1. Signe latent ou absence de signe
Un signe zéro n'est pas simplement !, absence d'un signe au sens saussurien, c'est-à-dire de l'ensemble signifiant + signifié : c'est un signe implicite dont le signifié se dégage de rapports mémoriels ou discursifs, mais dont le signifiant n'admet au- cune réalisation phonique : dans tch.Zen, gen.plur.de՝kena, il y a une désinence zéro.1
1.1. On ne peut constater l'absence d'un signe que comme unelacune dans une famille de signes ou dans un énoncé. Le premier cas est celui des séries défectives de la flexion ou de la dérivation : lat.ferire n'a pas de perfectum; certains adjec- tifs français, commedru, morne, jaune , ne sont pas accompa- gnés d'un nom de qualité. Ces lacunes mémorielles sont des faits de langue, mais des faits particuliers et isolés. L'oppo- sition de l'infectum et du perfectum, par exemple, est essen- tielle à la structure du paradigme verbal en latin; mais cette structure n'est pas réalisée intégralement dans la conjugaison de tous les verbes.
1.2. Une phrase inachevée commequos ego ... présente une lacune discursive. Ici, c'est la structure syntagmatique qui s'est réalisée incomplètement dans la parole. Peu importe qu'il y ait, de la part de celui qui parle, intention ou défaillance; peu importe aussi que la phrase incomplète puisse être com- prise intuitivement, grâce à des indices étrangers à la langue: l'analyse constate l'absence d'un signe que le contexte ne per- met pas de rétablir à coup sûr.
Il n'en est pas de même des abréviations conventionnelles du style télégraphique ou des petites annonces: là, comme dans les abréviations graphiques, on peut voir des suppressions de signifiants.
1.2.1. Dans ces deux cas, du reste, rénoncé est incomplet. Il n'en est pas de même des syntagmes elliptiques : l'ellipse n'est ni un accident de la parole ni une abréviation convention- nelle. Elle n'apparaît qu'à la réflexion; or, de la réflexion à la spéculation abstraite, le pas est vite franchi, surtout en matière de langue. Si, comme on l'admet généralement, l'ellipse est un signe latent et non l'absence d'un signe non indispensable à intelligence de l'énoncé, il faudra, pour qu'on puisse parler d'ellipse, que le signe latent se laisse rétablir intégralement — donc, que le signifié évoque sans hésitation possible le signifiant correspondant.
Faut-il, par exemple, voir avec Bally une «ellipse de situation» dans:regardez! , qu'il interprète par: regardez ceci? 2Nous n'y voyons qu'une absence de signe: dans l'emploi absolu d'un terme susceptible de régir un complément, nous constatons qu'il n'y a pas de complément. Autrement, on ferait une ellipse quand on dit:Pierre lit sans savoir ce qu'il lit, ou quand on désigne quelqu'un comme:le directeur , sans avoir idée, peutêtre, de ce qu'il dirige. Il va de soi qu'on ne dit pas: regardez! sans avoir l'idée de quelque objet visible; mais une idée ne devient un signifié que par l'emploi d'un signe; et rien, ici, ne réclame l'adjonction de tel signe(ceci) plutôt que de tel autre(ici, ces gens, etc.).
2. Le signe zéro et l'ellipse
2.1. Ces deux espèces de signes latents ont été nettement distinguées par Bally.3 Le signe zéro est obligatoire: le gén. plur. dežena est — et ne peut être quezen; l'ellipse est facultative, et le signe explicite suggéré par le contexte peut toujours être rétabli:un litre de (vin) rouge.
L'équivalence avec un signe explicite (lat.consul: princep-s) n'est pas un caractère nécessaire du signe zéro. Au contraire, l'ellipse suppose toujours l'équivalence exacte du signe latent avec le signe explicite.
2.1.1. Le signe zéro est donc une unité de langue; l'ellipse ne se réalise que dans la parole. Seules, les conditions de l'ellipse resident dans la langue: dansnecessitatis inventa antiquiora sunt quam voluptatis (inventa), l'ellipse est rendue possible par la valeur particulière du génitif latin; dansfrigida (aqua) lavabatur , par le genre grammatical et l'accord.
Avec raison, Bally a mis en parallèle l'ellipse et l'agglutination:4 l'une et l'autre peuvent, dans des expressions devenues usuelles, engendrer dans la langue des signes immotivés — ainsi capitale, issu d'une ellipse, etchef-lieu, produit d'une agglutination. Mais à ce moment, l'ellipse a cessé d'exister.
2.1.2. Bally a toujours maintenu cette distinction nécessaire: dans Linguistique générale et linguistique française, 5trois sections du chapitre intitulé Non linéarité ou dystaxie traitent successivement de la sous-entente, de l'ellipse et du signe zéro, et il est clair que cette dernière expression ne dé- note pas un genre dont la sous-entente et l'ellipse seraient les espèces. On ne fera donc pas un sort aux passages où Bally a parlé de signe zéro dans un sens large pour désigner les signes latents en général; le contexte exclut d'ailleurs tout soupçon de confusion.6
2.2. En revanche, et bien que Bally invoque ici la distinction saussurienne entre langue et parole, sa théorie de lasousentente nous paraît moins bien fondée.
Les termes d'ellipse et de sous-entente, d'ailleurs, ne recouvrent pas exactement ceux d'ellipse discursive et d'ellipse mémorielle, proposés par M. Frei.7 La sous-entente s'apparente à l'ellipse par son caractère facultatif; elle s'en distingue — et par là se rapproche du signe zéro — en ce qu'elle a «une valeur uniquement grammaticale», tandis que l'ellipse «peut représenter, au gré des circonstances, n'importe quel signe ou groupe de signes, pourvu qu'il soit de nature lexicale».8
On pourrait rappeler ici que, comme l'a montré Saussure,9il n'y a pas de démarcation vraiment nette entre lexique et grammaire: tout signe a une certaine valeur grammaticale et une certaine signification; il appartient à une classe de signes comportant certaines fonctions, et diffère sémantiquement des autres signes de sa classe. Mais surtout, il nous semble que les exemples réunis par Bally sous l'étiquette sous-entente10 ne relèvent pas tous de la même explication.
Une relation syntagmatique peut n'avoir d'autre signe que le groupement des termes et la séquence: dansthe man I have seen,11 par exemple, la séquence est significative (cf.I have seen the man). S'il existe, parallèlement, un type syntagmatique avec un signe phonique de relation, il ne s'ensuit pas que le signe «tactique» doive être interprété comme une ellipse du signe phonique. En effet, les deux constructions peuvent n'avoir pas — ou pas constamment — la même valeur, et alors elles sont opposables: ainsi M. Benveniste a démontré qu'en indo-européen, la phrase nominale n'est pas une phrase à verbeêtre sous- entendu;12 et Bally lui-même, qui cite comme exemple de sous- ententetravailler la nuit, signale la différence aspective entre ... la nuit et...pendant la nuit .13 Ou bien, les deux types syntagmatiques sont en concurrence, et on peut avoir affaire â une ellipse ordinaire — par exemple dans non ego credulus illis (sum).
3. Le signe zéro : définitions et exemples
3.1. Pour Bally, «un signe zéro est un signe qui, sans signifiant positif, figure avec une valeur déterminée à une place déterminée d'un syntagme échangeable avec un ou plusieurs syntagmes de même espèce où ce signe a une forme explicite)).14
Aux exemples classiques de suffixes et de désinences zéro, Bally ajoute celui de la copule zéro en russe, au présent de l'indicatif, et celui de lapréposition zéro en français, devant le complément direct. Ce dernier est contestable, car il suppose démontrée la thèse que «tout substantif est prédestiné à être sujet et que dans toute autre fonction il est transposé et ne peut l'être que par une préposition)).15
3.2. Au début de son article Zéro, vide et intermittent, 16M. Frei écrit : «On parle de signe zéro dans le cas où l'absence d'un signifiant explicite fonctionne elle-même comme un signifiant... Le signe zéro peut donc être défini comme un monême implicite, faisant partie d'un syntagme, et en opposition significative avec un ou plusieurs monêmes explicites figurant dans d'autres syntagmes)).
3.3. Les deux définitions concordent pour l'essentiel. M. Frei substituemonème àsigne—avec raison, puisqu'un signifiant zéro ne saurait être divisible;17 et, s'il n'assigne pas au signe zéro une place déterminée dans le syntagme, il note plus loin qu'un phonème implicite est localisable dans la chaîne phonique, et les notations 0-père, vir-0 indiquent qu'il en est de même du signifiant zéro. La différence est moins dans les dé-finitions mêmes que dans le principe des applications qui en sont faites : ce n'est pas par hasard que M. Frei parle simple-ment d'«oppositions significatives», alors que Bally réclame pour le signe zéro une «valeur déterminée».
3.3.1. Bally, qui procède par échange entre syntagmes «de même espèce», fait état des ressemblances: le signifiant zéro et le signifiant explicite recouvrent soit un signifié identique (cri : hurlement), soit des signifiés solidaires (russe dom nov: dom bïl nov), dont la différence se reproduit régulièrement dans toute une classe de signes:
0 : bïl = čitayu : čital, etc.
Le signe zéro se dégage d’une opposition proportionnelle.18C’est dans ce sens, semble-t-il, qu’on doit entendre l’expression «échangeable avec un ou plusieurs syntagmes de même espèce»; car dans bien des cas, l’échange est possible sans qu’apparaisse un signe zéro: robe, par exemple, est syntagmatiquement «échangeable» avec robe neuve, robe de bal, etc., mais rien, dans la langue, ne permet de décomposer le signifié «robe» et de fabriquer un syntagme *robe-0 (cf. 1.2.1.).
3.3.2. M. Frei, comme on doit s’y attendre,19 ne tient compte que des différences. Toute opposition entre un signe quelconque a et un syntagme ab ou ba implique un signe zéro. On posera donc O-père en regard de beau-père, grand-père; on découvrira, dans je chante, outre la désinence zéro (cf. chant- ons, chant-ais, chanterai ... ), un signe zéro de l’affirmation (cf. je ne chante pas). Et le même signe sera tout à la fois monème et syntagme, puisque les oppositions O-père : beau-père yppère-0 : père adoptif sont aussi valables que père : mère, fils, etc.
En confirmant ce point de vue, M. Frei me fait remarquer20que la différence entre monème et syntagme ne réside pas uniquement dans les signifiants: à preuve les cas de synthèse sémantique (fr. au = à + le), auxquels j’ajouterais ceux d’agglutination: plateforme, par exemple, n’est pas un syntagme puisque, du côté sémantique, l’opposition forme : plateforme est isolée. Mais il ne s’ensuit pas que la distinction saussurienne entre unité et syntagme soit illusoire.
3.3.2.1. On pourrait objecter que dans O-père, par exemple, le signe zéro est fictif, puisqu’il ne correspond à aucun signifié déterminable (cf. 3.1). Mais ceci pourrait impliquer le risque d’une confusion entre signifié et concept: il n’est pas nécessaire qu’un signifié se définisse par une idée positive; il suffit qu’il soit différenciel. Or précisément, il est impossible de déceler une différence entre père et O-père; au contraire, l’identité du signe père, isolé ou en syntagme, est prouvée par le parallélisme des différences sémantiques dans les séries
père, mère, parents .. .
beau-père, belle-mère, beaux-parents .. .
3.3.2.2. Le rôle attribué au signe zéro par M. Frei nous paraît contredire le principe saussurien du caractère arbitraire du signe.21 En effet, un syntagme a-0 (ou 0-a) sera motivé au même titre qu’un syntagme à termes explicites (ab): il ne sera pas seulement opposable, dans sa totalité, à d’autres signes de même nature (car un monème aussi peut être opposé à des syntagmes, ainsi robe : robe de bal, 3.3.1.);il sera déterminé également, dans sa forme et sa valeur, par des associations partielles. C’est ce qui nous empêche d’admettre, avec Bally, une «motivation par cumul des signifiés»:22 si ar. ‘a’mā, lat. equa sont motivés,23 les mots français aveugle, jument sont totale- ment arbitraires.
3.4. De même que tout autre signe, un signe zéro ne peut exister que comme élément oppositionnel. Si l’on admet qu’un monème est opposable à un syntagme, il ne suffit pas d’une opposition du type a : ab pour que se dégage un signe zéro; il faut qu’on ait des raisons de reconnaître, entre deux signes homophones, une opposition dont seule la formule a : a-0 (0-a) puisse rendre compte.
Or un signe peut changer de valeur grammaticale tout en restant le même: il suffit que le changement de valeur ne se trouve jamais marqué par un signe explicite. En latin, contra fonctionne comme adverbe ou comme préposition, sans l’appoint d’un signe transpositeur dans l’un ou l’autre emploi. Comme il en est de même de tous les signes de cette classe, il n’existe aucune raison de considérer l’adverbe comme dérivé de la préposition, ou vice-versa, et par conséquent d’établir une opposition contra : *contra-0.
3.4.1. Bien plus souvent que les oppositions entre signes explicites, celles qu’on peut invoquer en faveur d’un signe zéro sont susceptibles d’analyses contradictoires.24 Soit par exempie le couple scie : scier. On peut voir dans scie un mot primaire comme hache ou vrille, et scier est alors un verbe dérivé; mais le rapport inverse est concevable, et s’exprimerait par la proportion
scier : scie-0 = hâcher : hâchoir
passer : passoire, etc.
3.4.2. En arménien moderne (dialecte occidental), les dé- sinences -me (ablatif), -mov (instrumental), propres aux pronoms personnels, interrogatif, relatif, s’emploient aussi pour un petit nombre de substantifs désignant des personnes, et se joignent alors à la forme du génitif-datif (sauf dans le mot Asdvaj «Dieu»):
M. C.-F. Hockett25 analyse: daloč-me, soit: daloč-, radical des cas obliques;-me, désinence (ci. Asdvaj: Asduj-me), et en conséquence trouve une désinence zéro dans le génitifdatif daloč. Mais l’analyse: dal-očme est également plausible, puisque le rapport dal: dal-oč est homologue du rapport Asdvaj: Asduj-o, hars: hars-i, etc. Il y a dans ce paradigme plusieurs oppositions simultanées, et l’analyse sématique aboutira toujours à décomposer en trois éléments le signifiant dal/oč/me, alors que deux seulement se laissent distinguer dans le signifié.
Mais dans la langue parlée, le type de flexion examiné ici a gagné les mots mart «homme, personne», də ǧa «garçon» dont le génitif-datif est en -u. Or -u ne peut être considéré comme élément radical, car on ne saurait analyser
d’autant plus que ce dernier paradigme (Hay, gov) est aussi celui de tous les infinitifs et du pluriel régulier (harser, asdvaj- ner). Si séduisante que soit l’analyse de C.-F. Hockett, elle n’est donc pas inattaquable.26
4. La question du signe zéro est, au fond, une question de structure du mot. Telle est, nous semble-t-il, l’idée qui se dégage des passages du Cours de linguistique générale ou il en est parlé.
4.1. On n’y trouve pas, il est vrai, une définition ou une théorie générale du signe zéro, mais des exemples avec des commentaires. D’abord, celui de la désinence zéro des gén. plur. slov, žen, donné deux fois dans le troisième cours (1910- 1911): au chapitre intituléLa linguistique statique et la lin- guistique historique; dualité de la linguistique; 27 puis dans la dernière leçon du cours, à l’appui du principe que, dans la langue, il n’y a que des différences:28 la désinence zéro s’oppose aux désinences explicites des autres cas. L’autre exemple est celui du grec φλóξ, où l’existence d’un suffixe zéro est prouvée par la différence entre phleg-/phlog -, racine commune à une famille de signes, et phlog-, radical d’un substantif féminin.29
4.1.1. Ces deux exemples n’ont pas été rapprochés par Saussure, qui a indiqué chaque fois une preuve différente de la valeur linguistique du signe zéro. Mais les deux preuves sont valables pour l’un et pour l’autre. En effet, si le gén. plur. žen-0 s’oppose àžena, ženu, etc., il n’est pas non plus identique àžen-, radical commun à tous les cas du paradigme; et si phlog-0 n’est pas identique à la racine phleg-/phlog-, il s’oppose aussi à des thèmes à suffixe explicite (phlegma, phlogmos).
4.1.2. La non-identité de deux signes homophones a et a-0 réside-t-elle dans la différence de sens? C’est ce que suggère la remarque : «Il faut distinguer phleg-/phlog- à sens général et phlog- à sens spécial)).30 Mais dans le manuscrit (R.), il y a une seconde remarque : «2° Dans phlegma, on pouvait appliquer la formule phleg x ma, tandis que dans phlog-, je n’ai rien à multiplier, ce qui est signe que la fonction est ici complète)).
En d’autres termes, phlog- est un signe de même nature grammaticale que phlegma(t) -, thème nominal; sa fonction ne peut être la même que celle de la racine phleg-/phlog-, C’est cette différence de fonction, de valeur grammaticale par rap- port à la racine — et l’identité corrélative par rapport à phlegma, etc. — qui est décisive et qui postule l’analyse phlog-0. 31
4.2. Une langue non indo-européenne, où la structure du mot est différente, pourra présenter des faits analogues en apparence, mais non susceptibles de la même interprétation. A première vue, le couple turc
boya-mak «colorier» : boya «couleur (artificielle)»
semble exactement parallèle à gr. Φλέɣ-ω : φλóξ.
En réalité, le rapport est inverse : c’est boya -, radical verbal, qui a un suffixe zéro; quant au substantif boya, c’est un monême qui ne contient pas plus de suffixe que de désinence zero32.
5. Conclusion
Nous nous trouvons en face de deux conceptions inconciliables. Ou bien il est impossible qu’un monème, comme tel, s’oppose à un syntagme, et alors les signes zéro se multiplient à l’infini. Ou bien le signe zéro est postulé (ou exclu) par la structure du signe linguistique.
La notion d’opposition a pris, dans la linguistique contemporaine, une place qui ne saurait être trop large. Il est certain que deux signes quelconques d’une langue donnée peuvent être dits opposés: leur caractère de signes linguistiques apparte- nant à un même système constitue déjà une «base de comparaison»; et s’il n’existe pas d’opposition concevable entre le libre arbitre et un encrier,33 il y en a une entre les substantifs français encrier et libre arbitre.
Mais la tâche de la linguistique ne se borne pas à constater que chaque signe d’un système s’oppose à tous les autres. Il s’agit, dans l’infinité des oppositions réalisables, de discerner des degrés et un ordre d’importance: les oppositions proportionnelles sont plus essentielles au système que les oppositions isolées; les différences des signifiés, plus que celles des signifiants (on pourrait imaginer que tous les verbes latins aient passé dans la première conjugaison sans que la structure de la langue en soit notablement atteinte); plus les signes sont rapprochés par la forme et par la valeur, plus les oppositions qui les distinguent importent au système — et c’est là que l’analyse rencontre des signes zéro.
Quand Saussure enseignait que «la langue peut se contenter de l’opposition de quelque chose avec rien»,34 il était loin, apparemment, de se douter qu’il allait susciter des légions de fantômes. Nous voudrions les avoir rendus au néant.
Notes
1Cours de linguistique générale, 2me. éd. (CLG2), p. 123-124; 163. Dans son article Signe zéro (Mélanges Ch. Bally, 1939, p. 143-152), M. Jakobson a cherché dans le plan des signifiés la contrepartie du signifiant zéro. Mais le degré zéro d’une différence sémantique n’est pas un signe zéro dans le sens ordinaire du terme.
2Linguistique générale et linguistique française, 2me. éd. (LGLF2), 8 125; 245. Cf. aussi § 174 A,2: dans «dépendez ce tableau», il y aurait ellipse du régime réclamé par le préfixe dé-.
3 Copule zéro et faits connexes, BSL XXIII (1922), p. 1-6.
4LGLF2 § 220. SurTagglutination: CLG2 p. 242 ss.
5LGLF2 p. 159-164.
6Qu’est-ce qu’un signe? Journ. de psych., avrilmai 1939, p. 167 (l’ellipse est un signe zéro); LGLF2 § 127 (signe zéro, à propos d’une «ellipse contextuelle»); id. § 245: l’ellipse est un représentant zéro (Cf. R. Jakobson, Signe zéro, p. 149: «L’ellipse est donc signe anaphorique (ou dêictique) zéro))).
7La grammaire des fautes, 1929, p. 120-121. Les exemples de «sous-entente» de la p. 124 seraient pour Bally des ((ellipses de situation».
8LGLF2 § 246.
9CLG2 p. 186-187.
10LGLF2 § 244, et Copule zéro..., déjà cité (note 3).
11Exemple commenté dans CLG2 p. 191.
12La phrase nominale, BSL 46 (1950), p. 19-36, en particulier p. 27.
13LGLF2 § 244 et 587.
14LGLF2 § 248 (le texte porte, par erreur: ce suffixe au lieu de: ce signe), et pour les exemples, § 252-254.
15LGLF2 § 254 (p. 164). Cf. J. Kurylowicz, Dérivation lexicale et dérivation syntaxique, BSL 37 (1936), p. 79 ss.
16*Zeitschrift für Phonetik, 4 (1950), p. 162.
17Le signifié, en revanche, peut être complexe: dans 2en, la désinence zéro contient par cumul le cas et le nombre.
18J. Cantineau, Les oppositions significatives, CFS 10 (1952), p. 27. J’élargis la définition de M. Cantineau en incluant dans l’opposition proportionnelle les variantes sémantiques, même isolées (amer: amertume = beau: beauté, doux : douceur, etc.).
19Saussure contre Saussure? CFS, 9 (1950), p. 7-28.
20Lettre du 9 juin 1950.
21CLG2 p. 180 ss., et le commentaire de ce passage par R. S. Wells, De Saussure’s system of linguistics, Word 3 (1947), p. 9.
22LGLF2 § 207-208; 225.
23Sur le syntagme ‘a’mā, combinaison d’une racine ‘my avec un scheme ‘afalu, v. J. Cantineau, Racines et schemes (Mélanges W. Marçais, 1950, p. 119 ss.); sur le signifié de jument, A. Meillet, uinguistique historique et linguistique générale, n (1936), p. 128-134.
24C. Bazell, Note on contradictory analyses, CFS 8 (1949), p. 15-20.
25Problems of morphemic analysis, Language, 23 (1947), p. 328-329.
26H. Kazandjian, Grammaire améliorée de l’arménien moderne (en arm.), Istanbul 1926, p. 158, signale que le mot anger «camarade» n’a la désinence -0¾ qu’au gén-dat. (abl. dnger-e ), ce qui confirme mon analyse.
27Cf. CLG2 p. 123. La désinence zéro est déjà mentionnée dans le Mémoire sur le système des voyelles (Recueil, p. 182).
28Cf. CLG2 p. 163.
29CLG2 p. 255. Ce passage est tiré du premier cours (1906-1907), et l’expression suffixe zéro ne figure pas dans le manuscrit (R.); mais dans son cours d’J Etymologie grecque et latine, professé en 1911-1912, Saussure distingue de la racine le «thème», et constate qu’il existe en indo-européen des thèmes «formés par l’addition de zéro suffixe» (ms. B. p. 10).
30CLG2 p. 255. Le manuscrit (R.) porte: «sens indéterminé; sens déterminé».
31C’est là sans doute ce que Bally a voulu dire en écrivant (LGLF2§ 248): «il est inconcevable que marche et calcul soient réduits au radical verbal».
32Dans sa Grammaire de la langue turque (1921), § 242, J. Deny a bien vu la différence entre un nominatif latin ou grec et le «cas absolu» du substantif turc. Il croit pourtant devoir dire: «Le mot sans dési- nence, ou mieux: avec désinence zéro».
33L’exemple est de Troubetzkoy, Grundzüge. .., p. 69 de la trad, française de J. Cantineau (Principes de phonologie, 1949).
34CLG2 p. 124.
*Cahiers Ferdinand de Saussure 11 (Gen6ve: Librairie Droz, 19531, pp. 31-41.