Biblioth. de l’Ecole des Hautes Etudes, se. histor. et philol., 225).

James Douglas Haygood, Le vocabulaire fondamental du français, Paris 1937, repr. Genève.

[L. Faucett, Harold E. Palmer, E. L. Thorndike, M. P. West], Interim Report on Vocabulary Selection for the Teaching of English as a Foreign Language, London 1936.

Rud. Hallig, W. v. Wartburg, Begriffssystem als Grundlage für die Lexikographie. Versuch eines Ordnung s schémas. Berlin 1952 (Abh. d. Dt. Ak. d. Wiss. zu Berlin, Kl. f. Spr., Lit. u. Kunst, 1952, nr. 4).

Kr. Nyrop, Grammaire historique de la langue française, Copenhague 1899 et suiv.

C. K. Ogden, The Basic Dictionary, London 1932.

Harold E. Palmer, The È R. E. T. Standard English Vocabulary. The 1000-Word Radius : The Bull, of the Institute for Research in English Teaching, no. 100, Tokyo, Jan. 1934, p. 8-9.

Peter Mark Roget, Thesaurus of English Words and Phrases (1852), new ed. London 1962.

Andrus Saareste, Eesti Murdeatlas. Atlas des parlers estoniens, I. Tartu 1938.

Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale (1916), 19555.

Hugo Schuchardt-Brevier, Halle (1922) 19282.

Notes

1Traduction: l’élaboration d’un nouveau procédé a plus d’importance que le calcul le plus difficile effectué à l’aide d’opérations traditionnelles; le vrai progrès scientifique réside dans le perfectionnement des méthodes.

2Chapitre sur la Valeur linguistique, in fine: “La langue est une forme et non une substance.”

3Ire partie, ch. 1, § 5: ״L’expérience n’est au fond qu’une observation provoquée.” — Il va sans dire que l’usage d’instruments n’est pas indispensable à la méthode expérimentale. Ce qui la définit, c’est l’action de l’investigateur sur les êtres ou les choses en vue de faire apparaître les phénomènes à observer.

4Il est vrai que l’observation simple peut, elle aussi, porter sur une seule personne dans le cas du langage enfantin, par exemple, mais ce n’est généralement pas le cas.

5L’expérience acquise au cours des enquêtes faites jusqu’ici a montré qu’il est utile de soumettre le relevé à un ou plusieurs témoins supplémentaires. Mais pour que l’homogénéité ne soit pas détruite — puisqu’il n’y a pas deux personnes qui parlent de la même manière — les retouches proposées ne seront admises que dans la mesure où le témoin original les acceptera (à moins que l’un ou l’autre des reviseurs ne finisse par être gardé comme témoin définitif).

6Dans la liste de Faucett et Maki, il occupe la cote 2577 (1 = fréquence maximale).

7Cf. Interim Report et Haygood.

8Il n’existe, on le devine, aucune commune mesure entre la méthode ici décrite et le “système des concepts” imaginé par Hallig et Wartburg comme schème quasi universel pour la classification des faits lexicaux.

9Là où le questionnaire comporte des bouts de dialogue, le témoin se mettra à tour de rôle à la place de chacun des interlocuteurs.

10Un des vices fondamentaux de la théorie linguistique de Bühler (§ 2 : Das Organonmodell der Sprache) est d’avoir restreint la situation aux phénomènes extérieurs (Gegenstände und Sachverhalte) et d’en avoir exclu, par son schéma tripartite (émetteur-récepteur-situation), le parleur et l’entendeur. En réalité, dans chaque acte de parole la situation à laquelle le parleur a affaire comprend aussi: la disposition d’esprit du parleur luimême, l’entendeur qui lui fait face et les phrases échangées précédemment (au fur et à mesure de la conversation qui se déroule, celles-ci s’agrègent à la situation).

11Ces indications peuvent différer selon les langues. Comme le genre des pronoms français est ambigu aux cas obliques, on signalera s’ils se rapportent au masculin ou au féminin: 140. A lui: Quel âge lui donnez-vous? Dans un questionnaire allemand ou anglais, cela serait superflu.

12Bernard Bloch: ״totality of the possible utterances of one speaker at one time in using a language to interact with one other speaker”: Lg 24 (1948), p. 7.

13Cf. Bally 1952, p. 30 et suiv. (Enquête sur les faits d’expression).

14Témoin cet extrait d’un Guide de Varabe parlé [Syrie], cité par le Journal de Genève du 21 juillet 1955: “J’ai besoin de prendre un bain, depuis que je suis en voyage je n’en ai pas pris. Y a-t-il des bains chauds dans cette ville? — Oui, monsieur, il y a plusieurs bains bien tenus. — Il me faut un cabinet spécial, pour moi seul, afin de me déshabiller. — Par ici, s’il vous plaît. — Apporte-zmoi des serviettes propres, avec lesquelles personne ne se soit essuyé ... — Voici un pagne pour le milieu du corps. Voici une serviette que vous mettrez sur vos épaules. Ne marchez pas nu-pieds, je vais vous apporter des socques. — Je ne sais pas marcher avec les socques: je glisse. — Je vous tiendrai par la main. — Le cuir de ces socques est trop étroit, donnez-m’en d’autres qui soient plus larges. Je crains de tomber, tenez-moi par la main. — Par où est la porte? — A droite. Restez d’abord dans le bain extérieur, pour vous faire peu à peu à la grande chaleur. Asseyez-vous sur le bassin couvert, et si vous voulez transpirer beaucoup, mettez- vous sur le foyer. Plus vous transpirerez et plus la crasse se détrempera. — Appelez le baigneur pour qu’il vienne me frotter, car j’ai tran- spiré suffisamment. — Voulezvous que je vous assouplisse? — Non, je n’y suis pas habitué, cela me fait mal. — Laissez-moi vous masser. — Non, non, je ne le veux pas. — Couchez-vous sur le dos, sur le ventre, tournez-vous sur ce côté, donnezmoi la main, étendez le pied. — Qu’estce que vous allez encore faire? — Je vais vous laver avec la filasse et le savon. — L’eau est trés chaude. — Ouvrez le robinet de l’eau froide. — Où est la baignoire? Je ne puis y tenir, faites-moi sortir. Je vais tomber en syncope. — Bien vous fasse! Garçon, apportez le linge à essuyer. — Je m’essuierai tout seul. Apportez-moi une tasse de café, un verre de limonade, un narguilé. Où est la glace? Il me faut un peigne. Où est le maître du bain? Quel est le tarif? — Il n’y a pas de tarif, chacun paye suivant sa condition. — Prenez ceci pour vous. — Portez- vous bien. “

15Plutôt que selon la statistique qui se dégagerait du Bottin.

16Publication en préparation (Waseda University, Tokyo).

17Anglais et letton.

18Chapitre sur les Entités concrètes de la langue, § 2.

19Dans le sens défini plus haut: 3.2.3.

20J. Dupont, dans Leuvense Bijdragen 42 (1952), p. 90. Traduction: Il ne peut nullement être question de deux ״méthodes,” l’une historique, l’autre géographique, bien que lors des études préliminaires une telle division du travail soit souvent requise. Il n’y a qu’une méthode, la méthode historico-géographique.

21Exemples: le type Elle a les cheveux frisés (nos. 2, 5, 25, 53, 75, 88, 1370, 1447), ou encore les deux classes formées par les numéros 356, 426, 600, 695, 1114, 1350, 1888, respectivement 786, 895, 1191, 1484, 1514, 1656, 1664, 1900, 1979, qui s’opposent par le signifié et par le signifiant (intonation!).

* Le livre des deux mille phrases (1953; 2e éd. 1966), pp. 11-20.

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