“A Prague School Reader in Linguistics”
En face de Déterminants (T?) pourvus d’une marque de leur fonction syntagmatique (accord ou rection), l’adverbe se pose en un Déterminant ? marque zéro. Toute la structure de l’adverbe est déterminée par ce caractère négatif. On dirait qu’est adverbe tout mot qui n’est ni substantif, ni adjectif, ni verbe. Cette formule si simpliste qu’elle soit répond à une réédité. Mais elle suppose que nous sachions ce que sont ces trois parties du discours. Dans une langue, tout se tient à tel point qu’une question, aux apparences les plus modestes, ne peut pas être posée sans soulever le problème du système linguistique dans son ensemble.
C’est le V qui porte la marque de sa fonction et non le T. Cette marque peut d’ailleurs être positive ou négative. Au cas d’un accord, le T’ reflète (répète) certaines valeurs formelles propres ? son T: cas, nombre, genre, personne, 1 etc. Lorsqu’il s’agit d’une rection, le T” acquiert lui même une valeur formelle nouvelle: celle de cas (nous considérons le nominatif comme zéro de cas).
L’adverbe est appelé a servir de T? à d’autres T’, il est un « word of the third rank », selon l’expression de M. ?. Jespersen. Il n’a par conséquent rien à « refléter » et il n’est pas non plus à être « régi ». Pour devenir adverbe, un mot perd tout simplement ses valeurs formelles qui le caractérisent en tant que substantif, adjectif ou verbe. Ainsi par ex. un adjectif passant à la fonction de l’adverbe perd ses valeurs de genre, de cas, de nombre et se dépouille de leurs marques morphologiques. Nous donnons à cette espèce de détermination syntagmatique le nom d’adjonction pour traduire ainsi le terme primykanije introduit par A. Peskov- skij. Cependant, l’adverbe est un « mot complet » au même titre que le sont le substantif, l’adjectif et le verbe, car dans sa structure il associe deux espèces de valeurs: la sémantique et la formelle (négative), ce qui le distingue radicalement des « mots incomplets » ou particules (prépositions, conjonctions, les particules proprement dites et les interjections).
Notre étude est basée sur les données fournies par la langue russe. Pourtant mutatis mutandis nos conclusions s’appliquent également à. d’autres langues. Il va de soi que d’une langue à l’autre, l’importance respective de l’accord, de la rection et de l’adjonction variera considérablement. A notre avis, la rection a disparu par ex. en français et en anglais au profit de l’adjonction, soit directe, soit réalisée par. l’intermédiaire des « prépositions » spéciales. L’adjectif anglais est également un T’ adjoint. De là. l’importance toute particulière qui incombe, dans ces langues, à l’ordre des mots lequel est devenu un procédé « morphologique », mais qui est presque sans valeur dans les langues slaves.
Si pour devenir adverbe le mot doit se dépouiller des valeurs formelles qui le caractérisent en tant que telle partie de discours, il s’ensuit que les procédés servant à former des adverbes seront multiples et variés. Car il s’agit, pour un adverbe venant au monde, non pas de se donner quelque nouvelle valeur formelle caractérisant la nouvelle partie du discours, mais d’effacer de notre conscience linguistique celles du mot-mire. Or, celles- là varient d’une partie du discours à l’autre. De plus, au moment de l’enfantement d’un adverbe, le mot fondamental ne doit pas nécessairement s’en tenir à cette attitude figée que lui assigne un dictionnaire: le nomin. sing, pour les substantifs, l’infinitif pour les verbes, le nom. sing. mase. pour les adjectifs. Dans Trojka letit streloj, le mot strela, au moment de produire un adverbe, s’est trouvé dans la position d’un instrumental sing., c’est pourquoi son produit a-t-il une autre physionomie que les adverbes spjana, v rukopasnuju, molca, umol’ajusce, etc.
Dans le processus de sa formation, l’attitude de l’adverbe est négative, avons-nous dit, cependant le degré de rupture entre un adverbe et le mot fondamental dont il est issu ne sera pas toujours le même. Pour devenir adverbe le mot strela, dans notre exemple, a perdu les valeurs de cas et de nombre, et il serait impossible de le faire accompagner d’un adjectif. Par contre, les liens entre les adverbes na-dn’ax, vesnoj, vecerom et les substantifs correspondants subsistent et sont très intimes: na etix dn’ax, rannej vesnoj, vecerami. Dans kazaki vyjezzajut verxami, l’adverbe traîne après lui la valeur de pluriel. On disait jadis mal’ - ciski begut bosikami, etc. L’adverbe v rukopasnuju n’a pas non plus rompu le lien le rattachant Ճ son adjectif, puisque l’expression figée de rukopasnaja sxvatka surgit presque spontanément dans notre esprit. Le gérondif continue Ճ faire partie du système verbal s’y rattachant par l’aspect, par la transitivité ainsi que par un certain rapport à la notion du temps. Ces caractères peuvent pourtant s’effacer quelquefois, ce qui est arrivé ե. molca (сотр. également nesmotr’a na, locution prépositionnelle). La position du verbe est d’ailleurs très particulière: il dispose des formations spéciales pour diverses fonctions syntagmatiques, la rection exceptée. Les adverbes prédicatifs za!’ et zalko ont conservé, fait tout à fait exceptionnel, la transitivité du verbe zalet’ et peuvent régir un substantif au génitif et même ? l’accusatif ( !): mne zal’ (zalko) lo s adi (regret) et mne zal’ (zalko) losad’ (pitié).
Les rapports syntagmatiques (T T’) peuvent être simples ou prédicatifs. Dans ce dernier cas, le rattachement de T? ? son T se réalise par une intervention explicite de la personne parlante dans le discours, ce qui se traduit par l’apparition des valeurs de mode, de temps et de personne. N’importe quelle partie du discours peut fonctionner en tant que T’ prédicatif, l’adverbe y compris. Lorsque le prédicat n’est pas un verbe modal, c’est le pronom ou déterminatif byt’ « être » ou bien quelques-uns de ses substituts (kazat’s’a « paraître », stanovit’s’a « devenir ») qui se chargent d’exprimer les valeurs prédicatives, c.-?-d. celles de mode, de temps et de personne. Il va de soi que les syntagmes prédicatifs (« propositions ») avec un adverbe pour prédicat seront impersonnels, mais il sera facile d’y découvrir, è. moins qu’elle ne soit explicitée, la présence latente de « la personne intéressée » (dativus interessi), pendant du « sujet » de la proposition personnelle: xolodno veut dire mne, tebe, vsem, etc. xolodno (ou bylo, budet xolodno).
Tous les adverbes ne sont pas susceptibles d’emploi prédicatif, quelques d’autres ne sont par contre employés que prédicati- vement. De cette dernière catégorie relèvent notamment mozno, nel’ z’a’, vidno, nekogda, pora, nuzno, zal’, zalko, etc.
Nous pensons que lorsqu’un substantif s’associe avec une préposition, sa valeur casuelle s’en trouve être affaiblie, et le rapport de rection glisse alors quelque peu vers celui d’adjonction; autrement dit, la combinaison préposition + substantif s’oriente quelque peu du côté de l’adverbe (ou locution adverbiale) à moins que cela ne se fasse parfois dans la direction d’une « préposition absolue » (ou locution prépositionnelle). Il est facile de constater que par ex. le prépositif (dénommé souvent le locatif) est étranger aux systèmes casuels dont la superposition porte le nom de la déclinaison. Cela est encore plus vrai quant aux formes v snegu, na snegu, iz lesu. Diverses formes et étapes d’adverbialisation sont offertes par bez godu, pod bokom, ob ugol; katit trojka pod goru, na goru; pojti v soldaty, sluzit’ v soidatax, na zakorki, na zakorkax, dver’ na zadvizke, etc. De plus, l’instrumental et parfois l’accusatif peuvent acquérir une valeur mi-adverbiale: xvost truboju, dum al vs’u dorogu. — Une autre face du même phénomène représente la possibilité, pour certains adverbes, de s’associer avec des prépositions, ainsi par ex. na zavtra, do zavtra, na poslezavtra, ? zavtramu, pozavcera, na potom, navsegda, dokuda, otkuda, na-dvoje, po- dvoje, vdvoje, etc.
L’adverbe ne peut avoir pour T? qu’un autre adverbe, ex. strasno sumno. Il ne possède aucune valeur formelle susceptible d’être reflétée par son T. Mais il ne pourrait non plus régir sans se confondre avec quelque autre partie du discours. Or, il ne joue même jamais le rôle de la préposition, et dans dom s balkonom vokrug, le dernier élément est une préposition dont le complément n’est pas difficile ? évoquer: vokrug nego, ?.-à-d. vokrug doma. Dans xodit’ vokrug da okolo, le complément par contre ne peut être précisé, soit parce qu’il est vague, indéterminé, soit parce que la situation concrète le suggère d’elle-même en rapportant tout à la personne parlante. Ce sont-là des « prépositions absolues », prépositions à « complément indéterminé » (сотр. en français autour et tout autour). Elles expriment les coordonnées fondamentales de la situation dans l’espace et dans le temps, dérivent des mots verx/niz, pered/zad, levo/pravo, kr ug, etc. et sont peu nombreux. Dans certaines langues, elles ont un caractère vraiment absolu: Ich stieg Berg auf und Berg ab; Die Sonne ging unter; a fire broke out, etc. Tandis que « Podi prog’ ou von ! » relèvent des interjections.
Les gérondifs gardent par contre leur complément, ce qui les distingue radicalement de tous les autres adverbes: ce sont des formes verbales d’adjonction.
Il faut pourtant faire une place à. part pour certains mots désignant la mesure, y compris les adverbes. La notion du nombre est ambivalente dans ce sens que les numériques servent tantôt de T tantôt de T? : p’at’ sobak et £ p’atju sobakami. Le pronominal ne skol’ko est mi-substantif, mi-adjectif. Les mots qui se rangent sous ce chef, notamment les adverbes, participent à cette ambivalence en se donnant un T? sous la forme d’un substantif régi: mnogo ou malo xleba.
L’absence de valeur formelle positive fait ressortir au premier plan la valeur sémantique de l’adverbe. Tout substantif est un substantif, tout verbe est un verbe, tandis que la masse des adverbes s’éparpille en diverses espèces de « mots circonstanciels » dont la répartition entre les rubriques de temps, de lieu, de manière, etc. reste toujours discutable dépourvue qu’elle est de tout critérium morphologique.
Le mot auquel l’adverbe sert tout naturellement de T?, c’est le verbe. Evoquant l’idée d’un procès nous pensons en même temps aux diverses circonstances au milieu desquelles ce procès se déroule, ainsi qu’à ses modalités concrètes. Dans la mesure օե ces représentations-là ne s’épaississent pas en des représentations de choses (dont les moules sont les catégories de nombre, d’animé-inanimé, de genre et de cas), ce sont les adverbes qui se chargent de localiser le procès dans l’espace et dans le temps (temps objectif et non pas le temps relatif de la grammaire), d’en indiquer la cause et le but (ce qui est autre chose que l’« objet », сотр. brat’ vodu et xodit’ po-vodu) ainsi que d’en caractériser la « manière » ou modalité (ce qui est différent aussi bien de l’aspect verbal que du mode). Toutes ces « circonstances » sont plus ou moins fidè!ement classés par les pronominaux (kogda? gde ? kuda? skol’ko ? kak? pocemu? zacem? ). — Quant aux gérondifs, ceux-là caractérisant le verbe traduisent les rapports de simultanéité et d’antériorité.
Pour l’adverbe déterminant un adjectif, toutes ces « circonstances » se réduisent à la manière d’être de la qualité: son intensité ou bien quelque nuance supplémentaire. Le syntagme se condense souvent en un mot composé: crezvycajno prijatnyj, temno-sinij, izzelta-krasnyj. (Le point d’aboutissement de cette tendance serait peut-être représenté par les adjectifs à particules: ocen’ ou ves’ma prijatnyj, preneprijatnyj, neprijatnyj).
Les rapports entre un adverbe servant de T? à un autre adverbe sont analogues à ceux de l’adjectif caractérisé par un adverbe.
Le substantif lui aussi peut avoir des Déterminants adjoints. Déjà dans dom s mezaninom ou dama s sobackoj, la « matérialité » du substantif T? est considérablement affaiblie (сотр. otec s materju ujexali), elle l’est encore plus dans dver’ v stolovuju, dom na zapore, xvost truboju, nos slivoj. Nous arrivons ? un authentique adverbe dans sel’anka po-moskovski (po- signifiant « selon, à la manière de »).
Notes
1. La valeur de « personne » est oropre au substantif, le verbe ne fait que la refléter (répéter).
*From Travaux du Cercle Linguistique de Prague, VI: 107- 111 (1936).
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