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Geneva School Reader in Linguistics: Geneva School Reader in Linguistics

Geneva School Reader in Linguistics

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EDMOND SOLLBERGER

NOTE SUR L’UNITÉ LINGUISTIQUE*

1. Ferdinand de Saussure a insisté sur l’importance du problème de l’unité linguistique.1 Il s’agit, en effet, d’un problême capital. La science du langage se trouve dans la situation paradoxale de ne pas savoir exactement sur quelles unités elle opère. Or il est évident que la linguistique moderne, qui manifeste toujours plus nettement une tendance à emprunter aux sciences exactes leur démarche et leur expression, a besoin de déterminer ses unités autant que la mathématique ou la physique les leurs.

2. Définition de l’unité linguistique selon Saussure: «une tranche de sonorité qui est, à l’exclusion de ce qui précède et de ce qui suit dans la chaîne parlée, le signifiant d’un certain concept».2

3. Partant de cette définition, on peut poser que l’unité linguistique doit, a priori, avoir les propriétés suivantes:

3.1. Etre un signe, puisque ni le signifiant ni le signifié n’existent par eux-mêmes mais uniquement par leur association dans le signe.3 D’emblée, on exclut donc aussi bien le phonème que l’élément, quel qu’il soit, qui, selon certaines écoles, lui correspond sur le plan du signifié.

3.2. Appartenir à la langue. Dans tout système, l’unité doit avoir un caractère d’universalité, être à l’abri des contingences locales, temporelles, subjectives. Si l’on choisissait l’unité linguistique parmi des éléments relevant exclusivement de la parole, on courrait le risque de la voir soumise a l’accidentel.4 C’est précisément la raison pour laquelle Saussure n’a pas retenu la phrase comme unité linguistique.5

3.3. Pouvoir être isolée avec certitude, faute de quoi elle ne pourrait servir de base à un classement des éléments du langage. Et c’est pourquoi Saussure n’a pas reconnu au «mot» la qualité d’unité linguistique.6

4. En dernière analyse, il n’y a que deux sortes de signes linguistiques : le syntagme et le monème.

4.1. La phrase, dont on a dit, supra 3.2., qu’elle ne pouvait être l’unité linguistique, n’est qu’un cas particulier de syntagme. Dès lors, si l’on refuse cette qualité à un type de syntagme, force est bien de la refuser aux autres. On ne voit pas trop quels critères on invoquerait pour prendre comme unité linguistique tel type de syntagme à l’exclusion des autres. Il faudrait donc assimiler l’unité linguistique au syntagme en général. Mais alors les conditions énoncées supra 3.2. et 3.3. ne seraient pas remplies: si certains syntagmes appartiennent à la langue,7 il en est en revanche bien d’autres qui relèvent exclusivement de la parole. Et d’autre part, on se heurte, pour la délimitation du syntagme à des difficultés analogues à celles qui compliquent celle du «mot».

4.2. Le syntagme étant éliminé, c’est, ipso facto ,le monème qui doit être pris comme unité linguistique.

4.2.1. H. Frei, qui a forgé le terme de monème, le définit: «tout signe dont le signifiant est indivis»,8 «... dont le signifiant ne peut s’analyser syntagmatiquement»,9 «... dont le signifiant est insécable, c’est-à-dire n’est pas divisible en signifiants plus petits».10

4.2.2. Le monème ainsi défini recouvre bien la définition saussurienne de l’unité linguistique (supra 2.), et il possède incontestablement les trois propriétés qui doivent, a priori, la caractériser (supra 3.).

Notes

1Voir CLG p. 148 sqq. (je cite d’après l’édition originale de 1916).

2CLG p. 150. 

3Cf. CLG p. 148.

4CF. CLG p. 31.

5CLG p. 152-153.

6CLG p. 151-152. Il opère néanmoins sur les mots, ceux-ci donnant de l’unité linguistique «une idée approximative qui a l’avantage d’être concrète»; ce sont des «spécimens équivalents des termes réels d’un système synchronique» (CLG p. 164).

7Cf. CLG p. 178-179.

8CFS 1 (1941) p. 51.

9Word 4 (1948) p. 69 n. 24.

10Zs. ƒ. Phonetik 4 (1950) p. 162 n. 4. __ Il ajoute qu’il est pour le linguiste «un instrument commode parce que mesurable et nombrable à la manière de l’atome chimique » (CFS 1 [1941] p. 52; c’est moi qui souligne).

*Cahiers Ferdinand de Saussure 11 (Gen6ve: Librairie Droz, 1953), pp. 45-46.

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