Instead of extracts from the Cours de linguistique générale (CLG), either in the original French version or in Wade Baskin’s English translation (New York, 1959), I have chosen to present here two texts, as yet unpublished although utilized by the editors of the CLG. I believe that they will give the readers a more vivid idea of de Saussure’s lectures at the University of Geneva.
The notes are mine.
R. G.
1. La morphologie, dit-on, est l’étude des formes du langage, tandis que la phonétique serait l’étude des sons du langage.
On ne peut se contenter d’une pareille définition, non seulement en théorie, mais même pour la pratique, car il arrivera souvent que nous ne saurons plus si nous faisons de la morphologie ou de la phonétique, comme on va le voir.
Il est évident d’abord que la phonétique, tout en s’occupant des sons et pour pouvoir le faire, est obligée en premier lieu de s’occuper des formes. Les sons ne se transmettent pas d’une génération à l’autre à l’état isolé; les sons n’existent, ne vivent et ne se modifient qu’au sein des mots. On n’a pas prononcé s tout seul, et ensuite esprit rude. On a prononcéserpö, sedos, et ensuite herpô, hedos. Et si je dis: herpö sort de serpö, je fais de la phonétique, et rien d’autre. De même si je dis que la Ire personne des verbes en - ω ne peut pas venir d’une ancienne Ire personne en - ōmi.
Ferdinand de Saussure
D’autre part, la morphologie, qui est censée ne s’occuper que des formes, s’occupe parfois des sons. Par exemple quand je dis que l’o grec peut alterner avec 6, et pas avec α: λoγos, λέγω - mais αγω, pas de ‘oγ -, je fais de la morphologie. Il est vrai que pour certaines personnes cela s’appelle faire de la phonétique. A cause de la mauvaise définition. Mais il deviendra très clair, par la suite, que rien n’est plus faux et plus dangereux que de classer un fait de ce genre avec les faits phoné- tiques.
Ainsi il n’est pas aussi simple qu’on se l’imagine quelquefois de séparer les deux domaines, et ce n’est pas en disant que l’un = étude des sons, et l’autre, des formes qu’on obtient une ligne de démarcation satisfaisante.
Mais cette ligne de démarcation est impérieusement nécessaire pour éviter de lamentables confusions.
Principe de direction: Toutes les fois qu’on considère une même forme à des dates diverses, c’est faire de la phonétique, et toutes les fois qu’on considère des formes diverses à une même date, on fait de la morphologie.
Vha. | zug | zugi |
all. | zug | züge |
Comparer zugi et züge, c’est comparer deux formes, et néan- moins ce n’est pas faire de la morphologie, mais de la phonétique.
Comparer u - ü dans zug, züge, c’est comparer deux sons, et néanmoins ce n’est pas de la phonétique.
Les deux sphères confondues dans les locutions courantes:
chantre se rattache étymologiquement
chanter chantre se rattache étymologiquement àcantor
φóρoς vient de φέρω
φóρoς vient de bhoros
Observation. L’étymologie, qu’on donne quelquefois comme une branche de la science du langage, ne représente pas un ordre déterminé de recherches, et encore moins un ordre determiné de faits. Faire de 1’étymologie, c’est faire une certaine application de nos connaissances phonétiques et morphologiques. Ramener par la phonétique jusqu’à une époque où le mot devient morphologiquement analysable:
Quelquefois, l’étymologie ne se meut même que dans les modi- fications de l’idée: le barreau; αυτως.
2. Cela ne dit pas encore en quoi consiste exactement la morphologie. Définition. La morphologie est la science qui traite des unités de son correspondant à une partie de l’idée, et du groupement de ces unités. La phonétique est la science qui traite des unités de son à établir d’après des caractères physiologiques et acoustiques.2
Le vrai nom de la morphologie serait: la théorie des signes, et non des formes.
a) Comment se fait-il, d’après cette définition, que la morphologie ait toujours pour champ naturel ce qui est contemporain, et la phonétique ce qui est successif? Il faut absolument à la morphologie, pour définir, délimiter chaque signe et lui assigner son rôle, qu’elle ait des points de repère dans les autres signes du même système. Δoτoς seul est morphologiquement impénétrable. Aussitôt qu’on a δoτóν, δoτηρ, on peut analyser. Et il faut naturellement que δoτóν, δoτηρ appartiennent au même système.
Ou: la langue3 n’a conscience du son que comme signe. Mieux: δoτóς considéré par rapport à ses contemporains, est le porteur d’une certaine idée, qui n’est pas celle de δoτηρ, qui n’est pas celle de δωδω, δoτóν et de même les parties de δoτóς. Il apparaît donc ici comme signe, et relève de la morphologie.
Phonétiquement, le rapport de δoτóς, δoτηp, δωδω, c’est-à- dire des formes contemporaines, ne peut pas être éclairci.
La phonétique d’une époque donnée se bornerait à deux pages de constat. Le premier soin d’une phonétique “française” est de nous mettre en présence de l’ancien français ou du latin.
b) Comment se fait-il que la morphologie ait quelquefois à s’occuper des sons? Le son peut être porteur d’idée. Alternance et changement phonétique.4
3. Tout rapprochement de formes contemporaines ayant quelque chose de commun conduit à l’analyse:
σo/ τóςσoτηp
La question se pose de savoir à quoi répond cette analyse, quelle est sa sanction? L’ancienne grammaire comparée ne se préoccupait pas du tout de cette question. Elle partageait les mots en racines, thèmes, suffixes, etc. et donnait à ces distinctions une valeur absolue. Elle y mettait une telle candeur que véritablement, quand on lit Bopp et son école, on en arriverait à croire que les Grecs avaient apporté avec eux, depuis un temps infini, un bagage de racines, thèmes et suffixes, et qu’au lieu de se servir des mots pour parler, ils s’occupaient de les confectionner.5
Il devait se produire une réaction formidable contre ces aberrations, réaction dont le mot d’ordre, très juste, était: Observez ce qui se passe dans les langues d’aujourd’hui, dans le langage de tous les jours. N’attribuez aux périodes anciennes de la langue aucun processus ou phénomène que ceux qui sont constatables dans le langage vivant.
Et aujourd’hui toute morphologie commence par une déclaration de principes, qui revient généralement à dire, 1° que racine, thème, suffixe, etc. sont de pures abstractions, qu’il ne faut pas se figurer que ces créations de notre esprit aient une existence réelle; 2° qu’on en fera usage cependant, pour la commodité de l’exposition, mais que, bien entendu, il ne faut y attacher (à ces expressions) que la valeur toute relative qu’elles comportent.
Résultat: le lecteur reste absolument désorienté. Car s’il n’y a pas de justification à l’établissement de ces catégories, alors pourquoi les établir? Ou, en particulier, qu’est-ce qui fait qu’il est moins faux de décomposer ςυγóν en ςυγ-ó-ν que de le décomposer en ςυ-γóν?
L’école nouvelle mérite effectivement ce reproche, d’avoir reconnu la nature des phénomènes de la langue et d’être restée, jusqu’à un certain point, embarrassée dans l’appareil scientifique de ses prédécesseurs, dont il était plus facile de faire voir les défauts que de fixer exactement la valeur positive.
Je vais émettre une proposition légèrement entachée d’hérésie. Il est faux que les distinctions comme racine, thème, suffixe soient de pures abstractions. Avant tout, et avant de venir nous parler d’abstractions, il faut avoir un critérium fixe touchant ce qu’on peut appeler réel en morphologie.
Critérium: ce qui est réel, c’est ce dont les sujets par- lants ont conscience à un degré quelconque; tout ce dont ils ont conscience, et rien que ce dont ils peuvent avoir conscience. Or dans tout état de langue, les sujets parlants ont conscience d’unités morphologiques — c’est-à-dire d’unités significatives — inférieures à l’unité du mot.
En français, nous avons conscience, par exemple, d’un élé- ment -eur qui, employé d’une certaine façon, servira à donner l’idée de l’auteur d’une action: graveur, penseur, porteur. Question: Qu’est-ce qui prouve que cet élément -eur est réel- lement isolé par une analyse de la langue? Réponse: Comme dans tous les cas pareils, ce sont les néologismes, c’est-à-dire les formes où l’activité de la langue et sa manière de procéder trouvent à se manifester dans un document irrécusable:
men-eur, os-eur, recommenc-eur
D’autre part, les mêmes formations attestent que les éléments men-,os-, recommenc- sont également ressentis comme unités significatives.
A côté de penseur, nous avons pensif. Eh bien! s’il est certain que la langue isole -eur, il est beaucoup moins certain que la langue isole -if. Comment en jugeons-nous? Parce qu’on ne pourrait former menif, osif, etc.
Conclusion. L’analyse morphologique du grammairien, dans la mesure où elle se trouve d’accord avec l’analyse de la langue attestée par les néologismes ou formations d’analogie, ne saurait passer pour un produit de l’abstraction.
Maintenant, il est très vrai que les sujets parlants procê- dent toujours en partant du mot fait: c’est-à-dire qu’en formant oseur on ne se dit pas: je combine os- et -eur. Mais on procède comme suit:
graveur : graver, je grave = x : oser, j’ose.
Mais je vous demande si le grammairien procède lui-même, dans ses analyses, d’une manière bien différente. Lui aussi part forcément des mots faits: pour dégager -σις dans σoσις, il compare σoτóς, et il compare, par exemple, στασις:
σóσls : σoτóς = στασιs : στατóς
Donc j’isole -σις ou -τoς ou σo-. Donc je pourrais former à l’occasion λυσις(λυóις). Qui pourrait même dire si c’est exactement de telle ou telle façon que le sentiment de la langue procède ?
graveur : graver = penseur : penser
Donc (oser) oseur.
Observation importante. Il est essentiel de noter que l’analyse de la langue peut reposer sur un rapport apparent des formes, sur un rapport qui n’est pas justifié par 1’étymologie, c’est-à-dire par le rapport primitif de ces formes.
Certainement | germ, kalbiz | pl. kalbizö |
(vha.) | kalbkalbir |
A l’époque germanique, signe du pluriel -ô; à l’époque allemande, une nécessité phonétique ayant accidentellement fait disparaître iz au singulier, tandis qu’il se maintenait au pluriel grâce à la protection de la voyelle qui suivait — or, la langue ne jugeant jamais que par les formes, il est inévitable que la langue divise kalb/ir et prenne -ir pour le signe du pluriel, tandis qu’à l’origine il n’avait rien de spécifiquement pluriel. Cela est faux historiquement, et cela est juste pour la morphologie de l’époque en question. La vie de la langue est faite de ces mé- prises. Rappelons-nous que tout ce qui est dans le sentiment des sujets parlants est phénomène réel. Nous n’avons pas à nous inquiéter de ce qui a pu provoquer ce sentiment. Le morphologiste lui-même doit couper kalb/ir, car c’est là l’analyse de la langue, et cette analyse est son seul guide. Et elle s’atteste par les formations nouvelles, par exemple kind-er.
Moralité. Une fois de plus, nous voyons que la morphologie ne peut jamais combiner et mêler plusieurs époques différentes; qu’elle doit exercer son activité séparément au sein de chaque époque, sous peine de confondre les faits phonétiques et les faits morphologiques. Je ne dis pas que ce soit un procédé courant; je dis que c’est un procédé détestable.
4. La méthode de l’analyse morphologique rétrospective, ou de l’anachronie morphologique.
L’observation qui terminait le § 3 nous a préparé à comprendre ce que c’est que le procédétout artificiel que j’appelle l’analyse morphologique rétrospective. J’ajoute que toutes mes remarques précédentes n’avaient d’autre but que de bien faire voir en quoi il consiste. Car c’est là le véritable noeud de la question si délicate et si importante des racines, suffixes, thèmes et désinences, question sur laquelle vous pourrez lire vingt volumes avant de trouver le moindre éclaircissement.
Kalb : kalbir. Si je fais intervenir dans les formes du 9e siècle ce qui était vrai de celles du 1er siècle, si je dis: Non, -ir n’est pas désinence du pluriel puisqu’on a germ, kalbiz, kalbiz-d, qu’est-ce que je fais? De la morphologie protoger-manique sur les formes allemandes, de la morphologie rétro- spective. Les grammairiens6 se figurent ainsi rétablir la vérité: ils la méconnaissent absolument. Car encore une fois, au 9e siècle, ce qui est vrai, c’est ce que sentent les Allemands du 9e siècle, absolument rien d’autre. Les questions d’origine n’ont rien à voir là-dedans. Si donc j’introduis un radical kalbiz- ou kalbir- au 9e siècle, cela peut être commode pour certains détails de l’exposition, mais cela ne correspond à rien qu’à une réalité évanouie depuis longtemps.
Autre exemple. En français de nos jours, enfant, entier ne comportent, au sentiment des Français, aucune espèce d’analyse, pas plus que n’en comporterait le mot pour ou le mot moi. Au 1er siècle, infans, integer, qui correspondent phonétiquement, comportent une analyse, car, par exemple in-auditus et fàri, tango, etc. permettent à la langue de décomposer ainsi: in-fans, in-teger. Si je me mets à couper: en-fant, en-tier, je fais la même chose que tout à l’heure. De la morphologie latine sur des formes françaises.
Eh bien, c’est cette morphologie-là qui est à la base de toutes les grammaires gréco-latines. C’est cette morphologie- là que nous allons faire nous aussi dans la moitié des cas. Seulement, vous aurez été dûment avertis et mis en état, je l’espère, de vous rendre compte de sa véritable valeur. Exemple. En grec, nous diviserons:
ξππo-ς, ξππo-ν etc. (ιππo- : thème).
Il est à peu près certain que si ξππ o, au sentiment des Grecs, se décomposait d’une façon quelconque, c’était en ξππ - oς, ξππ -ov. La preuve? Comme toujours, les formations nou- velles ou analogiques: γραμματoις, ρητoρoν. La réalité que représente la division ξππo-ς c’est une réalité indo-européenne figurée sur une forme grecque. Je rappelle: réalité = fait pré- sent à la conscience des sujets parlants. Les Indo-Européens, ou au moins les plus anciens Indo-Européens ont divisé ekwo-s yeekwo-m. Quand nous dégageons un thème ιππo-, nous nous fondons sur une réalité morphologique antérieure de 2000 ou 3000 ans à Platon ou Sophocle, et qui a cessé d’être pour ces écri- vains et leurs contemporains.
Autre exemple: pater eus. Nous le décomposons en patercus. Cela est absolument vrai pour l’époque où on a formépatercus sur pater, comme villicus ou vïlicus sur villa. Néan- moins, à une époque déjà ancienne de la langue latine, patercus est déjà de l’analyse rétrospective. L’analyse actuelle serait: pat-ercus. Preuve: formation nouvelle: nov-erca, qui prouve qu’on isolait pat + er cus, et non pater + cus?7
L’analyse rétrospective ne cherche qu’à répartir les membres du mot selon l’analyse la plus ancienne de la langue; mais cette analyse ne répond que dans un nombre limité de cas à l’analyse la plus récente. D’autre part, elle peut parfaitement y répondre, ce qu’il ne faut pas oublier non plus:
dō-tōr
σω-τωp
En établissant les subdivisions du mot, telles que racine, thème ou suffixe, il doit toujours être entendu que nous nous plaçons à l’époque, éloignée ou rapprochée, où cette analyse se justifie par le sentiment conforme de la langue. Epoque variable, puisque pour ôco-rc cp il n’y a pas à remonter au-delà du grec, et pour, ιππ-ς infiniment loin au-delà du grec.
Une morphologie vraiment scientifique aurait pour premier devoir de séparer les différentes époques et de se pénétrer exclusivement de l’esprit de chacune d’elles, de ne pas imposer des cadres abolis depuis des siècles aux formes historiques. Seulement, on n’aurait par là que des aperçus très incomplets sur la genèse de ces formes. Il est clair que si je divisais pat- er eus, conformément au sentiment latin d’une certaine date, je n’apercevrais pas le parallélisme entre pater : pater-cus et villa : villicus (villa-eus). La pratique commande donc l’ana- chronisme et la confusion des époques.
3me conférence
5. La morphologie historique. Le changement morphologique.
Il ressort indirectement du § 4 qu’il y a dans la vie du lan- gage un fait considérable, d’une importance capitale, qui est le changement morphologique. Et que le procédé que nous avons appele morphologie rétrospective ou anachronique ou êtymologique consiste tout simplement à ériger en système l’oubli de ce phénomène du changement morphologique.
Le changement morphologique nécessite une étude spéciale, qui prend le nom de morphologie historique. Elle sépare les époques et les compare, tandis que la morphologie rétrospective les confond. Elle les présente dans8 la véritable perspective entre les classifications et les interprétations successives auxquelles la langue a pu se livrer sur les mêmes formes, tandis que la morphologie rétrospective cherche, si vous me permettez cette image, à obtenir la projection sur un même plan de classifications très différentes par leurs dates. Elle dira que dans kalb, kalbir, par suite de la modification du son, le rapport entre l’idée et le son est devenu autre que dans leurs prototypes kalbiz, kalbizö. La morphologie étymologique ne voit que l’état le plus primitif et applique imperturbablement l’analyse du premier jour aux périodes subséquentes. Pas de confusion possible, puisque la morphologie étymologique est la négation même du principe historique.
Voici maintenant la question qui ne peut manquer de se poser, si j’ai réussi à faire suivre le développement du présent exposé9 depuis le commencement.
Puisqu’il existe un changement morphologique, et une morphologie historique, et une succession dans les faits morphologiques, il est donc faux de dire que le jeu des forces morpho- logiques s’exerce constamment et exclusivement entre formes contemporaines. Je rappelle en effet qu’au § 1 nous posions comme un principe de première importance que les faits morphologiques se passent entre formes diverses et simultanées, les faits phonétiques entre des formes identiques et successives.
Il me sera très facile de vous montrer que ce principe n’est pas entamé un seul instant par le fait du changement morphologique, mais qu’il en reçoit plutôt une nouvelle et décisive illustration.
En quoi consiste le changement morphologique qui s’ac- complit d’une époque à l’autre?
1° Dans l’analyse différente des mêmes formes, ou la valeur différente que la langue leur attribue, ou le rapport différent qu’elle établit entre elles: tous faits qui restent dans le domaine purement psychologique, mais n’en sont pas moins des faits positifs. Exemple:
Epoque I βέλεσ-στ
Epoque II βέλ-εσστ
2° Dans la création de formes nouvelles, fait plus tangible, plus matériel:
Epoque I θηρσι
Epoque II θηρεσσι (création nouvelle)
Reprenons le premier fait. Le changement survenu dans l’aperception de ßeXeacn par la langue resterait lettre close si nous en cherchions la raison dans cette forme elle-même. Il a sa source uniquement dans les formes concurrentes, ainsi que nous l’avons déjà dit. Comme l’élément -εσ- ne se retrouve pas dans ßέλει, ßελέων, etc. depuis la chute de l’s, la langue n’a aucune indication qui lui permette de couper ßέλεσ-σι, et elle coupe maintenant ßέλ-εσσι . Ainsi le mouvement ne s’est pas produit entre ßέλεσ-σι et ßέλ-εσσι, ce qui serait simplement absurde à dire. Mais comme toujours en morphologie, le mouvement vient d’à côté. Et nous retrouvons donc la condition primordiale de toute opération morphologique. Elle porte sur la diversité ou sur le rapport des formes simultanées.
Reprenons le deuxième fait, les créations nouvelles. Ici, la chose est encore plus évidente. Pas question, n’est-ce pas, de mettre en relation
θηρσι-
θηρεσσι
L’impulsion linguistique qui a engendré θηρεσσι vient naturellement d’àcôté, je répète le mot: de βέλεσσι, etc. Pour créer θηρεσσι, il fallait un modèle; or naturellement ce modèle devait être très connu de celui qui lançait le néologisme; c’est dire que le fait s’est passé entre formes on ne peut plus contemporaines, puisque l’association s’est faite dans le cerveau du même indi- vidu, et qu’il n’a fallu même qu’un quart de seconde pour con- clure de βέλ-εσσι á θηρ-εσσι.
Autre exemple de changement consistant en une création nouvelle substituée à l’ancienne:
La finale -oi, d’abord propre au pronom, a gagné en germanique l’adjectif, en grec l’adjectif et le substantif. Il est évident que ce n’est pas de *klutös qu’est parti le changement qui a donné à sa place ΚΛΥΤOΙ. La formation ΚΛΥΤOΙ conduit tout de suite à la recherche d’autres formes, et de formes contemporaines; ce n’est pas l’époque antérieure qui intervient, c’est uniquement l’époque même de sa formation:
La langue a donc dû recourir à un ensemble de formes simultanées pour arriver à cette création.
En comparant ce qui se passe dans le domaine phonétique, vous apercevrez d’une manière encore plus claire la vérité de notre principe, qu’il n’y a jamais à se mouvoir, en morphologie, qu’au sein d’une même époque, même quand il s’agit des changements.
On a pu comparer avec justesse le changement phonétique à un escalier dont les marches s’écrouleraient à mesure qu’on le gravit. Pour que k 2oteros devienne kwoteros, il faut que k2ooteros cesse de vivre; pour que *kwoteros arrive à être irórepos, il faut que kwoteros disparaisse. Ecrivons:
Changement morphologique: nous ne pouvons écrire ni
Car ce n’est évidemment pas le toi de la génération précédente qui a <engendré κλυτoι>. Il faut écrire:
6. Le changement morphologique, ou le mouvement morphologique de la langue, appelle une autre remarque.
Quand des formes nouvelles surgissent, tout se passe, nous venons de le voir, par décomposition des formes existantes et recomposition d’autres formes au moyen des matériaux fournis par les premières. On décompose instinctivement βέλεσσι en βέλ-εσσι et on applique le résultat à composer θηρεσσι. Mais jamais il n’est possible à la langue de construire une forme de but en blanc et par un acte véritablement créateur. Toujours, les éléments de la forme nouvelle sont empruntés au fonds acquis. Or comme ce fonds consiste en mots, et non en suffixes, racines, etc., toujours il faut, pour composer du nouveau, un travail préalable et secret de décomposition. Si haut qu’on remonte, il n’y a pas d’autre procédé visible ni admissible théoriquement. La langue indo-européenne la plus reculée n’a pas pu procéder autrement que le grec ni que le français. De sorte que les formes qui ont servi de point de départ aux formations nouvelles n’ont pu elle-mêmes être composées qu’au moyen d’autres formes sur lesquelles la langue avait exercé son analyse.
Ceci fait voir la signification qu’il faut attacher au juste aux synthèses auxquelles nous allons nous livrer. C’est là que je voulais en venir.
Quand nous dirons, par exemple, qu’on a ajouté à la racine bher- le suffixe -tor- et la désinence -es du nominatif pluriel pour faire *bhertores “les porteurs,” quand nous dirons cela, nous ne serons pas tout à fait en dehors de la vérité linguistique. Encore ici, j’estime qu’il serait plus utile de raisonner un peu les fameuses abstractions de l’ancienne école et de définir en quoi elles contiennent quelque chose de juste et de réel, que de répudier le tout en théorie pour y revenir ensuite dans la pratique. Ici, par exemple, il suffit d’introduire un correctif bien simple à cet artifice du grammairien pour lui donner un sens très légitime et très exact. Notre synthèse ne diffère pas essentiellement de celle de la langue; seulement, la langue avait commencé par une analyse (exactement comme nousmêmes, d’ailleurs). La langue avait commencé par puiser quelque part — puiser dans des mots déjà faits — et l’idée d’une racine bher-, et ridée d’un élément -tor- et d’un élément es, qu’elle ne connaissait pas comme tels, et en outre le modèle de leur agencement et de leur fonctionnement. Il y avait par exemple, peut-être, *mentores “les penseurs,” ou *wek 2tores “les parleurs,” et d’autre part bherö, bhernos, etc. Les éléments que nous abstrayons, auxquels nous donnons fictivement une existence à eux, ne vivaient qu’au sein des formes antérieures, et ce n’est que là que la langue a pu les aller chercher.
Notes
1More explicitly: collocäre, as against the Modern French and Old French words, is analyzable (col-locäre) because both the basic verb (locäre) and the prefix con- (in colligere, conferre, etc.) exist beside it in the same system.
2This definition is not quite in agreement with de Saussure’s usual terminology. He used to contrast ״phonétique,״ the study of sound changes belonging in diachronie linguistics, with ״phonologie,” the de- scription and classification of speech sounds, which he regarded as an auxiliary discipline, not as a branch, of linguistics (cf. CLG, Introduc- tion, Ch. VII, §1).
3”La langue:” in fact, the speakers (״les sujets parlants”). This metonymy had been frequently used by the earlier comparativists (cf. CLG, Introduction, Ch. I, final footnote).
4Here de Saussure only alludes to a problem he would probably have discussed at length in his actual lecture. For a discussion of this prob- lern (that is, vowel alternation as a result of regular sound change, as in English man, men; foot, feet; etc.), see CLG, Part 3, Ch. III, §§4-6.
5De Saussure had first written: ״[...] que les Grecs n’eussent pas apporté avec eux depuis un temps infini un mot πατηρ ״le père” et les Latins un mot pater, mais une racine pa- ״protéger” et un suffixe ter, ni un mot σωσoμ ατ, mais une racine σω, un suffixe -σo, et une désinence personnelle. “
6Reading uncertain.
7In quoting this rather suspicious example (patercus does not actu- ally occur in any Latin text), de Saussure seems to have remembered an etymological note of M. Bréal on noverca (MSLP, Vol. 6, 1889, p. 341).
8Reading uncertain.
9Reading uncertain.
*Autograph manuscript preserved in the ~ibl iothkquep ublique et universitaire of Geneva (Ms fr 3951.7). These three lectures form an introduction to a course which very likely was offered by de Saussure in the first years of his professorial activity in Geneva, perhaps in 1894- 1895. Cf. CLG, pp. 252-253 (pp. 258-259 of the first edition; p. 184 of the English translation).