LES TROIS LINGUISTIQUES SAUSSURIENNES*
Introduction
A. Le Cours de Linguistique générale devant la critique
Même si le Cours de Linguistique générale de Ferdinand de Saussure devait un jour être vieilli dans toutes ses parties, il serait destiné à vivre encore dans le souvenir de la science du langage à cause de l’action puissante et féconde qu’il a exercée à un moment de son évolution.
Mais la question reste de savoir s’il est vieilli ou en voie de vieillir tout entier, ce qui est le sort commun et naturel de tant d’œuvres marquantes et utiles sur la route où progresse le savoir humain.
Sans doute il porte l’empreinte du temps. Après plus de vingt années d’efforts intenses qui ont renouvelé la pensée linguistique, on ne peut pas ne pas sentir que l’œuvre de Saussure est attachée par ses origines aux conceptions qui régnaient dans l’école, bien périmée, des néogrammairiens. Pour cette raison et pour d’autres encore bien des choses ont pu être critiquées, amendées dans son exposé. Il faut reconnaître aussi que les progrès de la linguistique n’ont pas paru toujours s’effectuer sur le plan et selon les normes préconisées par lui. Et c’est là un fait propre naturellement à détourner l’attention de ses enseignements. Mais, ceci concédé, il reste que sa pensée comporte des éléments d’une vérité indiscutable qui éclairent encore aujourd’hui la route des chercheurs et dont on est loin d’avoir tiré tout le parti que la science a le droit d’en attendre. Telle est par exemple la fameuse distinction entre la langue et la parole. Telles sont les vues que Saussure développe sur la différence entre la valeur et la signification d’un terme de langue ou les courtes et substantielles esquisses qu’il a tracées à propos des entités, des identités et des réalités linguistiques. Telle est sa doctrine sur les rapports associatifs et les rapports syntagmatique s en syntaxe.1 Telle est, par-dessus tout, sa méthode d’analyse, qui consiste à poser au centre de la lin- guistique le problème de la langue, fait sémiologique, dans toute son abstraction logique et à subordonner toute la pensée linguistique aux exigences de cette abstraction. C’est là à proprement parler la méthode saussurienne, et quand une bonne partie de ce qu’il a enseigné serait caduc, la tradition saussurienne vivra aussi longtemps que les linguistes continueront à s’inspirer de cette méthode. Pour notre part, nous croyons que la linguistique ne pourra s’organiser définitivement et progresser que dans un contact permanent avec une pensée qui lui assure sa parfaite substructure logique et par conséquent dans les cadres que Saussure a posés. C’est pour cela que le Cours est une œuvre de valeur durable, dans laquelle on viendra encore longtemps chercher les possibilités qui y sont contenues.
Mais la forme sous laquelle cette œuvre a été donnée à la science n’est manifestement qu’une ébauche. Appelé à donner des cours, très brefs d’ailleurs, de linguistique générale, le maître, dont la pensée était engagée dans un travail encore inachevé, n’a pas pu faire autre chose que d’apporter à ses élèves les préoccupations qui l’assiégeaient et les convictions qu’il s’était déjà formées sur des points essentiels. Trois fois, et chaque fois sur un plan différent, il leur a exposé ses vues, enseignant à ses auditeurs à voir beaucoup de questions autrement qu’on n’avait coutume jusqu’alors de les voir. Il pensait devant eux pour les faire penser, et ces jeunes gens, dominés et charmés par l’ascendant de son génie créateur, se sont appliqués à noter pleusement sur leurs cahiers ce qu’ils ont pu recueillir de sa bouche.
Mais jamais le maître n’aurait consenti à publier ces leçons telles qu’il les avait données. Il en sentait trop profondément le caractère inachevé et provisoire. Ceux qui ont entrepris, après sa mort, de tirer de ces cahiers d’élèves un ouvrage ordonné donnant une vue d’ensemble de sa doctrine, ne l’ont fait que par une sorte de confiance implicite dans la valeur des matériaux précieux remis entre leurs mains. Ils sentaient bien eux-mêmes, et ils l’ont dit dans leur préface, que leur œuvre devait être jugée avec quelque indulgence. Depuis lors ils ont eu tout le loisir de mesurer la hardiesse de leur entreprise, et ils seraient confus d’avoir fait une violence posthume aux légitimes scrupules d’un maître vénéré, si l’événement ne leur avait prouvé que, malgré tout, leur audace avait eu des résultats heureux et que, si c’était à refaire, il faudrait recommencer.
Ceci posé on comprendra que le Cours de Linguistique générale ait récolté, à côté des hommages mérités, des appréciations réservées et toutes sortes de contradictions. Cependant on comprendra aussi que, si compréhensibles que puissent être en elles-mêmes ces critiques, elles doivent, pour porter, remplir certaines conditions.
On ne peut pas aborder un pareil livre du dehors et se contenter de combattre avec des arguments qu’on a sous la main celles de ses thèses qui n’entrent pas dans le cadre de nos habitudes. Tout est ici trop en fonction de grands principes pour qu’on ne commence pas par s’expliquer avec ces principes eux-mêmes afin de se rendre compte de la place qu’ils occupent légitimement dans la pensée linguistique. On pourra ensuite, si on l’attaque quant au fond, montrer comment sa vérité doit être équilibrée avec d’autres vérités qu’il aurait négligées, ou, si on l’attaque quant aux applications, faire voir comment on peut faire une meilleure et plus juste utilisation des ses propres thèses. De toutes façons, la vraie critique du Cours consiste à collaborer avec son auteur, soit pour creuser plus avant qu’il n’a pu le faire les assises de la science linguistique, soit pour édifier d’une façon plus définitive la construction dont le Cours n’a pu fournir qu’une première et imparfaite ébauche.
L’abondante littérature du sujet nous fournirait sans peine des exemples de critiques formulées à l’égard des doctrines saussuriennes qui, parce qu’elles ne répondaient pas à ces conditions, sont restées à la surface des choses et reposent en général sur des malentendus. D’autres, au contraire, ont été fécondes parce qu’elles ont voulu être constructives.
Le plus illustre des élèves de Ferdinand de Saussure, le regretté Antoine Meillet, dans un compte rendu qu’il a consacré au Cours, le lendemain de sa parution,2 a d’emblée indiqué la voie à suivre. Il y écrivait: «Les objections que l’on est tenté de faire tiennent à la rigueur avec laquelle les idées générales qui dominent le Cours sont poursuivies». Et il indique lui- même une de ces objections. Il reproche à la linguistique saus sur ienne d’être trop abstraite. Le maître, qui a porté toute son attention sur l’aspect systématique de la langue, a négligé, selon Meillet, de considérer la réalité humaine où baigne celle-ci. Or c’est là une lacune que Meillet lui-même s’est constamment efforcé de combler; preuve en soient en particulier les deux beaux livres où il retrace l’histoire de la langue grecque et de la langue latine en fonction des destinées de deux peuples et de leurs civilisations.3
Nous avons déjà expliqué ailleurs,4 et nous y reviendrons ici, que cet effort est en réalité complémentaire de celui du maître. Nous avons là un exemple de la méthode qui consiste à mieux équilibrer les principes saussuriens avec d’autres également indiscutables.
L’autre méthode, celle qui cherche à l’intérieur de la doctrine saussurienne une meilleure application de ses propres thèses, a été suivie par l’école phonologique de Prague.
Tout le chapitre de la «Phonologie»5 dans le Cours de Linguistique générale repose sur une conception ambiguë des choses que Saussure n’avait pas eu le temps de tirer au clair. Il est le résultat de ses recherches personnelles pour résoudre le problème que le traitement des liquides et nasales sonantes en indo-européen avait posé devant son esprit. Les considérations d’ordre proprement physiologiques, qui y occupent la place principale, s’y mêlent donc à d’autres considérations concernant les phonèmes en tant qu’unités acoustico-motrices différentielles de la langue. Les linguistes de Prague sont venus dé- brouiller cet écheveau. De cette science de la physiologie des sons, que Saussure appelait «phonologie» et que nous appelons couramment «phonétique», ils ont séparé la phonologie proprement dite, la grammaire des phonèmes, et ils ont ainsi constitué une discipline de linguistique statique dont ils ont trouvé d’ailleurs tous les principes dans les pages maîtresses du Cours lui-même.
B. Le problême des rapports de la diachronie et de la synchronie
C’est dans ce même esprit et sur la base des idées que nous venons d’exposer que nous avons tâché d’intervenir dans l’un des débats les plus importants que le Cours de Linguistique générale ait suscité, celui qui concerne les rapports entre la linguistique statique et la linguistique évolutive. Dans le mémoire cité plus haut, qui a paru dans les Mélanges Bally et qui s’intitule Evolution organique et évolution contingentielle, nous avons discuté la thèse si critiquée de Ferdinand de Saussure selon laquelle les faits d’ordre diachronique seraient entièrement différents des faits d’ordre synchronique, de telle sorte qu’il n’y aurait jamais de véritable rapport intrinsèque entre un événement dans l’histoire de la langue et ses conséquences concernant les états de langue. Nous avons exposé les arguments formulés contre la dite thèse par M. von Wartburg et ceux qui ont été présentés en sens inverse par M. Bally. Nous en concluions que ces discussions, d’ailleurs fort intéressantes en elles-mêmes, ne semblaient aboutir clairement ni en faveur de Tune des thèses en présence, ni en faveur de l’autre et que le problème était à reprendre sur nouveaux frais.
C’est ce que nous avons fait en tâchant d’établir que la thèse saussurienne prise non pas à la lettre, mais interprétée à la lumière des idées qui régnaient à l’époque où elle a été formulée, ne comportait pas tous les paradoxes qu’on a voulu y voir. Elle revient à établir le fait bien simple et en lui-même évident que Taxe du temps est le lieu où se produisent les événements, en eux-mêmes étrangers au système grammatical, mais qui, agissant sur la langue au travers de la parole amè- nent des perturbations dans ce système et l’obligent à des réajustements; en un mot, que l’opposition du diachronique et du synchronique, telle que Saussure Ta vue, revient à celle qu’il y a entre les facteurs contingentiels, qui agissent du dehors sur la langue, et les facteurs organiques, qui soutiennent la langue du dedans.
En ce faisant nous avons usé évidemment de beaucoup de liberté à l’égard du texte du maître, mais nous croyons, en procédant à une révision de ses principes, avoir continué et précisé sa pensée retenue et déformée par certaines préoccupations qui dominaient la linguistique de l’époque.
Ceci n’était d’ailleurs qu’un commencement. Comme nous le disions en terminant: «Cet examen critique d’une question controversée et les vues que nous venons d’exprimer ne résolvent pas l’ensemble du problème. Ce n’est qu’un premier résultat qui demanderait à être corroboré par un exposé constructif et synthétique dans lequel on montrerait comment les diverses disciplines linguistiques collaborent, chacune à sa place et selon sa méthode, à la connaissance d’un objet complexe dont il s’agit de saisir les aspects divers à la fois dans ce qui les distingue et dans ce qui constitue leur interaction. C’est en faisant ce travail, lequel se fonderait naturellement sur le classement saussurien: linguistique statique, linguistique de la parole et linguistique historique, qu’on aurait à résoudre toutes les difficultés petites ou grandes qui peuvent subsister et en particulier à montrer comment il faut comprendre le rapport entre le fait de parole et le fait diachronique, que M. Bally en vrai saussurien veut qu’on distingue, tandis que M. von Wart-burg procède sans scrupule à leur identification.»
Tel est le programme que nous avons ici devant les yeux. Il s’agit, comme on le voit, de perfectionner cette substructure logique de la science linguistique dont nous parlions plus haut, de mieux organiser ses méthodes d’analyse et d’exposition — pour le plus grand profit des résultats obtenus — et cela par une application plus exacte de distinctions que Ferdinand de Saussure nous a enseignées depuis longtemps, mais dont personne encore n’a tiré tout ce qui y est implicitement contenu. Programme ambitieux s’il en fut, en face duquel les pages qui suivent ne représentent qu’un essai sommaire et sur beaucoup de points sans doute discutable.
I. Le cadre logique des trois linguistiques saussuriennes
Avant toute chose il convient de fixer certaines idées concernant le cadre des distinctions saussuriennes.
Ferdinand de Saussure a établi deux distinctions célèbres et également fécondes. D’une part, comme on le sait, il distingue la langue, qui est l’ensemble et le système des signes arbitraires en usage à un moment donné dans une société donnée, de la parole, qui est l’acte particulier et concret d’un sujet usant de la langue soit pour se faire comprendre, soit pour comprendre. D’autre part il distingue la synchronie de la langue, c’est-à-dire sa constitution, ses sons, ses mots, sa grammaire, ses règles, etc., en un certain lieu et en un certain temps, de la diachronie de la langue, c’est-à-dire les transformations que Ton voit s’y produire à travers le temps.
Comme cette dernière distinction ne s’applique qu’à la langue et non à la parole, ces deux divisions pratiquées parmi les faits du langage n’engendrent pas quatre, mais trois disciplines seulement. Il y a une linguistique synchronique ou statique et une linguistique diachronique ou évolutive. Entre les deux se place la linguistique de la parole, laquelle a pour objet le phenomène qui, tout naturellement, sert d’intermédiaire entre le fait synchronique et le fait diachronique. En effet, chaque fois qu’une personne parle pour se faire entendre ou interprète ce qu’elle a entendu, il y a place pour une novation possible, si minime soit-elle. Celui qui parle peut s’écarter plus ou moins de l’usage admis, celui qui interprète peut avoir l’intuition d’un moyen d’expression tant soit peu nouveau, et c’est la somme énorme de ces menus accidents de parole qui produit finalement, comme résultantes, des transformations des institutions de la langue, insensibles dans leur cheminement, mais souvent très profondes. La parole tient donc à la fois de la synchronie, puisqu’elle se fonde sur un état de langue déterminé, et de la diachronie, puisqu’elle contient en puissance le germe des transformations futures. Dans leur ensemble et dans cette succession ces trois disciplines: linguistique statique, linguistique de la parole et linguistique diachronique représentent un cycle fermé qui considère successivement tous les aspects possibles du phénomène: un état de langue, son fonctionnement et ses évolutions, lesquelles créent de nouveaux états de langue qui, en fonctionnant, continueront à évoluer et ainsi de suite.
Peut-on déterminer d’une façon plus précise le rapport qui existe entre la langue d’une part (dans ses états et dans ses évolutions) et la parole d’autre part de manière à faire pleinement saisir l’enchaînement que nous venons de décrire?
F. de Saussure répond à cette question en disant6 que langue et parole sont deux objets entre lesquels on constate un rapport d’interdépendance, donc de réciprocité: «... la langue est nécessaire pour que la parole produise tous ses effets; mais celle-ci est nécessaire pour que la langue s’établisse. .. Cellelà (c’est-à-dire la langue) est à la fois l’instrument et le produit de celle-ci (c’est-à-dire la parole)».
Cette dernière constatation est juste sans doute; mais nous ne pensons pas qu’on puisse se contenter de cette simple idée de la réciprocité. Le maître s’est ici laissé induire en erreur par deux tendances familières à son esprit. La place centrale et dominante qu’il accorde par principe à la langue dans sa doctrine l’a empêché de lui attribuer une position subordonnée. Malgré toutes les raisons qu’il voyait lui-même de le faire (qu’on relise en entier le passage auquel nous nous référons), il n’a pas pu se résoudre à faire dépendre la langue de la parole; il a été amené à les mettre dans un rapport de simple coordination et de services réciproques. Il en résultait une conception un peu subtile, mais qui n’était pas pour lui déplaire, car elle répondait à ce goût pour les formules paradoxales qui, dans d’autres occasions, l’a admirablement servi.7
En réalité la parole est une chose qui logiquement, et souvent aussi pratiquement, précède la langue et le phénomène linguistique dans le sens saussurien du terme. Tout acte expressif, toute communication, par quelque moyen qu’elle s’opère, est un acte de parole. Le touriste égaré qui crie, gesticule, allume du feu pour attirer l’attention, parle à sa manière et sans que la langue y soit pour rien. Sans vouloir percer le mystère des origines du langage, il est permis de dire qu’on trouvera toujours à son point de départ les moyens naturels d’expression qui nous sont donnés par notre nature psychophysiologique. Les cris des animaux en sont une forme stéréo- typée et agrégée à l’instinct de l’espèce. Le langage humain en est une forme socialisée, et par là profondément transformée.
Si la langue est née de la parole, à aucun moment la parole ne naît de la langue; il n’y a pas de réciprocité. La parole s’organise seulement plus ou moins selon les règles de la langue qu’elle a elle-même créées afin de devenir plus claire et plus efficace. Du même coup les conditions de la parole sont changées dans une large mesure, mais elle n’est pas pour cela atteinte dans sa nature propre. Elle garde ce quelque chose de spontané et de vivant qui est essentiel, parce que sans cela il n’y aurait rien du tout. Cette spontanéité et cette vie de la parole peuvent être voilées derrière le déroulement des formules grammaticales. La parole semble être alors un simple fonctionnement de la langue; mais elle est quand même toujours quelque chose de plus. Elle reste l’élément moteur et directeur de l’acte qui s’accomplit. C’est d’elle que jaillissent à l’improviste des possibilités créatrices — comme c’est d’elle aussi que procèdent toutes les négligences.
«Au commencement était la parole.» On peut en tout res- pect transposer cette formule célèbre et l’appliquer aux choses de la linguistique. Elle veut dire ici que toute science du langage est nécessairement emboîtée dans la science de l’expression naturelle ou prégrammaticale, comme nous l’avons nommée ailleurs.8 L’intervention de la linguistique de la parole entre la linguistique statique et la linguistique diachronique n’est pas autre chose qu’un effet de la primauté du facteur humain et vital en matière d’expression sur le facteur de l’abstraction intellectuelle et de l’institution sociologique que la langue représente. Par la parole cette dernière reprend constamment le contact avec ses propres sources; elle ne persiste et ne se renouvelle que par là.
Tout ceci peut paraître bien peu saussurien. Pour rentrer dans la ligne du Cours, il suffit de rappeler la grande vérité que l’œuvre du maître met en évidence: la langue, phénomène sociologique et sémiologique, système de signes arbitraires, est une chose sui generis qu’il importe de ne pas confondre avec toutes les formes de l’expression qui ne seraient que psychologiques. Ceci étant admis, nous constituerons la linguistique, science de la langue, sur sa propre base qui est la science de la langue en soi, la linguistique statique. Seulement nous ne pourrons le faire que si nous avons commencé par l’emboîter tout entière dans son milieu humain, c’est-à-dire dans toutes les conditions qui expliquent d’abord l’apparition du langage prégrammatical: connaissance de l’homme et de son milieu, de ses réactions émotives, de ses gestes expressifs y compris ceux de la voix, etc. Ceci fait, la science de la langue, ainsi emboîtée, se construira en trois étages avec ses trois disciplines sur la base de la linguistique statique, avec ceci de particulier cependant que la discipline qui relie la statique à la diachronique ne sera plus celle de la parole (qui figure déjà comme discipline emboîtante), mais celle de la parole organisée, celle du fonctionnement de la langue au service de la vie. Soit:
Comme Ferdinand de Saussure entend sous le nom de linguistique de la parole, en fait, uniquement la linguistique de la parole organisée, tout notre raisonnement n’aboutirait en fin de compte qu’à une très modeste correction de terminologie, s’il n’y avait pas dans notre schéma le cadre emboîtant de la parole proprement dite et de l’expression prégrammaticale. C’est cet emboîtement qui donne à l’ensemble du tableau son équilibre et sa structure logique. Et c’est cela qui est essentiel en vue de l’examen auquel nous allons maintenant procéder.
II. La linguistique synchronique ou des états de langue
Depuis que grâce à F. de Saussure on a rendu à la linguistique des états de langue la place de premier rang qui lui revient de droit, les savants ont travaillé avec une ardeur croissanté dans son domaine. L’institution de la langue a été soumise dans toutes ses parties à des recherches et à des analyses originales. Toutes les idées concernant les catégories et les unités panchroniques de la grammaire: phrases, mots, parties de mots, phonèmes, procédés morphologiques, parties du discours, systèmes de flexion, etc. ont donné lieu à des théories et définitions nouvelles, et l’on verra bientôt surgir une science qui, sur bien des points, pourra confirmer certaines données de la grammaire traditionnelle, mais qui, d’une façon générale, est destinée à se substituer entièrement à la discipline toute formelle et scolastique dont on a dû se contenter trop longtemps.
Mais ce n’est pas de ces conquêtes de la théorie grammaticale que nous avons à nous occuper ici. Ce qui nous intéresse, ce sont les caractéristiques les plus générales de cette science, de son objet et de sa méthode. Ayant pour tâche de décrire des états de langue, elle est dans l’impossibilité de saisir son objet dans toute sa réalité concrète; elle doit se contenter d’en donner une image simplifiée, approximative et idéale. C’est la seule manière de le penser.
Cela est vrai de toutes les sciences descriptives. En cosmographie on enseigne que la terre est une sphère dont les deux pôles sont aplatis selon une formule mathématique que Ton connaît; mais on néglige les menues irrégularités de sa surface: le Mont-Blanc et l’Himalaya ne comptent pas. Cela est tout particulièrement vrai en linguistique statique et pour beaucoup de raisons inhérentes à la nature même de l’objet considéré. La notion même d’état de langue devient douteuse quand on la confronte avec la complexité réelle des faits.
Les dialectologues qui font des relevés sur le terrain enregistrent dans le même village, parfois aussi dans la même famille, des témoignages discordants concernant la manière de former, de prononcer ou de fléchir certains mots. Les langues que Ton peut considérer comme fixées ne le sont que relativement, et même le bon usage comporte un grand nombre de formes concurrentes entre lesquelles le choix n’est fixé par aucune règle sûre (en français: je ne crois pas qu’il dorme ou qu’il dort; qu’on songe aussi au genre des noms de villes, à certaines formes du verbe asseoir, etc.). En fait chacun a dû acquérir ses propres habitudes linguistiques, et ces habitudes, non seulement ne sont pas nécessairement toujours identiques à celles du voisin, mais encore elles ne sont pas toujours stables non plus. L’état d’une langue à un moment donné est une situation intermédiaire entre la langue d’hier et celle de demain, c’est une réalité labile et proprement insaisissable. Il faut tenir compte encore du fait que, dans nos sociétés socialement hétérogènes, la plupart des individus parlent simultanément plusieurs langages (langue familière, langue écrite, langues techniques ou savantes, etc.), ce qui suppose une conscience linguistique organisée sur plusieurs centres à la fois et par conséquent pleine de contradictions et d’équilibres instables. Cet aspect social de la complexité d’un état de langue n’est d’ailleurs qu’un autre aspect de sa labilité et de son devenir. Le principe de stabilité n’est donc pas dans la réalité concrète, dans les faits. Il est derrière cette réalité, il est dans la volonté collective et inconsciente de maintenir une organisation suffisamment stable du langage. Il y a une force toujours présente qui empêche l’usage de se désagréger dans un désordre par trop inorganique. Et c’est parce que cette force existe et qu’elle est efficace que cet idéal d’organisation et de stabilité se trouve partout assez réalisé pour répondre aux besoins pratiques de la communauté parlante.
La tâche propre de la linguistique statique n’est donc pas d’embrasser tous les faits, mais de dégager de l’ensemble de ces faits ce qui répond dans quelque mesure à l’idéal abstrait d’un état de langue.
L’existence d’un fait de langue suppose théoriquement deux conditions, qui ne sont jamais remplies que d’une façon imparfaite. Il faut d’abord qu’il représente une habitude commune à tous les membres d’un groupe social et rigoureusement identique à elle-même chez chacun d’eux. C’est le principe de «l’homogénéité». Il faut ensuite qu’il soit encadré dans la conscience de tous les sujets parlants par d’autres habitudes, par d’autres faits de langue également identiques et formant ensemble dans leurs relations réciproques un système grammatical bien défini, «une langue». C’est le principe de la «cohé- rence systématique». Le domaine de la linguistique statique va aussi loin qu’il est légitime, c’est-à-dire possible et utile, de faire entrer des faits de langage dans ce cadre logique en né- gligeant les menus détails qui pourraient faire difficulté.
Or, nous l’avons dit, un très grand nombre de faits peuvent et doivent effectivement être considérés de cette façon. C’est ainsi qu’il est non seulement indiqué, mais nécessaire de parler du verbe du français moderne, de sa constitution dans l’ordre de la pensée et dans l’ordre de la forme, du système de ses temps, par exemple, et de définir la valeur de chacun d’eux par opposition aux autres temps. Mais il suffit de pousser un peu plus loin la curiosité pour se rendre compte que les possibilités et, par conséquent, l’utilité de traiter les faits comme les parties intégrantes d’un système de langue stable et homogène sont très relatives. Déjà lorsqu’on parle du passé simple (j’écrivis), il faut faire intervenir des considérations de style et de géographie qui rompent le système, et à plus forte raison si l’on veut parler des temps surcomposés (j’ai eu écrit). Qu’on aille encore plus loin et Ton franchira la limite qui sépare la langue commune des habitudes et des goûts personnels. Paul Stapffer9veut qu’on distingue soigneusement rien moins que de rien de moins que f Le Gal10 constate qu’on les confond souvent et n’y voit pour sa part aucun inconvénient; en revanche il tient à ce qu’on garde au mot effluves son genre masculin, tandis que Stapffer a des indulgences pour le féminin qu’on lui attribue volontiers.
De la grammaire personnelle on passe par une transition insensible à la grammaire occasionnelle, aux équilibres fragiles et changeants entre les formes d’expression et par conséquent de la statique aux phénomènes de la vie et du devenir.
En fait le grammairien est placé entre deux possibilités dès qu’il quitte le terrain solide de la grammaire élémentaire où tout paraît parfaitement organisé. Il peut interpréter le donné, le systématiser et prêter aux faits, là où cela est nécessaire, un peu plus d’organisation qu’ils n’en ont réellement. Cela n’est pas illégitime dans certaines limites, et le gram- mairien qui fait cela, à ses risques et périls, agit en réalité dans le sens même où la langue, qui repose sur une tendance à l’organisation, l’incite à marcher. Il lui aide pour ainsi dire à prendre parti.
La nécessité de ces choix apparaît manifeste quand on pense aux transformations dont la langue est le théâtre. Le participe présent du latin (chantant < lat. cantantem “qui chante”) s’est confondu pour la forme et pour le sens avec le gérondif ablatif du latin (chantant < lat. cantando “par le fait de chanter״) de telle sorte qu’il Ta absorbé. A partir d’un certain moment on n’a donc plus senti cette dualité. Par contre le participe présent s’est distingué d’autant plus nettement des adjectifs proprement dits à forme participiale (une histoire amusante). D’autre part un autre emploi du gérondif, celui qui fait appel à la préposition in(en chantant < lat. in cantando), a subsisté d’abord dans son ancien rôle, puis à la faveur de certaines circonstances, a perdu ce caractère pour devenir une sorte de locution participiale d’une valeur spéciale.11 D’époque en époque, ces formes ont donc constitué entre elles des systèmes différemment équilibrés, et entre ces époques, il y a eu place pour de longues phases de transition où le sentiment des sujets parlants devait hésiter entre l’ancienne et la nouvelle interprétation des valeurs et les divers systèmes d’associations mentales qu’elles supposaient. S’il s’était trouvé alors un grammairien pour s’occuper de ce problème, il aurait pu être incité à fixer son choix sur l’une ou l’autre manière de voir les choses. Et ce que nous disons là à propos de cet unique exemple pris au hasard est d’une application constante, puisqu’à tout moment l’institution de la langue est en voie de transformation sur bien des points. C’est ainsi, par exemple, qu’aujourd’hui encore nous avons des grammairiens qui considèrent le subjonctif français comme vivant et qui s’efforcent de déterminer sa valeur essentielle, et d’autres qui voient en lui un archaïsme, une survivance au sujet de laquelle il faut se borner à énoncer des règles d’application limitée. Notons que celui qui, soit génie, soit bon hasard, a misé dans le passé sur des interprétations auxquelles la langue s’est arrêtée finalement, passe pour un grand esprit aux yeux de ses après-venants. Tant il est vrai qu’il ne s’agit pas d’un choix arbitraire et sans portée, mais d’une opération importante et par laquelle la science statique prend contact avec ce qui est en devenir derrière le système — en apparence rigide — de la grammaire.
L’autre possibilité consiste à se rabattre sur la simple énumération de faits contradictoires que l’on juxtapose sans chercher à les systématiser. Du même coup on quitte le terrain propre de la linguistique statique, et les faits ainsi énumérés, ne se définissant plus par rapport à un système unique et ne se classant plus dans leurs rapports réciproques, sont du même coup superficiellement présentés.
Les divers grammairiens abonderont dans un sens ou dans l’autre, non seulement d’après leur tempérament, mais aussi et surtout selon leur propos. Par exemple, il va sans dire que toute recherche qui porte sur le classement et la systématisation des faits — pensons par exemple aux tableaux phonologiques que le regretté prince Troubetzkoi et à sa suite les tenants de l’école de Prague ont établi pour de nombreuses langues — fait appel aux interprétations intuitives. La systématisation jouera aussi un rôle en vue dans tous ces travaux de grammaire qui sont inspirés par des préoccupations doctrinaires et de purisme Les expressions considérées comme fausses sont rejetées hors de la langue et simplement ignorées; les expressions «correctes» donnent lieu à des définitions ne varietur qu’on oppose les unes aux autres et auxquelles on prétend soumettre l’usage. Ainsi en français la différence entre un soi-disant médecin et un prétendu remède à l’exclusion de un soidisant remède, sans parler d’un soit-disant remède qu’on voit apparaître sous la plume de bien des gens.
Inversement la tendance à juxtaposer n’importe quoi domine dans les ouvrages descriptifs et consultatifs, surtout s’ils portent sur des états de langue extrêmement diversifiés chronologiquement et socialement, comme le sont, dans l’acception usuelle de ces termes, le français ou l’anglais modernes. Un article du dictionnaire de Littré, par exemple, avec son ordre logique, si ingénieusement établi qu’il soit, est une accumulation de faits qui n’a qu’un lointain rapport avec un système de langue. Nous en dirons autant, par exemple, des volumes complémentaires de la grammaire bien connue de Plattner.12 Une immense collection d’exemples variés et contradictoires tirés d’un nombre considérable d’ouvrages littéraires et rangés d’après les rubriques d’un exposé général de syntaxe française ne peuvent pas constituer une systématisation. C’est une mine où viendront puiser ceux qui cherchent à se documenter sur une question spéciale. Ce sont des matériaux qui attendent l’effort d’interprétation et de classement qui saura rapprocher ce qui doit être rapproché et séparer ce qui ne saurait coexister dans le cadre de l’homogénéité et de la cohérence d’un système de langue.
Que de tels exposés soient nécessaires et entièrement dignes de la science s’ils sont établis avec toute l’érudition et toute la conscience nécessaires, cela ne fait pas l’ombre d’un doute; mais ils n’ont par eux-mêmes qu’un rapport indirect avec la science des états de langue telle que nous l’avons définie.
III. La linguistique de la parole organisée ou du fonctionnement de la langue
L’objet propre de la linguistique de la parole organisée est d’une tout autre nature que l’objet de la linguistique statique. Tandis que cette dernière travaille nécessairement sur des généralités extraites par abstraction et par approximation du concret, la linguistique de la parole s’intéresse au contraire aux phénomènes concrets, aux actes dans lesquels la langue est mise au service de la pensée, avec tout ce qui fait de chacun d’eux un phénomène occasionnel différent de n’importe quel autre phénomène. Chacun de ces actes surgit, en effet, dans un lieu et un temps déterminés, entre des interlocuteurs ayant chacun sa personnalité et dans un ensemble de circonstances spéciales qui le déterminent. Il comporte de la part du sujet parlant, pour ne parler que de lui d’abord, un certain emploi des ressources de la langue combinées naturellement avec celles du langage symbolique et spontané. Cet emploi peut être souvent assez banal et ne manifester que des particularités tout à fait minimales, accessibles seulement au microscope, pour ainsi dire. D’autres fois, au contraire, il témoigne d’un effort intelligent pour adapter les moyens disponibles aux exigences d’une pensée personnelle. C’est là que la parole se manifeste comme une puissance créatrice, ordonnatrice et féconde. Ailleurs encore, et plus souvent, les traits spéciaux d’un acte de parole organisée sont commandés par les facteurs négatifs de l’ignorance, de l’incompréhension et de la négligence. La parole exerce alors au contraire une action délétère et désorganisatrice à l’égard de l’instrument dont elle se sert, mais cette action n’est pas moins digne d’être analysée et expliquée que l’autre. Quel que soit l’acte accompli par le sujet parlant, il est recueilli tel quel par l’entendeur qui le soumet à son analyse et l’interprète pour le comprendre. Cet acte de parole organisée, non pas passive, mais réceptive, n’est pas moins important que l’autre, et ici encore le sujet obtient des résultats en harmonie avec l’effort mental qu’il fournit. L’interprétation, comme la parole active, peut être banale, constructive ou destructive. Elle agit dans l’un ou l’autre de ces trois sens sur la conscience linguistique de celui qui l’opère.
C’est tout cela qui doit être analysé psychologiquement et linguistiquement à la lumière de toutes les données dont on peut disposer dans chaque cas.
Nous n’avons pas à tracer ici le programme détaillé de cette étude. Quelques indications toutes provisoires ne sont pas inutiles cependant.
Dans le domaine de la phonologie, on a à s’occuper de tout ce qui peut déterminer des variations dans la manière d’articuler les phonèmes et en particulier de ces lois panchroniques si exactement établies par M. Grammont et qui concernent le mécanisme spontané de l’articulation selon que l’attention se serre ou se relâche, ainsi que la façon dont les phonèmes exercent une action inductrice les uns sur les autres.13
Dans le domaine de la sémantique, nous avons à faire avec les choix auxquels nous procédons entre les termes de la langue, vocables ou procédés de grammaire selon leurs valeurs respectives constituées par des associations mentales des termes entre eux et de chacun d’eux avec des impressions et des sou- venirs. Nous avons affaire à la manière plus ou moins heureuse dont ces valeurs sont mises au service des notions infiniment variables et variées que la réalité nous offre; nous avons à voir comment les significations, sous l’influence de facteurs affectifs sont soumises à d’incessantes transformations, en particulier par l’emploi figuré.
Cette étude traite encore de la création souvent inconsciente de mots nouveaux par onomatopée, par analogie, par composition ou par emprunt. Elle a également à s’occuper des ordonnances expressives, des ellipses, des pléonasmes et de tous les phénomènes qui affectent l’accentuation, la modulation et le rythme, toutes choses qui appartiennent en propre au domaine de la phrase et de la syntaxe.
Tous ces faits énumérés jusqu’ici concernent l’action du sujet parlant. Celle du sujet entendant se ramène toujours à deux opérations d’ailleurs simultanées et solidaires: l’interprétation et le classement.
L’interprétation de la série sonore perçue en éléments significatifs a un aspect phonologique et un aspect sémantique. Ce dernier implique, avec l’intuition des idées exprimées, la délimitation des unités expressives et par conséquent toute une série d’opérations d’analyse et de synthèse. On sait que, dans des cas innombrables, l’esprit de celui qui interprète peut hésiter entre des solutions divergentes dans ce domaine.
Quant au classement des unités reconnues, il touche d’abord au problème de l’identification (je reconnais ou je ne reconnais pas tel mot, tel suffixe, etc.),14 et il comporte ensuite une constante utilisation et révision du jeu des associations mentales des éléments significatifs entre eux ainsi que des éléments significatifs avec les choses, bref tout ce qui représente en nous le système même de la langue.
La linguistique de la parole organisée, telle que nous venons de la définir, n’est pas encore constituée comme discipline autonome. On ne l’a pratiquée jusqu’à aujourd’hui qu’occasionnellement, dans certains cas particuliers, ou bien on en a fait à propos d’autre chose et rarement sous son vrai nom.
Il y a deux cas où le savant se trouve contraint de faire — sans le savoir — de la linguistique de la parole organisée. C’est d’abord quand la critique littéraire s’efforce d’analyser méthodiquement un style. Le style, c’est, en effet, la marque personnelle que l’écrivain — ou l’orateur — imprime à son langage dans une occasion donnée. Il est regrettable seulement que ceux qui ont entrepris cette tâche ignorent trop en général les méthodes et les catégories de l’analyse linguistique. L’union de la science de la langue avec le sentiment esthétique d’un véritable critique d’art est la condition indispensable de tout travail fécond dans ce domaine. L’avenir nous fournira certainement de telles réalisations. Le progrès de la science linguistique, l’élargissement constant de ses horizons nous en sont garants, et déjà on peut en signaler des commencements de réalisation.15Cependant la critique littéraire ne saurait épuiser le programme de la linguistique de la parole organisée, car le style d’art a toujours quelque chose d’un peu artificiel. Il détourne au service d’un effet cherché quelque chose qui appartient en propre aux mouvements les plus spontanés de la vie. Et seul le style des plus grands présente un intérêt véritable.
L’autre domaine où l’on a fait nécessairement de la linguistique de la parole organisée, c’est l’observation et l’étude du langage des petits enfants. Nombreux sont les savants qui se sont intéressés au problème de l’apprentissage de la langue et qui ont accumulé des matériaux sur cette matière. Ici on a effectivement travaillé sur le vif et avec des préoccupations proprement linguistiques. Malheureusement ces observations sont restées trop souvent superficielles et les conclusions qu’on en a pu tirer sont en général assez banales. On ne s’est pas suffisamment rendu compte du fait qu’un acte de parole pour être bien compris et interprété demande à être relevé avec une précision et une minutie extrêmes dans tous ses éléments. A cet égard les beaux travaux que M. Grégoire a entrepris sous le titre L’Apprentissage du Langage 16 pourront servir de modèles. Mais il ne s’agit encore que de l’étude du langage organisé dans ses premiers stades. Cette méthode d’observation et d’analyse scrupuleuses doit être appliquée mutatis mutandis à l’usage que les adultes font de la langue. Ce travail-là n’a pas encore été entrepris.
Est-ce à dire que la linguistique de la parole organisée soit plus ou moins absente des ouvrages de linguistique qui chargent les rayons de nos bibliothèques? Que non pas. On en trouve, au contraire, d’abondantes et larges traces répandues un peu partout.
En fait, il est dans la nature des choses que tous ceux qui s’occupent de la langue, soit pour en décrire les états, soit pour en raconter les évolutions, se heurtent, dès qu’ils portent leur attention sur le détail des faits, aux phénomènes de la vie, c’est-à-dire de la parole. Il y a entre le consentement collectif, qui fait l’institution, et l’improvisation occasionnelle, qui fait la parole, en passant par les impressions individuelles qui sont de la langue en puissance, une frontière invisible, impossible à tracer, que le linguiste franchit sans cesse, soit dans un sens, soit dans l’autre.
Il est évident, par exemple, que le dialectologue scrupuleux, au cours de ses enquêtes, se rendra compte qu’il n’atteint l’état de langue qu’il veut enregistrer qu’à travers la parole de ses témoins avec ce qu’elle peut contenir de personnel ou de fortuit. Il est impossible de questionner les gens et d’enregistrer les réponses obtenues avec critique sans devenir à la longue un spécialiste de la parole.
Il en est exactement de même de l’historien des évolutions de la langue. Dès qu’il s’attache au détail, il s’aperçoit que ces évolutions ne procèdent pas selon un mouvement continu et rectiligne, mais qu’elles avancent à travers beaucoup d’hésitations et de fluctuations. à suffit de penser ici aux régressions phoné- tiques et aux résistances contre les prononciations populaires, qui ont joué un si grand rôle dans la formation du français moderne.17 De toute façon, les transformations qui se produisent dans la langue se traduisent au moment où elles s’opèrent par des flottements dans la parole.
Une certaine collusion pratique de ces divers points de vue est donc légitime, pourvu qu’elle ne nuise pas à la distinction théorique des disciplines et des méthodes. Le meilleur moyen d’assurer cette distinction, ce serait d’instituer enfin la science de la parole en discipline autonome dans un ouvrage où sa perspective propre serait rigoureusement observée, et dont le matériel d’exemples serait, dans la mesure du possible, prélevé directement sur la vie selon des méthodes d’enquête appropriées.
En attendant, il convient de signaler une erreur qui remonte à l’école néogrammairienne et qui se perpétue encore aujourd’hui en vertu d’une tradition tacitement acceptée. Cette erreur consiste à ne pratiquer la linguistique de la parole qu’à l’occasion des faits enregistrés par l’histoire de la langue et par conséquent à absorber pratiquement tout ce qui est de son ressort dans la diachronie.
On raisonne comme suit: En français nous avons deux mots: cheval qui désigne un animal et chevalet qui désigne une sorte de meuble à quatre pieds écartés supportant une pièce de bois et sur lequel on peut poser quelque chose de lourd. Chevalet signifiait à l’origine ‘un petit cheval’ — on peut citer des textes à l’appui. Ce mot, dans cette acception, a été formé sur cheval d’après l’analogie de nombreux autres diminutifs; on a de même: chienet, mulet, poulet, etc. Puis, raisonne-t-on encore, ce nom familier a été donné par figure, peut-être par plaisanterie d’abord, a cet objet qui avait quelque analogie avec une bête de somme. Enfin, ajoute-t-on, le mot a subsisté dans le sens nouveau, qui est resté vivant, tandis que le sens ancien a été oublié et que l’association primitive entre cheval et chevalet s’est distendue au point de se rompre. On reconstitue ainsi par hypothèse toute une enfilade de faits qui n’ont pu se produire que dans la parole, mais dont la langue a enregistré les résultats successifs.
On voit ce qui distingue cette linguistique de la parole organisée de celle que nous avons définie. D’abord, avec cette méthode, on ne s’intéresse qu’aux événements qui ont été créateurs et qui ont laissé des traces dans l’histoire de la langue. Ensuite tous les événements concrets et réels qui ont concouru à un certain résultat sont ramenés à un schéma abstrait et réduits à l’essentiel. à est évident qu’un pareil raisonnement est parfaitement légitime en soi — à sa juste place que nous préciserons plus loin; mais cette sorte de linguistique de la parole organisée in abstracto et a posteriori ne doit pas être confondue avec l’autre, avec celle qui nous place devant des faits concrets et vivants dont l’analyse détaillée peut seule nourrir et féconder la science du fonctionnement de la langue et subsidiairement celle de son devenir.
C’est grâce à cette pratique qu’on attribue traditionnellement à la science de l’histoire de la langue une quantité de choses qui sont par nature du ressort de la science du fonctionnement de la langue, de la parole organisée. Le Cours de linguistique générale, le tout premier, ne se désolidarise pas de cette habitude acquise. Tout en revendiquant pour la linguistique de la parole le droit de constituer une discipline à part, non seulement il ne donne aucune indication suffisante sur ce qui pourrait en être le programme, mais il usurpe au profit de la diachronie des choses qui, en bonne logique, appartiennent, nous l’avons vu, à la science de la parole organisée. Nous pensons en particulier aux chapitres consacrés à l’analogie, à l’étymologie populaire (dont les constructions bizarres sont dues à des souvenirs imprécis et à des interprétations hasardeuses) et à l’agglutination (c’est-à-dire ici à la synthèse verbale de certains groupes).18 Il ne faut pas confondre l’explica- tion d’un accident de parole avec l’explication du fait qu’une forme apparue ainsi par accident a conquis sa place parmi les institutions de l’usage. Cette seconde question est différente de la première et seule elle est du ressort de la diachronie.
La même distinction doit se faire dans le domaine des sons. Les accidents phonologiques qui atteignent certains mots, comme la substitution en vieux français de cherchier à cerchier (lat. circàre), par assimilation, ou celle du bas latin pelegrinus(français pèlerin) à peregrïnus, par dissimilation, se sont produits çà et là dans la parole avant de s’installer dans la langue, et ces deux moments distincts, dont l’un ressortit à la parole et l’autre à l’histoire, doivent être considérés et expliqués séparément. Au contraire tout ce qui concerne les changements phonétiques réguliers appartient au domaine de la diachronie. La substitution d’un phonème à un autre phonème ou tout autre changement qui altère sur un point le système phonologique de la langue (par exemple, en français moderne le changement de l mouillé en y: [lait] caillé prononcé comme cahier) est un phénomène historique qui doit être expliqué comme tel. Mais d’autre part, il y a au point de départ des changements phonétiques de petits accidents d’articulation qui ne diffèrent pas essentiellement de ceux que nous mentionnions d’abord et qui, eux, appartiennent à la parole. Le son y est une articulation négligée du l palatal où l’émission latérale est remplacée par une articulation fricative courante. Tous ces faits dus aux menues variations des attitudes mentales (soin, attention, négligence, fatigue, etc.) au cours de la parole vivante sont régis par des lois panchroniques et sont du ressort de la parole organisée.
C’est ce que nous avons dit plus haut en parlant du Traité de Phonétique de M. Grammont. Il est permis de remarquer que ce maître, lui aussi, a suivi sur ce point les voies traditionnelles et a rattaché l’analyse du fonctionnement de la parole organisée à l’histoire de la langue. Il divise son magnifique ouvrage, dont la valeur n’est pas mise en question par cette remarque critique, en deux parties. La première, intitulée: Phonologie, étudie les phonèmes et appartient à la statique. La seconde, qui porte le titre: Phonétique proprement dite ou Phonétique historique, n’est que très partiellement évolutive. A part quelques considérations importantes, mais relativement brèves, sur les lois phonétiques, elle traite essentiellement des lois panchroniques des accidents articulatoires, cette étude utilisant comme matériaux les faits innombrables que les transformations historiques des diverses langues ont consacrés. Nous avons donc bien affaire ici à cette linguistique de la parole organisée a posteriori dont nous parlions plus haut. Or M. Grammont est non seulement un linguiste parfaitement informé de l’histoire de nombreuses langues; il est aussi, par excellence, un phonéticien de laboratoire. Il sait donc, aussi bien que quiconque, que les hypothèses qui nous sont suggérées par des transformations phonétiques historiquement constatées, ont besoin, pour entraîner la conviction, d’être contrôlées et confirmées par des observations ou des expériences faites in vivo. Cette simple considération établit la primauté de la parole sur l’histoire. Mais il y a encore ceci en plus: une fois une hypothèse relative à l’explication physiologique d’une altération de son admise, le problème proprement historique sub- siste tout entier: Pourquoi tel «accident d’articulation» a-t-il transformé la règle de l’usage en tel temps et en tel lieu — et pas ailleurs?
Tout ceci justifie notre point de vue quand nous demandons qu’on fasse exactement le départ entre la linguistique de la parole organisée et la linguistique évolutive, dont nous allons tout à l’heure esquisser le programme: Suum cuique.
IV. Digression au sujet des rapports de la linguistique diachronique avec les deux disciplines précédentes
Avant de parler de la linguistique diachronique, il est nécessaire que nous nous expliquions avec les doctrines du Cours de linguistique générale au sujet des rapports de cette discipline avec les deux disciplines précédentes.
Nous constatons, en effet, ici une chose très particulière. Nous devons à Ferdinand de Saussure la définition de la linguistique synchronique qu’il a, en la définissant, reconstituée dans toute son indépendance et mise à la première place qui lui revient de droit. Nous devons également à l’auteur du Cours la notion même de la linguistique de la parole organisée. S’il a laissé dans le vague tout ce qui concerne son programme, il lui a au moins attribué sa juste place entre la linguistique statique et la linguistique diachronique. Mais relativement à cette dernière discipline, nous ne trouvons chez le maître que des indications trop pauvres pour servir de point de départ à aucun programme.
On dirait qu’entraîné par les habitudes de l’école néogrammairienne, dont il a été un des plus illustres représentants, il s’est contenté de voir cette branche de la linguistique sous l’angle purement empirique de l’observation des faits.
Il est vrai qu’il situe le phénomène diachronique comme une résultante du fait de parole; il est vrai aussi qu’il le définit très justement dans son idée générale en disant qu’il s’agit d’un glissement insensible des rapports que l’arbitraire de la langue établit à chaque moment entre les différenciations de sons et les différenciations de valeurs. Mais, à côté de cela, on ne nous dit rien sur ce qui concerne le mécanisme et les causes de ces glissements, ou plutôt on nous oppose ici deux redoutables interdictions.
En effet, on nous dit d’abord que ce qui se passe sur l’axe du temps n’a aucun rapport avec les facteurs agissant dans la langue en tant que système synchronique, que l’organisation de la langue et son devenir appartiennent à deux ordres distincts et impénétrables l’un à l’autre. Puis on nous dit ensuite que le devenir de la langue est entièrement étranger à la psychologie des sujets parlants. C’est, comme on le sait, au développement de cette dernière thèse que sont consacrées les pages finales du Cours, et c’est cette doctrine qui se résume dans la célèbre formule qu’on lit en conclusion de l’ouvrage: «La linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle- même et pour ellemême».
En réalité ces deux axiomes pris à la lettre auraient pour conséquence de détacher absolument la linguistique diachronique de la linguistique synchronique d’une part, et de la linguistique de la parole d’autre part, puisque c’est dans la parole que se manifeste directement la psychologie des sujets parlants.
On voit bien que, dans ces conditions, nous ne pouvons aller plus avant, si nous ne trouvons pas moyen de franchir cet obstacle en apparence infranchissable.
Nous n’avons pas à répéter ici ce que nous avons dit au commencement de cet article sur les conditions dans lesquelles le Cours a été composé, conditions qui expliquent les lacunes et les imperfections que l’on peut y relever.
Si le maître est tombé dans certaines erreurs, cela est dû, selon la déclaration de Meillet citée plus haut, à une préoccupation exclusive de certains principes vrais en eux-mêmes, mais dont il tire des conclusions trop absolues. Une des conditions essentielles de tout travail de recherche intellectuelle, c’est d’oser, avec une logique implacable, aller jusqu’aux derniêres conséquences de tout principe posé, quitte après à re- venir en arrière et à opérer les corrections et les mises au point nécessaires pour tenir compte des autres éléments de la réalité. Ferdinand de Saussure a été grand et novateur parce qu’il a déclaré la guerre à tout ce qu’il y avait de trop superficiel dans la pensée linguistique de son temps afin d’établir la science du langage sur une base théorique irréprochable; mais le Cours l’a fixé, pour ainsi dire, dans une attitude de combat, comportant une certaine tension de la pensée et un exclusivisme qu’il aurait certainement modifié avec le temps et cela pour des raisons tirées de sa doctrine elle-même.
On peut dire en un mot que son tort a été de voir des ruptures, s’exprimant par des interdictions radicales, là où il aurait été plus juste de parler d’antinomies et de réserver une place à ces équilibres paradoxaux qui sont le privilège de la vie.
Ainsi lorsqu’il oppose le principe diachronique au principe synchronique, il en veut aux erreurs de l’ancienne école qui voyait les langues progresser ou régresser en vertu d’une impulsion interne comme un organisme. Il voit, avec l’école néogrammairienne, à l’origine des évolutions de langue 1’intervention d’un facteur contingentiel, historique, agissant du dehors sur le système grammatical. En cela il a parfaitement raison. Encore faudrait-il nous dire quels sont ces facteurs contingentiels, et quant à conclure de leur action que les forces psychiques qui soutiennent le système de la langue ne jouent aucun rôle dans le devenir de ce système, c’est certainement aller trop loin. Il est évident en particulier qu’elles interviennent toutes les fois qu’il s’agit de remettre en état de bon fonctionnement la langue dont le mécanisme a été compromis sous l’action des forces contingentielles.19
Il en est de même lorsque l’auteur du Cours établit une rupture entre ces évolutions diachroniques et la psychologie des sujets parlants. Il en veut ici à un psychologisme simpliste qui imagine que la langue se plie spontanément à toutes les exigenees de l’esprit, comme si nous n’avions pas affaire à une institution sociale, fixée par le consentement de tous, forte de sa cohérence intérieure et de son inertie. Revendiquer que l’on tienne compte de ce facteur proprement linguistique est non seulement légitime, mais nécessaire. Cependant il ne faut pas pour cela affirmer que les attitudes mentales de ceux qui parlent restent sans influence sur la langue, quand on reconnaît d’autre part que c’est justement à l’occasion de l’acte de parole que la langue évolue.
En réalité nous ne croyons pas qu’aucun fidèle de la linguistique saussurienne ait tiré pour son propre compte des conclusions rigoureuses de ces aphorismes. Nous-même, nous avons toujours fait des réserves sur ce point, et, dans un article paru en 1917 dans la Revue Philosophique ,20 nous avons mis, croyons-nous, le doigt sur le point faible de l’argumentation saussurienne. Nous pensons que le maître, préoccupé de mettre en lumière toutes les conséquences logiques du principe posé par lui de l’arbitraire du signe, a négligé le fait que le signe relativement motivé, selon une définition qu’il a donnée lui-même,21 occupe dans la langue une place beaucoup plus considérable qu’il n’est porté à l’admettre. Les travaux de M. Bally sur le mécanisme de l’expressivité linguistique 22 mettent la chose en évidence. Et c’est par ses éléments de motivation que la langue reste, malgré tout, en contact d’harmonie ou de conflit avec la mentalité des sujets parlants et subit son empreinte.
A la place de ces tabous, qui jettent le phénomène diachronique dans le vide en lui interdisant tout contact avec ce qui n’est pas lui, il faut mettre évidemment un équilibre harmonieux de facteurs antinomiques dont les conflits font la vie même de la langue.
Soit le fameux schema:
Sur Taxe AB nous mettons, a l’exclusion de toute autre chose, l’institution grammaticale, c’est-à-dire le système de la langue avec tout ce qui fait sa fixité, sa cohérence et l’engrenage de ses parties.
Au point O, qui est le point de la parole organisée, nous combinons ce système de langue avec la pensée vivante de ceux qui l’emploient. Nous le voyons donc dans son fonctionnement, tel qu’il est déterminé dans chaque moment par les conditions objectives et subjectives de l’acte de parole.
Enfin, sur l’axe diachronique CD, nous plaçons les états successifs d’une même langue, tels qu’ils résultent des changements qu’elle subit sous l’action des actes de parole qui dérangent imperceptiblement, mais constamment son équilibre interne. Les causes de ces changements doivent naturellement être cherchées dans tous les facteurs qui ont agi sur les actes de parole eux-mêmes. Tous les éléments contingentiel s qui sont venus pendant la période considérée modifier soit les circonstances extérieures au sein desquelles la parole se déroule (institutions, occupations, techniques, déplacement dans l’espace, etc.), soit les conditions intérieures de cette parole (mentalité, goûts, tendances, etc. des sujets parlants), entrent naturellement en ligne de compte. Mais il faudra également prendre en considération les facteurs organiques, c’est-à-dire les exigenees du système grammatical dont l’inertie pèse sur les sujets parlants et qui ne se laisse modifier que dans certaines conditions. Inconsciemment, en même temps qu’ils collaborent à adapter la langue aux besoins variables de l’expression, les sujets parlants collaborent à un travail grammatical qui sauvegarde le bon fonctionnement de Tinstrument collectif.
On voit que si, contrairement à l’orthodoxie saussurienne, nous réintroduisons sur l’axe du temps, avec les facteurs contingentiels, toute la psychologie de la parole et, avec les facteurs organiques, toutes les forces synchroniques, nous ne supprimons pas pour cela les oppositions auxquelles Saussure tenait tant et qui font la valeur de sa doctrine; nous faisons seulement de cet axe le lieu où entrent en lutte deux forces antagonistes, celle qui conserve le système grammatical et sa tradition fondée sur le consentement collectif et sur sa cohérence, et celle qui l’entraîne au contraire dans de perpétuelles innovations et réadaptations.
Nous ne croyons pas trahir notre maître en proposant cette vue, qui n’est que le développement logique de sa pensée dépouillée, à la faveur du temps et de la réflexion, de certains partis pris outranciers que les conditions dans lesquelles le Cours a été rédigé expliquent pleinement.
Ceci dit, nous pouvons reprendre la suite de notre exposé.
V. La linguistique diachronique ou des évolutions de la langue
En passant de la linguistique de la parole organisée à la linguistique diachronique, on revient du concret à l’abstrait. La science des évolutions de la langue, comme celle des états de langue, ne saisit son objet que par approximation et ne connaît que des vérités générales qui se dégagent des faits et en sont une image simplifiée. Pas plus qu’on ne peut fixer un état de langue dans toute sa complexité, on ne peut raconter l’histoire d’un langue en tenant compte de tous les accidents de parole, infiniment divers, qui la constituent in concreto. Seule la linguistique de la parole organisée garde le contact direct avec la réalité parce qu’elle réduit son horizon aux bornes étroites d’un seul acte particulier.
Si la linguistique synchronique décrit des états de langue, dans le sens où nous l’avons dit plus haut, la linguistique diachronique, dans la première partie de sa tâche, ne fait pas autre chose, en principe, que de comparer entre eux deux états successifs ainsi établis d’une même langue pour constater les changements intervenus. Et cette comparaison ne procède naturellement pas de l’ensemble à l’ensemble; mais elle considère successivement chacun des traits de la langue qui ont été modifiés. De la somme de ces modifications on déduira ensuite une vue générale sur l’évolution comme un tout, avec ses aspects caractéristiques et sa ligne dominante.
Evidemment un exposé d’histoire de langue peut prendre les allures d’une narration et devenir un récit suivi de tous les changements qui se sont produits sur un certain point de l’idiome étudié au cours d’une longue période; mais chacun des details de cet exposé revient à cette même méthode comparative. Si, par exemple, je raconte que la voyelle accentuée du latin têla a passé par les phases: é é éi oi oi (ωi) ωé ωé pour aboutir enfin au wâ du moderne toile, je procède comme au cinéma et je me donne l’illusion du mouvement en enregistrant dans une succession rapide une série d’images statiques qui se substituent l’une à l’autre.
Ceci est très important, parce que, si l’on en tient bien compte, on verra que la linguistique diachronique, dans cette première partie de sa tâche, celle qui consiste simplement à raconter, est strictement dépendante de la linguistique synchronique. Sans son concours elle ne peut être qu’une simple énumération de faits mal analysés et superficiellement définis. Ce n’est qu’en s’en référant aux définitions toujours plus exactes et aux analyses toujours plus rigoureuses de la science grammaticale qu’elle pénétrera dans l’intimité des faits qu’elle manie et qu’elle arrivera à grouper exactement la multitude des faits particuliers dans la perspective des faits plus généraux auxquels ils ressortissent pour donner ainsi une juste idée des évolutions de langue considérées dans leur détail et dans leur ensemble.
Mais la partie purement descriptive de cette science n’en épuise pas le programme; il ne suffit pas de raconter les faits, il faut aussi les expliquer, les ramener à leurs causes. Et c’est ici que la linguistique de la parole organisée devient la référence indispensable de la linguistique diachronique.
En pure théorie, l’explication qui doit intervenir entre deux faits de langue successifs dont l’un représente le point de dé- part et l’autre le point d’arrivée d’un processus évolutif, ne peut être qu’un schéma de parole dans lequel interviennent tous les facteurs qui ont déterminé le déclenchement du processus d’évolution et son aboutissement dans un certain résultat.
Nous parlons ici de schéma pour bien marquer la différence que nous avons établie entre la science de la parole organisée et celle des évolutions de la langue.
Dans la réalité de la parole, une foule d’accidents divers se sont produits sous l’influence de multiples facteurs occasionnels. Les uns tendaient à ceci, les autres à cela. Mais, si l’usage a été finalement modifié d’une certaine façon, c’est que certains facteurs ont été pendant une certaine période particuliêrement actifs au sein de la collectivité parlante. Ces facteurs, agissant sur le plus grand nombre des sujets et dans la plupart des cas, ont favorisé les accidents qui tendaient d’un certain côté et ont fini par imposer un nouvel usage à la langue commune. C’est cela que la science diachronique représente sous la forme schématique d’un acte de parole fictif (ou d’une série d’actes de parole, si le phénomène comporte plusieurs phases successives) entre des interlocuteurs imaginaires. Ce schéma est comme une vue synthétique et simplifiée du phéno- mène considéré dans ses causes et dans son processus, et, s’il était parfaitement complet et bien établi, il en constituerait effectivement l’explication.
Nous parlons ici, nous l’avons dit, en théorie. En effet, un schéma de parole est toujours implicitement contenu dans toute explication d’un fait d’évolution, mais il s’en faut de beaucoup que ces schémas soient toujours aussi explicites et surtout aussi complets qu’on pourrait le souhaiter. L’historien de la langue ne dispose pas d’avance des facteurs dont il pourra faire état. Sa tâche consiste à les deviner, à les pressentir derriêre les faits et à les utiliser dans la mesure où il pense les posséder.
Il y a deux manières de procéder dans ce travail, selon le point de départ qu’on choisit.
La première manière et la plus usuelle consiste à partir des faits de langue eux-mêmes et à donner pour chacun d’eux le schéma de parole qu’il suggère sans chercher plus loin.
Cette méthode peut paraître suffisante dans beaucoup de cas. Ainsi, pour revenir à un exemple déjà employé, il semble que lorsqu’on a expliqué que chevalet, dans son premier sens de ‘petit cheval’, est une formation analogique du même type que poulet, cochet, chienet, etc., on a tout dit. Ce n’est pas absolument sûr, puisqu’on n’a rien dit de la circonstance qui a favorisé l’apparition et l’installation du mot dans l’usage, et rien non plus sur les conditions qui ont imposé le choix du suffixe. Mais cette insuffisance apparaît bien plus nettement dans d’autres cas.
Par exemple, l’histoire de la conjugaison du verbe français jusqu’à nos jours est pour une bonne part une longue succession de créations analogiques (comme celle du mot chevalet) qui ont substitué des formes nouvelles — en général plus régulières — aux formes anciennes. Mais il ne suffit pas, pour expliquer l’évolution morphologique de notre verbe, de ramener chacune de ces créations à son schéma formel (exemple: il conduisit — pour l’ancien il conduist — créé sur tu conduisis d’après le modèle tu partis, il partit). D’autres créations innombrables, faites sur d’autres modèles et touchant d’autres parties de la conjugaison ont pu se produire. Parmi celles qui sont attestées très fugitivement un grand nombre n’ont pas laissé de traces durables dans la langue. D’autres ont apparu occasionnellement dans la parole sans qu’on en ait gardé le moindre souvenir. Pourquoi? Et pourquoi la langue en a-t-elle favorisé d’autres? On ne peut pas alléguer non plus que les analogies les plus «régularisantes» l’ont toujours emporté, car notre conjugaison aurait pu être simplifiée beaucoup plus encore. Il faut donc que certains mobiles, certaines tendances soient entrés en ligne de compte, et ce sont ces mobiles, ces tendances qui doivent figurer de quelque façon dans un schéma vraiment explicatif.
Pensons encore à un autre aspect de la conjugaison, à la création des temps composés qui, dans leur ensemble, représentent le «verbe parfait». Toutes ces formes sont implicitement données dès le moment où la périphrase habeö scriptumdu latin est devenue l’équivalent exact d’un parfait grec, l’expression d’un résultat présent acquis par une action passée; de j’ai écrit se dérivent logiquement j’aurai écrit, j’avais écrit, que j’aie écrit, etc. Néanmoins on sait que toutes ces formes possibles ne sont entrées dans l’usage que les unes après les autres et d’une manière que la logique pure n’explique pas. Pourquoi les textes du vieux français témoignent-ils d’une prédilection marquée pour le passé dit «antérieur»? Pourquoi le plus-que-parfait indicatif a-t-il eu beaucoup de peine à conquérir la place à laquelle il paraît avoir droit? Quels facteurs sont intervenus dans la concurrence entre la forme simple que je chantasse dans le sens ancien du cantavissem latin et le nouveau venu que j’eusse chanté, etc.? L’esprit n’a donc utilisé ces formes données par la logique que selon des tendances et des besoins qui ont varié avec les temps. Là aussi il y a des facteurs délicats qui ont agi sur la langue à travers la parole et qu’un schéma explicatif ne doit pas ignorer, s’il ne veut pas se borner à décrire le processus apparent et extérieur du phénomène, sans toucher à ses causes profondes.
C’est ce qui arrive bien souvent et en particulier lorsqu’il s’agit de changements phonétiques. Dans tout le domaine occi- dental des pays romans, dès les premiers siècles de l’ère chré- tienne les consonnes occlusives sourdes intervocaliques se sont abaissées et sont devenues sonores: lat. vita >vida, forme qui s’emploie encore en espagnol aujourd’hui. Mais dans le nord de la Gaule, à une époque plus tardive, ce mouvement s’est continué et ces sonores intervocaliques se sont abaissées encore; elles sont devenues fricatives et certaines ont disparu. En français du XIe siècle on a encore vide (oùd =th sonore anglais), puis plus tard vie, qui est la forme du français moderne. Il est très facile de dire qu’il s’agit ici d’une assimilation de la consonne aux articulations vocaliques environnantes et d’expli- quer pourquoi des occlusives ou fricatives sont plus accessibles à cette assimilation que des liquides ou des nasales. Mais ce n’est pas le vrai problème historique, comme nous l’avons noté déjà. Il faut expliquer pourquoi ce phénomène a été déclenché sur ce domaine et à cette époque plutôt qu’ailleurs et à un autre moment.
Les insuffisances inhérentes à cette première méthode ont poussé beaucoup de chercheurs à trouver mieux, et l’on s’est tourné d’abord de préférence vers ces circonstances historiques extérieures à la langue qui, agissant sur les données extérieures des actes de parole et sur la mentalité générale des sujets parlants, ont favorisé certains accidents et déterminé certains faits d’évolution à certaines époques et dans certains lieux. On a donc cherché à mettre en lumière dans les schémas explicatifs de parole la présence et l’action de ces facteurs contingentiels dont nous avons parlé plus haut.
Cette méthode est légitime, nous l’avons dit. Le linguiste a le droit de s’efforcer de mettre en lumière les parallélismes qu’il peut y avoit entre le devenir d’un idiome et l’histoire du peuple qui le parle. Cette méthode a aussi le grand avantage de tendre à une vue synthétique des choses. Elle vise tout naturellement à ramener la complexité des faits à de grands événements généraux. Elle demande des analyses psychologiques délicates, et, poussée dans ses dernières conséquences, elle aboutirait à expliquer véritablement le devenir des langues par l’effet de grandes tendances typologiques. Son inconvénient, c’est qu’elle est difficile et dangereuse. Dans certains cas cela va tout seul; l’influence des facteurs historiques contingents sur la langue est évidente. Ainsi il est certain que de nouvelles idées, de nouvelles inventions appellent l’introduction de mots nouveaux ou des modifications du sens des mots anciens. D’une manière ou d’une autre le vocabulaire s’adapte rapidement aux exigences conscientes de la pensée d’une époque. Qu’on voie à cet égard les brèves, mais lumineuses indications que donne M. von Wartburg, dans son livre Evolution et structure de la langue française, 23 sur les divers apports dont le vocabulaire de notre langue s’est successivement enrichi. Il est non moins certain que, dans les pays où, à la suite d’événements politiques: migrations, infiltration, conquête, etc., on voit s’établir un état de bilinguisme, cela peut entraîner des conséquences pour les deux langues en contact. La même personne ne peut pas parler concurremment deux idiomes sans que ces deux idiomes ne s’influencent peu ou prou réciproquement. Et si l’un des deux a plus de prestige, c’est celui-là naturellement qui imprimera sa marque sur son concurrent. On expliquera de cette manière des emprunts de termes, des calques, certaines innovations de syntaxe et même des influences phonétiques. Il est, par exemple, tout indiqué de voir dans plusieurs traits de l’histoire du vocalisme français l’empreinte du francique conquérant24 et d’interpréter au contraire d’autres traits ultérieurs, qui ont effacé cette empreinte, comme une réaction du substrat celtique et romain ramenant la langue à ses normes plus stables.
En revanche, dans beaucoup d’autres cas, les rapports entre l’histoire et 1es transformations de la langue sont plus difficiles 5 saisir. Quand, par exemple, A. Meillet rattache la concision si precise du latin d l’influence du style des j ~ r i s t e s , ’25 ~ sa dkmonstration frappe par le caractsre seduisant de la th6se et par la justesse des rapprochements. Mais nous n’avons pas la m6me evidence directe et contraignante que l’on rencontre ailleurs. I1 y a des formes du style juridique qui usent au contraire volontiers du pleonasme. On peut se demander si, avant toute influence d’une certaine technique, il n’y avait pas dbjii chez les Latins une predisposition 5 la sobriete du style. Tous les paysans processifs ne sont pas n6cessairement du m6me type psychologique. ll est moins certain encore que le vieux f r a n ~ a ims ette volontiers l e complement datif de personne avant le complement accusatif de chose (ce que les Allemands font aujourd’hui encore) parce que les hommes de 176poque pratiquaient le culte des heros.26
On a parfois usé et abusé de ces rapprochements entre des phénomènes de culture et des phénomènes de langue. La limite entre la pénétration de l’esprit et l’ingéniosité trop subtile est difficile à tracer. C’est là un terrain glissant; mais la science linguistique arrivera avec le temps à y marcher plus sûrement en multipliant des recherches méthodiques appropriées. On peut penser par exemple, sur le terrain de la parole organisée, à des analyses, plus rigoureuses au point de vue grammatical, du style des écrivains de types divers, de façon à mettre en lumière des correspondances régulières entre les tendances de l’esprit et les formes de l’expression. On peut penser aussi, sur le terrain proprement historique, à des études comparatives qui feraient apparaître des parallélismes évidents dans l’évolu- tion des langues les plus diverses, oû les mêmes causes contingentielles auraient produit les mêmes effets.
Cependant, quels que soient les progrès que l’on puisse faire dans cette direction, jamais la seule méthode des causes contingentielles n’épuisera le programme de la linguistique évolutive. Il faut tenir compte aussi, nous l’avons dit, de ce que nous avons appelé les causes organiques, c’est-à-dire de la réaction de l’instinct grammatical, déterminé par les exigenees du système dans son ensemble, à l’égard des innovations qui tendent à s’introduire. Il semble bien, par exemple, que, dans les faits évolutifs dont nous avons parlé tout à l’heure et qui concernaient la conjugaison du verbe français, les considérations de grammaire ont eu leur rôle à jouer. Mais comment dépister l’action de ces facteurs? C’est là un problème difficile sur lequel nous nous garderons de prétendre à une compétence que nous n’avons pas. Nous nous contenterons de donner à titre de suggestions quelques indications qui seront peut-être utiles.
Nous remarquons d’abord que toute forme nouvelle introduite dans la parole est nécessairement une forme facilement intelligible par simple intuition. Pour revenir à l’exemple de M. von Wartburg déjà si fréquemment cite’, si un paysan gascon appelle par plaisanterie le coq au milieu de ses poules «le vicaire» (en gascon bigey ), il use d’une figure, et toute figure est facilement intelligible dans un contexte et un entourage appropriés. Il en est de même dans tous les cas d’innovation quelque variés qu’ils soient. Si l’innovation est due non à une recherche d’expressivité ou de clarté, mais au contraire à une négligence, si la négligence n’est pas trop énorme, si, par exemple, un enfant, un être inculte ou simplement une personne pressée dit: quand tu viendras? ou tu viendras quand? au lieu d’employer le traditionnel et correct quand viendras-tu? il faudrait être dépourvu de toute intelligence pour ne pas comprendre cette phrase en petit nègre.
Ainsi les innovations de la parole ne font aucune violence au mécanisme de la langue; elles sont chacune à sa manière, un emploi plus ou moins heureux des ressources de la langue existante. Elles se justifient par référence aux conventions établies; elles appartiennent donc au domaine du partiellement motivé. Le conflit avec le système surgit au moment où, dans l’interprétation du sujet entendant, une forme de parole ainsi motivée tend à se substituer à l’expression logique normale d’une certaine idée (ou d’une certaine fonction). A ce momentlà, c’est le jeu des conventions arbitraires qui est atteint et le système grammatical dont l’équilibre est mis en question.
Cela peut se démontrer bien facilement en revenant encore une fois à l’exemple de M. von Wartburg cité tout à l’heure. Aussi longtemps que bigey ‘le vicaire’ a désigné le coq d’une façon plaisante et figurée, rien n’a été modifié dans l’institution de la langue. L’expression en question était comprise en fonction des conventions régnantes dont elle était une utilisation intelligible; mais quand on a commencé à avoir l’idée que bigey était simplement une manière nouvelle et plus commode de désigner un certain animal, alors ce terme est devenu significatif seulement à la faveur d’une convention nouvelle, les rapports qui jusque là l’avaient relié à autre chose, se sont rompus et il est devenu arbitraire au même titre que gat lui-même qu’il remplaçait, que notre coq ou que le Hahn allemand. A ce moment-là, l’équilibre des associations mentales par lesquelles les termes arbitraires de la langue se délimitent et se définissent les uns les autres, a été changé. Gat, qui n’a probablement pas disparu du coup de l’usage, a dû se situer en face de ce concurrent et se retirer dans un domaine plus restreint, tandis que l’autre s’organisait solidement dans sa nouvelle situation idéologique.
Toute l’histoire du vocabulaire est faite de pareilles aventures. Des termes nouveaux introduits de toutes sortes de façons dans la langue entrent en concurrence avec les mots anciens et les supplantent quelquefois. Le lexique est un champ de bataille, et son organisation interne est sans cesse en voie de révolution. Il ne semble pas que ces adaptations successives donnent lieu à de grandes résistances ou à de grandes difficultés d’ordre grammatical. Le vocabulaire est une chose éminemment souple et qui s’accommode sans peine aux besoins du moment. à n’en est pas de même quand une forme de syntaxe en supplante une autre, c’est une affaire plus grave et qui se fait plus difficilement.
En effet, le système de la syntaxe a des exigences logiques que celui du vocabulaire n’a pas, et chacune de ses parties occupe dans l’ensemble une place beaucoup plus considérable qu’un mot isolé dans le système des mots. L’équilibre syntaxique est donc bien plus touché par ce qui arrive à l’un de ses éléments que l’équilibre lexicologique ne l’est par ce qui arrive à l’un des siens. Soit un exemple schématique: il est évident que la forme interrogative quand est-ce que tu viendras? est à l’origine une forme affective et qui présentait jadis dans sa valeur le même accent prédicatif renforcé que l’on constate dans c’est demain que je viendrai par opposition àje viendrai demain. Actuellement elle est devenue, à très peu de chose près, synonyme de la forme quand viendras-tu? qui est nécessairement en concurrence avec elle.27 Qu’arriverait-il si elle supplantait cette concurrente et s’installait désormais à sa place? Est-ce que cela ne constituerait pas un recul sérieux des procédés plus synthétiques appartenant à la vieille tradition et utilisant des structures morphologiques spéciales du verbe, en faveur d’un procédé analytique par l’élément particulaire à toutes mains est-ce que, lequel laisse intacte la structure normale du groupe verbal? Supposons maintenant qu’un jour le quand est-ce que tu viendras? soit supplanté par son concurrent: tu viendras quand? Ne pourrons-nous pas dire alors que toute la valeur interrogative a été portée sur l’adverbe ou le mot quel qu’il soit qui la marque et que la langue a fait un pas vers le type de syntaxe qu’on appelle en général «isolant»? Le chinois dit: lui demain venir — lui quand venir? C’est donc dans la partie logique et arbitraire de la langue et en observant les phénomènes de concurrence et de substitution qui s’y développent que l’on risque de surprendre l’action des facteurs organiques sur le devenir des moyens d’expression.
Nous n’avons considéré jusqu’ici que des modifications introduites dans la langue à la suite de quelque innovation dont un parleur a pris l’initiative. Mais ce que nous venons de dire s’applique tout aussi bien, et même mieux, aux changements qui ont pour cause première une interprétation originale faite par un entendeur d’une tournure de syntaxe parfaitement régulière et normale dans la bouche de celui qui s’en est servi.
Beaucoup de modifications de l’usage n’ont pas d’autre origine que des accidents de ce genre. Ainsi leur fils en français est, au point de vue matériel, la simple continuation du latin illôrum fîlius, mais cet illōrum, réduit en français a lor, leur et privé de l’appui extérieur que lui fournissaient les habitudes de flexion du latin, a cessé, à un moment donné, d’être senti comme un complément génitif; on l’a associé aux possessifs comme mon, ton, votre, etc., on l’a fait entrer dans la catégorie des déterminatifs inhérents au substantif et on a pu ainsi lui créer un pluriel: leurs. Dans excepté Paris, le mot excepté a passé de la même façon de son rôle primitif de participe prédicatif de Paris (cf. Paris excepté) au rôle de préposition, et l’on connaît aussi cette curieuse forme du français populaire qui consiste à utiliser une particule interrogative ti, obtenue par un découpage approprié d’une phrase comme: Jean est-il (=est֊ti) content? De là: nous avons-ti bu? pour avons -nous bu?
Dans tous ces cas le caractère arbitraire et proprement intellectuel de l’opération saute aux yeux, puisque, ce qui entre en ligne de compte, ce sont les classements internes de la langue et les tendances que peuvent avoir à certains moments certains types de classement à prendre le pas sur les autres. Nous sommes donc en plein dans le domaine des structures formelles et arbitraires de la langue, c’est-à-dire dans le lieu même où l’on peut saisir les mouvements caractéristiques de son devenir.
S’il paraît difficile de suivre le cheminement d’une innovation grammaticale et la façon dont elle surmonte les résistances que la langue lui oppose, il est beaucoup plus facile de constater ce qui se passe quand les procédés d’expression que l’évolution élimine reculent et cèdent le terrain pied à pied. Or cet aspect du phénomène diachronique n’est que l’envers et le côté négatif du phénomène positif, de l’extension progressive du concurrent plus favorisé. Il n’est donc peut-être pas inutile de le considérer pour obtenir, par contraste au moins, quelque lumière sur le phénomène positif qui nous intéresse.
On peut dire d’une façon générale qu’une institution de langue meurt lorsque son emploi a besoin d’être soutenu dans la parole par des facteurs de routine et d’automatisme. On la voit alors persister dans des ensembles phraséologiques usuels avec lesquels elle fait corps ou dans ces ensembles synthétiques à valeur lexicologique que l’on appelle locutions; ou bien aussi leur emploi est favorisé par la tradition des formes de langue les plus conservatrices et les plus surveillées, par exemple, en français, dans le style dit soutenu. A moins encore que cet élément de langue ne trouve dans certains de ses emplois une signification spéciale, ce qui lui crée comme une position de repli à la faveur de laquelle il reste vivant, mais dans de nouvelles limites plus restreintes.
Nous ne disons rien ici du cas fréquent où le procédé expressif en voie de déchéance, trouve, à la faveur d’une circonstance particulière, l’occasion de faire souche de quelque chose de vivant et renaît ainsi à de nouvelles destinées. Ce serait sortir de notre sujet.
Toutes ces choses que nous venons de présenter sous leur aspect général et abstrait demandent-elles à être illustrées par des faits concrets? En voici quelques exemples:
L’imparfait du subjonctif que je chantasse (< lat. cantävissem, cantassem) a été concurrencé victorieusement de plusieurs côtés. D’abord comme irréel du présent, il s’est heurté avec une forme de création nouvelle, le conditionnel^chante- rais. Ensuite en tant qu’il exprimait, comme la forme latine dont il dérive, l’irréel du passé, il est entré en conflit avec le temps composé correspondant que j’eusse chanté et avec j’au- rais chanté. Enfin, quand il est régi, en vertu de la concordance des temps, par un verbe principal au passé, nous le voyons reculer aujourd’hui devant le présent du même mode; c’est-à-dire que la notion même de concordance des temps au subjonctif tombe en désuétude comme superflue. Or, dans tous ces cas, on peut constater que ce sont les verbes les plus usités, et en particulier les verbes auxiliaires — qui sont, pour ainsi dire, des mots faibles faisant plus ou moins unité morphologique avec le terme qu’ils introduisent — qui sont restés le plus long- temps fidèles à l’ancien usage.28 En ce qui concerne l’imparfait de la concordance des temps, à la décadence duquel nous assistons, nous voyons en outre que c’est la troisième personne du singulier — la plus employée de toutes les formes de ce temps — qui reste le plus volontiers fidèle à cet usage. Ainsi je voudrais que vous fussiez heureux,... que nous fissions le nécessaire,... que tu eusses plus de chance,.. . qu’on acceptât sa proposition,... qu’il reconnût ses torts sont des choses qui s’écrivent et qui, dans certaines conditions, peuvent se dire, tandis qu’on recule devant je voudrais que vous acceptassiez, ... que tu le reçusses.
Ce même emploi de l’imparfait du subjonctif montre avec évidence la différence qu’il faut faire entre le style élevé, con- servateur de tout ce qui peut être conservé de l’ancien usage, et le style familier ou ce langage populaire plus libre qu’on a appelé «la langue avancée» et qui, débarrassé de tout préjugé d’école, cultive de préférence tout ce qui est spontané et naturel dans les façons de parler.
Les cas de locutions, d’ensembles synthétiques qui conservent sous forme figée des tournures de syntaxe anciennes sont innombrables et bien connus. Pour rester dans le domaine du subjonctif imparfait on citera la formule optative: plût à Dieu (au Ciel) ou la forme fût-ce, qui ne s’analyse plus guère et que parfois l’on orthographie fusse. Les locutions: sans bourse délier, il gèle à pierre fendre, ainsi soit-il, comme qui dirait; des proverbes comme: fais ce que dois, advienne que pourra, etc., etc. contiennent tous dans leur structure des choses depuis longtemps disparues de la syntaxe vivante.
Il n’est pas difficile non plus de citer des formes jadis vivantes qui, en battant en retraite devant d’autres formes, ont trouvé certaines positions qui leur ont permis de continuer à vivre dans un champ sémantique spécial. Ainsi la négation par ne tout seul, supplantée par ne ... pas ou ne ... point, est devenue l’instrument propre à la négation explétive, qui n’a pas de valeur logique et qui nécessairement est moins appuyée: Je crains qu’il ne pleuve. On sait la valeur expressive spéciale qu’a prise l’adjectif antéposé depuis que la postposition de l’adjectif est devenue l’ordre normal; comparez: un tableau admirable et un admirable tableau. Depuis que pire et moindre ne sont plus les comparatifs normaux de mauvais et de petit, ils ont pris des valeurs d’un caractère affectif assez différentes de celles de plus mauvais et de plus petit, tandis que meilleur, seul usité, est resté le comparatif de bon, sans plus.
Ces valeurs nouvelles ne sont pas d’ailleurs nécessairement de l’ordre affectif. La logique aussi utilise ces restes. La préposition en par exemple, qui dans l’expression du rapport locatif a cédé la place à la préposition plus jeune dans, continue à vivre dans des domaines limités et dans des cas spéciaux. Ainsi elle exprime la date avec les millésimes: en 1911, le lieu avec les noms de pays féminin: en Suisse; comparez encore le rôle qu’elle joue dans les expressions comme: combattre en héros, mettre des planches en tas, parler en anglais et d’autres. On a affaire dans tous ces cas à une formule grammaticale générale donc vivante, mais d’une application restreinte quant au sens et quelquefois aussi quant à la forme.
On peut comparer — grossièrement — les usages qui sub- sistent d’une forme grammaticale en décadence (qu’il s’agisse d’emplois locutionnels, d’usages phraséologiques ou de valeurs spéciales) à l’archipel que formerait un continent disparu, mais dont certaines parties émergent encore des eaux, formant des îlots d’importances diverses. Entre ces îlots se répandent les flots de la mer qui ont envahi l’espace jadis occupé par la terre. Là règne l’usage nouveau, celui qui répond aux besoins actuels de la pensée et qui s’intègre dans le système de la langue, tel qu’il existe dans le subconscient des contemporains. C’est cet usage nouveau qui apparaît spontanément partout où la pensée, dégagée de tout entraînement formel ou affectif, peut structurer sa phrase selon les exigences de la logique abstraite.
Nous avons admis plus haut que seuls les changements qui intéressent les parties arbitraires et logiques du système seraient déterminants pour l’évolution générale de la langue. Nous ajoutons ici que c’est par l’action de ce que l’on pourrait appeler la «parole logiquement déterminée», sans son conflit avec les autres modes de la parole, que ces changements progressent dans l’usage et acquièrent la prépondérance. Si ces deux vues — car ce sont de simples vues que nous proposons ici — sont justes, le problème du devenir des systèmes de langue en apparaît mieux délimité et peut-être un peu moins complexe qu’il ne semblait au premier abord.
Néanmoins il ne faudrait pas s’abandonner à de trop grandes illusions. Le système de la langue n’est point une chose si simple qu’il soit facile d’y mettre et d’y maintenir l’ordre. Au moment même où une innovation en renouvelle heureusement une des parties, une autre partie se trouve peutêtre indirectement atteinte dans son organisation par cette innovation-là. Cela est vrai; on sait en tous cas que cela se produit entre la partie phonologique du système de la langue et sa partie significative, qui est construite avec les phonèmes.
Une loi phonétique, c’est-à-dire la transformation régulière en un temps donné d’un certain phonème ou d’une série de phonèmes dans des conditions données, n’est pas autre chose qu’un effet du principe organique dans le domaine des sons. Par l’application de cette loi le système phonétique de la langue est modifié d’une façon ou d’une autre, mais son organisation systématique n’est pas compromise comme elle le serait si les sons des divers mots pouvaient évoluer chacun de son côté au mépris de toute solidarité. Ce phénomène, dont la régularité est commandée par les exigences de l’organisation phonologique, fait, en vertu même de ces exigences, violence au système significatif de la langue. Il a pour effet des suppressions ou des confusions de phonèmes désastreuses pour le fonctionnement des signes et qui, considérées dans ce plan, représentent des accidents contingentiel s regrettables. C’est par l’application des lois phonétiques que les dialectes gascons ont confondu les mots latins gallus et cattus en un gat uniforme. Et tous les lecteurs de Gillieron savent que ces accidents ne sont pas rares dans l’histoire du lexique. Nous avons rappelé également que, par l’effet de l’évolution phonétique, une série de formes de l’ancienne conjugaison sont devenues mal différenciées et par conséquent inutilisables: cantarem, canta(ve)rō, canta(ve)rim, canta(ve)rim, ce qui a eu des consequences considérables en grammaire. Cette même évolution phonétique a provoqué en français la confusion du participe présent latin cantantem avec le gérondif ablatif cantandō dans une forme unique chantant. à est résulté un désordre qui a nécessité, comme nous l’avons vu p. 150, toute une série de rajustements. De nos jours une prononciation régnante fait confondre je donnai avec je donnais et, ce qui est plus gênant, je donnerai avec je donnerais. Toutes ces choses, qui représentent peut-être une réorganisation dans le plan phonique, sont des désorganisations contingentielles sur l’autre plan où les forces organiques doivent procéder, autant que faire se peut, à des réparations de fortune.
Or le phénomène inverse peut se produire également. Il peut arriver que les innovations sur le plan des moyens d’expression — nous pensons ici spécialement à de profonds remaniements du vocabulaire — soient une cause de déséquilibre et de désorganisation pour le système des sons.
La chose s’est produite deux fois dans l’histoire du français; d’abord quand le roman du Vie au Ville siècle s’est enrichi de nombreux emprunts faits aux langues germaniques et, ensuite, quand notre langue, à l’époque de la Renaissance, a adopté ou proposé à l’usage une foule de mots savants empruntés au grec et au latin.
Nous avons déjà fait en passant allusion au premier de ces faits et aux troubles apportés dans les habitudes phonologiques des habitants de l’ancienne Gaule par l’influence des Francs. Il vaut la peine de s’arrêter un instant sur le second. Toute une série de changements survenus dans la manière d’articuler le français entre le Xlle et le XVIe siècle: chute ou vocalisation de consonnes en fin de syllabe, réduction des affriquées en consonnes simples, réduction de nombreuses diphtongues en monophtongues et disparition d’hiatus intérieurs, marquent avec évidence une tendance à simplifier la structure de la syllabe. On peut dire, en gros, que le débit du français visait à se rapprocher du type où les consonnes simples alternent régulièrement avec les voyelles simples (en ajoutant parfois une liquide derrière ou devant la voyelle): tatatatratarta ... soit: j’ai perdu mon joli petit chapeau gris. Or les innombrables termes empruntés aux langues classiques contenaient des groupes fort nombreux de consonnes soit à l’intérieur, soit à la fin des mots qui ne cadraient pas avec cette syllabation simplifiée: suggérer, astringent, réduction, exceller, aspect, heptagone, etc., de telle sorte que ces mots apportaient dans les usages de l’articulation française un élément tout à fait hétérogène. Ce n’est pas le lieu de dire comment la langue a pu s’accommoder d’un pareil état de choses. Si elle avait été abandonnée aux formes spontanées du parler populaire, il n’y a pas de doute qu’elle aurait fait un beau ravage de toutes ces consonnes gênantes. Mais surveillée de près dans le langage des gens cultivés, elle a respecté ces groupes consonantiques que protégeait le prestige de leur origine. Elle a donc dû chercher d’autres voies pour satisfaire dans la mesure du possible à ce que réclamait le système phonologique. Lesquelles a-t-elle trouvées? C’est un problème intéressant, mais qui est en dehors de notre horizon.
Ce qu’il nous importe de noter en terminant, c’est que cette dernière remarque fait surgir un nouveau problème et assez délicat devant nous. L’historien de la langue qui veut expliquer les transformations qu’il a constatées et définies n’a pas seulement à donner les raisons contingentielles et organiques d’un changement considéré en lui-même ou en connexion avec les parties du système qui y sont directement intéressées. Il peut avoir à tenir compte de tous les contre-coups que ce changement peut avoir contingentiellement sur d’autres parties plus éloignées du système et par conséquent à se demander dans chaque cas pourquoi ceci a été momentanément sacrifié à cela.
Ici encore la réponse sera dans certains cas assez facile. On comprend par exemple assez bien qu’une influence massive du vocabulaire, conditionnée par des circonstances déterminantes d’histoire et de culture, puisse faire violence aux habitudes du système phonologique, comme nous venons de le voir. Encore serait-il intéressant de calculer les forces et les résistances en présence, pour expliquer le résultat obtenu, c’est- à-dire la résultante mécanique de cet antagonisme. Dans d’autres cas le problème est plus difficile à résoudre et en particulier la question du bouleversement du système expressif de la langue par des phénomènes de phonétique historique ne manque pas d’être mystérieux. On peut sans peine établir des hypothèses plus ou moins plausibles: dire, par exemple, que les évolutions phonétiques ne peuvent compromettre que des éléments de peu d’importance dans le système, et que s’ils paraissent s’attaquer à des parties essentielles de la grammaire (système des temps ou système des cas), c’est que ces choses en apparence de grande conséquence sont en réalité déjà déca- dentes et n’opposent pas de résistance effective.29 Mais cela ne suffit pas; il faut rendre ces thèses plausibles en considération des faits. La science se doit de nous dire un jour si les facteurs qui agissent sur les éléments phoniques de la langue sont assez puissants pour forcer l’organisation logique et expressive à céder devant eux, et s’il est vrai de dire, selon une formule ancienne que M. Dauzat a reprise, que «l’évolution des sons commande l’histoire de toute langue».30
Nous nous arrêtons ici en répétant que nous ne pensons aucunement avoir donné par ces quelques indications une solution aux problèmes passionnants de la linguistique évolutive. Nous n’avons voulu, comme nous l’avons fait pour les deux autres disciplines, que donner une idée suffisamment claire de la manière dont nous en définissons l’objet et dont nous en entrevoyons le programme.
Nous nous sommes efforcé par là, et nous espérons y avoir réussi dans quelque mesure, de dire ce que sont ces trois disciplines en elles-mêmes et dans leurs relations réciproques. Nous l’avons fait — on voudra bien nous rendre cette justice — en restant fidèle à l’esprit de notre maître, Ferdinand de Saus-sure, même là où nous avons jugé nécessaire d’apporter des changements aux formulations du Cours de Linguistique gênéraie.
Une telle critique, en aidant à le mieux comprendre, le grandit, nous semble-t-il, plutôt qu’elle ne le diminue.
Notes
1Cours de Linguistique générale, 2e et 3e éd., p. 158 ss., 144 ss., 170 ss.
2BSL 64, 32.
3՝Aperçu d’une histoire de la langue grecque, 1913, et Esquisse d’une histoire de la langue latine, 1928.
4Mélanges Bally, Genève 1938 (éd. Georg & Cie.), p. 19 ss.
5Cours de Linguistique générale (2e et 3e ed.), p. 63-96.
6Cours (2e et 3e éd.), p. 37.
7Nous pensons spécialement à ses remarques sur le caractère es- sentiellement double de tous les éléments linguistiques et à sa définition de la langue comme pure forme, ensemble de rapports entre des rap- ports sans terme positif aucun. Cours, p. 23 ss. et p. 168 ss.
8Programme et Méthodes de la Linguistique théorique, Paris, Leip- zig, Genève, 1908, p. 70 ss.
9Paul Stapffer, Récréations grammaticales et littéraires, p. 12 ss., 74 et 77.
10Et. Le Gai, Ne dites pas... mais dites ..., p. 124, 51.
11Voir C. de Boer, Remarques sur la fonction et l’histoire du géron- dif français, dans A Rom. 13 (1929), p. 417 ss.
12Ausführliche Grammatik der französischen Sprache von Ph. Plattner, II (1900), in (1905) et IV (1907), Ergänzungen, Karlsruhe.
13Traité de Phonétique, Paris 1933.
14Voir ce que F. de Saussure dit sur l’identité: Cours, p. 150 ss.
15Au moment de mettre ces lignes sous presse, nous recevons le beau lfvre de M. Marcel Cressot: La phrase et le vocabulaire de Huysmans (Paris, E. Droz, 1938). L’auteur parlant de ses devanciers dans des études du même genre dit: «Le grand, l’unique reproche que nous adresserons en bloc à tous ces ouvrages..., c’est qu’ils ne procèdent en fait d’aucune intention stylistique. Il ne suffit pas de signaler, même avec une très grande conscience..., la présence des mots: il convient de l’interpréter, d’en montrer la nécessité pour l’auteur sur le plan pratique et sur le plan esthétique». Cette critique est un programme que l’ouvrage lui-même s’efforce de réaliser.
16A. Grégoire, L’Apprentissage du Langage, les deux premières années. Bibliothèque de la Fac. de Philosophie et des Lettres de l’Universite de Liège, fasc. 73, 19 3 7.
17Albert Dauzat, Histoire de la langue française, Paris 1930 p. 114 ss.
18Cours (2e et 3e éd.), p. 221 ss., 238 ss., 242 ss.
19A ce sujet voir notre article dans les Mélanges Bally, p. 19 ss.
20Le Problème de la langue a la lumière d’une théorie nouvelle, Revue Philosophique, 42e année, n° 7, spéc. p. 26-29.
21Cours de Ling, générale (2e et 3e éd.), p. 180 ss.
22Le Langage et la Vie, Paris 1926, p. 141 ss., et Zurich 1935, p. 113 ss.
23Leipzig et Berlin, 1934.
24Voir A. Dauzat, Histoire de la langue française, Paris 1930, p. 37 s. et du même auteur son article Le substrat germanique dans l’évolution phonétique du français dans les Mélanges van Ginneken, Paris 1937, p. 267-272. Aux faits de vocalisme bien connus auxquels nous pensons ici, M. Dauzat en ajoute d’autres, très probants, concernant le consonantisme, mais qui ont un caractère négatif. Il s’agit des phénomènes de palatali- sation dont l’action a été arrêtée par l’influence germanique.
25A. Meillet, Esquisse d’une histoire de la langue latine, Paris 1928, p. 118 ss.
26Karl Vossler, Frankreichs Kultur und Sprache, 2e éd., Heidelberg, 1929, p. 54.
27Sur tout le problème historique et actuel de cette forme d’interro- gation voir L. Foulet, Comment ont évolué les formes de l’interrogation, R 47 (1921), 243 ss., spéc. 253 ss., et E. Fromaigeat, Les formes de l’interrogation en français moderne, VRom. 3 (1938), 1 ss., spéc. 33 ss.
28Alb. Sechehaye, L’Imparfait du subjonctif et ses concurrents dans les hypothétiques normales en français, RF 19, 384 ss.
29 C’est la thèse que nous avons énoncée jadis dans notre ouvrage: Programme et méthodes de la Linguistique théorique, 1908.
30Histoire de la langue française, Paris 1930, p. 31.
*Vox Romanica V (Ziirich, 1940), pp. 1-48.