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Geneva School Reader in Linguistics: Geneva School Reader in Linguistics

Geneva School Reader in Linguistics

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MODES DE RÉDUCTION DES SYNTAGMES*

1. Réductions concrètes. — 2. Réductions géométriques (lignages). 3 --. Formules. — 4. Statistiques. — 5. Résumé de la marche des opérations.

Le linguiste qui étudie un corpus formé d’une collection d’énoncés dispose de diverses méthodes pour exposer, sous une forme négligeant l’accessoire, les structures de syntagmes que son analyse a dégagées.

On entendra par structure la manière dont les parties d’un ensemble se comportent entre elles pour constituer un système. Un syntagme est un système, et qui a une structure.

Il existe deux sortes de structures: uniformes ou hiérarchiques.

Dans un syntagme du type uniforme, par exemple bleu- blanc-rouge, toutes les unités se comportent entre elles de la même façon (en symboles: A-B-C); il en résulte qu’un tel ensemble n’a pas de sous-syntagmes.1

Un syntagme qui comprend un ou plusieurs soussyntagmes forme une structure hiérarchique. Les divisions principales d’un syntagme sont ses architermes (angl. immediate constituents). Les architermes du syntagme une robe rose, dans la phrase Elle portait une robe rose (1310),2 sont une + robe rose (A + BC), ceux du syntagme la peau foncée, dans Elle a la peau foncée (88), sont la peau + foncée (AB + C). L’immense majorité des syntagmes appartient au type hiérarchique.

La structure d’un syntagme peut être réduite à ses architermes selon trois modes d’exposition: concret, géométrique ou par formules.

1. Les réductions concrètes existent sous deux formes: soustractive ou globale, qui peuvent se combiner.

La réduction soustractive consiste à supprimer, dans un énoncé, toutes les unités qui ne sont pas indispensables à son existence comme énoncé:

Les meubles, on les fera transporter plus tard (397) —■-- On les fera transporter. Cf. Fig. 8.

Ils sont bien trop fiers pour moi, ces gens-là! (816)-^ Ils sont fiers. Cf. Fig. 9.

Je pense que c’est pire (845) ----► Je pense, ou: C’est pire. Cf. Fig. 3.

à viendra certainement (1037) --— Il viendra. Cf. Fig. 10.

Les roses sont fanées, tout est par terre (1172) —- Les roses sont fanées, ou: Tout est par terre. Cf. Fig. 6. Il aime la chasse (1229) — Il aime. Cf. Fig. 10. La couleur est si belle et reposante, vous ne trouvez pas? (1305) — La couleur est belle, ou: La couleur est reposante. Cf. Fig. 5.

Elle a une belle voix (1345) — Elle a une voix. Cf. Fig. 2.

La réduction globale a pour effet de remplacer les soussyntagmes par des unités simples:

On les transporte (397)

Ils le sont (816)

Je le pense (845)

Elles meurent, tout tombe (1172)

Il Z’aime (1229)

Elle l’est (1305)

Elle en a une (1345)

Que la réduction soit du type soustractif ou global, il n’est pas nécessaire que le sens de l’énoncé reste identique: l’ana- lyse porte exclusivement sur la structure syntagmatique.

La réduction concrète a l’avantage de dégager les syntagmes faîtiers par opposition aux soussyntagmes (cf. les figures correspondant aux exemples cités). Elle constitue un préalable de la notation géométrique ou par formules.

2. Depuis longtemps, les linguistes s’aident de figures schématiques pour représenter la structure des syntagmes. Un type de graphes qui est en train de se répandre est !’«arbre», ainsi appelé sans doute à cause de sa ressemblance avec les arbres généalogiques:

Fig. 1 (Cooper 39¤3

L’arbre se compose de branches (droites) et de nœuds (angl. nodes)] ceux-ci sont les points d’où partent les branches. Il se lit de haut en bas, en passant des syntagmes aux soussyntagmes, et de gauche à droite. Pour correspondre à un énoncé complet (et non à une partie d’énoncé ni à plusieurs énoncés), il doit comprendre un syntagme faîtier auquel se rattachent les autres syntagmes.

Les nœuds répondent à trois notions différentes, mais liées. Ils représentent les catènes, c’est-à-dire les signes non segmentaux qui combinent les unités entre elles pour en faire des syntagmes (Frei 1962;Synt. et méth. § 2.2). Ils figurent aussi les classes syntagmatique s, le plus souvent étiquetées à l’aide de symboles ajoutés (Fig. 1 et n. 3). Enfin, ils se réfêrent aux rôles ou fonctions syntaxiques (sujet, objet, épithête, etc.; cf. Frei 1954).

Dans la pratique actuelle, les arbres sont peu différenciés les uns des autres; on ne les utilise pas pour représenter par leur dessin même les divers types de relations syntagmatique s. Il y aurait avantage, cependant, à le faire pour les trois principales au moins: mutuelle dépendance, dépendance unilatérale et coordination (cf. Frei, Synt. et méth. § 6.1). 

Le «pignon» (A) symbolisera la relation de mutuelle dépendance (les constructions exocentriques de Bloomfield), tandis que la figure de la «déviation» servira pour la dépendance unilatérale, la déviation de droite (A) pour Tordre noyausatellite et celle de gauche (X) pour l’ordre inverse:

Fig. 2

Les architermes successifs sont:

Elle + a une belle voix

   a + une belle voix (noyau + satellite)

      une + belle voix (noyau4 + satellite)

         belle + voix (satellite + noyau).

Le pignon n’est pas toujours au sommet de la figure; il peut luimême dépendre d’une déviation:

Fig. 3

Le sous-syntagme c’est pire est accroché àque.

Quant au rapport de coordination, il sera exprimé par le schéma de la «balance»:

Fig. 4

Il va sans dire que la balance peut commander des pignons et des déviations, et qu’il existe aussi des balances faîtières, ce qui est le cas lorsque deux énoncés sont coordonnés en un seul: 

Fig. 5

Fig. 6

La représentation de syntagmes discontinus provoque naturellement des croisements de lignes. Afin d’éviter que les lieux d’intersection ne soient pris pour des nœuds, il conviendra de figurer ces derniers, au moins dans ce cas, par un procédé explicite:

Fig. 7

Dans la figuration de la phrase fractionnée (la phrase segmentêe de Bally: §§ 79-99; cf. Frei, Synt. et méth. § 3.24), le satellite (le «thème» de Bally) sera représenté en couleur (ou dans la typographie en noir par des pointillés): 

Fig. 8 (Type AZ de Bally)

Fig. 9 (Type ZA de Bally)

Lorsque la vue d’ensemble risque d’être compromise par un trop grand enchevêtrement de lignes, on traitera les derniers sous-syntagmes comme des unités simples (quitte à ajouter le détail dans des figures annexes). Exemples: Fig. 7 (a coûté), Fig. 8 (fera transporter), Fig. 9 (bien trop fiers pour moi), (ces gens-là).

3. La réduction géométrique des syntagmes ne constitue pas, dans la présentation des résultats de l’analyse, l’étape finale: «Il arrivera un jour [...] où on reconnaîtra que les quantités du langage et leurs rapports sont régulièrement exprimables, dans leur nature fondamentale, par des formules mathématiques» (Saussure, notes pour un article sur Whitney, nov. 1894: Godel 44 et 220). Lentement, après plus d’un demi-siècle, cette prophétie va se réaliser (cf., parmi les travaux les plus récents, Cooper, Postal et Schnelle).

La notation géométrique apparaît au débutant comme un procédé plus concret et plus directement intelligible que les formules. En revanche, la formalisation permet une précision accrue; par elle, on peut représenter en principe toutes les distinctions, tandis que les lignages se contentent de figurer l’essentiel: on ne saurait les détailler davantage sans risquer d’aboutir à un écheveau. Par exemple, ce sont les mêmes lig- nes qui symbolisent la relation d’«objet» et celle de «circon- stance)):

Fig. 10

Un autre avantage des formules est leur maniabilité. La syntagmatique ne comprend pas seulement l’étude des rapports tactiques entre architermes; en dehors du domaine des sciences de la nature, tout système tactique est doublé et commandé par un système de rapports non tactiques [alias associatifs, paradigmatiques, etc.). D’où il résulte que dans la langue «Tous les phénomènes sont des rapports entre des rapports» (Saussure II: CFS 15, p. 68). Soit la relation tactique de dépendance unilatéraie: belle voix; elle peut être rendue géométriquement (Fig. 2: déviation) ou algébriquement, par la mise entre parenthèses du satellite: (belle) voix, en symboles: (s)n Or, cette relation est en même temps liée à deux autres relations, qui sont d’ordre non tactique.

La première est une relation d’appartenance: belle voix et voix sont membres d’une même classe de substitutions (Frei, Synt. et méth. § 3.2), ce qui peut s’exprimer géométriquement par l’inscription dans un rectangle:

ou par une formule (Cooper 20: set-membership relation):

sn є {sn, n}6

á є { sn, n}7

~ s є { sn, n}8

La seconde est une relation d’inclusion entre les membres de la classe. En vertu du critère de la réversibilité unilatérale (à savoir: belle voix est toujours remplaçable, en principe, par voix, mais la substitution inverse n’est pas praticable en toutes circonstances: Frei 1956, 162, § 2.4;Synt. et méth. § 6.221), le syntagme satellite-noyau est inclus dans le noyau, ce qui peut se traduire géométriquement par les cercles d’Euler (un cercle inscrit dans un autre), ou par une formule: sn c n.

Mais si les rapports non tactiques s’accommodent assez bien de la notation géométrique, les choses se gâtent dès qu’il s’agit de représenter «des rapports entre des rapports», par exemple celui entre tactique et non-tactique. Ainsi, le rapport tactique de dépendance unilatérale présuppose la relation non tactique d’inclusion (Frei, Synt. et méth. § 6.3): si belle voix n’était pas inclus dans voix, belle ne serait pas le satellite de voix. On pourra noter cette corrélation (rapport entre des relations) au moyen du symbole d’implication matérielle ɔ:

(sn C n) 0 (s)n, 9

tandis qu’il serait fort malaisé de projeter dans l’espace une algèbre où, selon l’expression de Saussure (ibid.), «on n’aura que des termes complexes».

La complexité s’accroît quand une science devient suffisamment avancée pour qu’on en arrive à l’exposer sous forme d’un enchaînement d’axiomes et de théorèmes: «Ich glaube: Alles, was Gegenstand des wissenschaftlichen Denkens überhaupt sein kann, verfällt, sobald es zur Bildung einer Theorie reif ist, der axiomatischen Methode und damit mittelbar der Mathematik» (Hilbert 415). On sait que chez les savants modernes 1’axiomatisation est liée à la formalisation (Bocheriski 78-9).

4. Alors que la réduction concrète est autant une méthode d’analyse que d’exposition, les lignages et les formules ne constituent que des moyens de notation et sont par conséquent tributaires de l’analyse syntagmatique préalable;10 mais ils aident à la perfectionner. A leur tour, les analyses notees géométriquement ou par des formules, pour manifester leur pleine utilité, devront être élaborées statistiquement.

En effet, normalement il n’arrive pas que tous les énoncés dont se compose un corpus aient chacun une structure syntagmatique différente. Ainsi, le schème dont relève la phrase 2 se retrouve ailleurs:

Elle a les cheveux frisés (2)

Il a le cœur faible (53)

Elle a les jambes courtes (75)

Elle a la peau foncée(88)

Tu as les mains glacées (1370) etc.

Il existe donc des structures récurrentesles ,c,est-ā-dire des types.

Le relief numérique de ces types étant,inégal,il sera nécessaire d,en faire la statistique.Il est vrai que résultats de cette derniére dépendront toujours jusqu’á un certain point de la nature du corpus,par conséquent de celui qui l’enquête(Frei1953,18-9 : § 5.2);mais cette objection tombe lorsque deux langues (ou dialects ou idiolctes)sont confrontées sur la base de relevés obtenus par le même questionnaire:même si l’adoption de tel questionnaire plutôt que tel autre est subjective par définition, les différences que l’on constatera entre les statistiques des deux corpus seront indépendantes de ce choix.11

5. Pour autant que Ton peut sérier chronologiquement les opérations d’analyse et de notation des syntagmes, la filière se présentera donc comme suit: réductions soustractives →réductions globales→lignages → formalisation →statistiques unilingues → confrontations typologiques.

Références

Bally, Charles, Linguistique générale et linguistique française. Berne, Francke 19654.

Bochenski, I. M., Die zeitgenössischen Denkmethoden. Berne, Francke 1954 (Dalp-Taschenbücher 304).

Cooper, William S., Set Theory and Syntactic Description. The Hague, Mouton 1964 (Janua linguarum, series minor 34).

Frei, Henri, Le livre des deux mille phrases. Genève, Droz 1953 (Société de publications romanes et françaises, 40).

Cas et dèses en français: CFS 12 (1954), 29-47.

Caractérisation, indication, spécification: For Roman Jakobson, The Hague, Mouton 1956, 161-8.

L’unité linguistique complexe: Lingua 11 (1962), 128-40.

Syntaxe et méthode en linguistique synchronique: Handbuch der geisteswissenschaftlichen Methodik, München, Oldenbourg (sous presse).

Godel, Robert, Les sources manuscrites du Cours de lin- guistique générale de F. de Saussure. Genève, Droz 1957 (Société de publications romanes et françaises, 61).

Hilbert, David, Axiomatisches Denken: Mathematische Annalen 78 (1918), 405-15.

Kahn, Félix, Le système des temps de Vindicatif chez un Parisien et chez une Bâloise. Genève, Droz 1954 (Société de publications romanes et françaises, 46).

Postal, Paul, Constituent Structure: A Study of Contemporary Models of Syntactic Description. Bloomington, Indiana University 1964.

Saussure II = Cours de linguistique générale (1908-1909). Introduction (d’après des notes d’étudiants): CFS 15 (1957), 3- 103.

Schnelle, H., Methoden mathematischer Linguistik: Handbuch der geisteswissenschaftlichen Methodik, München, Oldenbourg (sous presse).

Seiler, Hansjakob, Relativsatz, Attribut und Apposition. Wiesbaden, Harrassowitz 1960.

Notes

1La logique appelle les structures uniformes des coordinations. Cependant, le rapport grammatical de coordination, uniforme en tant que syntagme faîtier, comprend très souvent des termes subdivises en soussyntagmes: cf. fig. 5 et 6.

2Les exemples suivis d’un chiffre entre parenthèses se réfèrent aux numéros de mon Livre des deux mille phrases.

3Symboles: Quantified noun), U (= predicate phrase), D(eterminer), S(ingular noun), V(erb).

4Contrairement à la conception de Bloomfield, l’article est le noyau: Frei 1956, 163-5;Synt. et méth. §§ 3.232, 3.321; Seiler 12-3.

5La conjonction de coordination fait partie de l’un des deux termes: Frei, Synt. et méth. §§ 3.232, 5.2.

6A lire: «sn appartient à la classe formée par sn et n».

7A lire: «n appartient à la classe formée par sn et n».

8A lire: «s n’appartient pas à la classe formée par sn et n».

9A lire: «si sn est inclus dans n, alors (s)n».

10Sur la manière d’établir celle-ci, cf. Frei, Synt. et méth.

11L’ouvrage de Kahn est un exemple de cette méthode de confrontation typologique deslangues.

* Cahiers Ferdinand de Saussure 22 (Genève: Librairie Droz, 1966), pp. 41-51.

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