“A Prague School Reader in Linguistics”
Sur la Phonologie de la Phrase*
A Vilém Mathesius et Roman Jakobson. | « La langue est une forme et non une substance. » — « L’essentiel de la langue est étranger au caractère phonique du signe linguistique. » — Le second principe de la linguistique, c’est le caractère linéaire du signifiant. |
I.
Dans les différents plans, à savoir lexicologique, syntaxique, morphologique et phonologique, d’un même système linguistique, les propriétés phoniques, qui sont le timbre, la durée, le ton et l’intensité, ne sont pas utilisées de la même manière.1 Il nous faudrait par conséquent nous cantonner dans un seul système linguistique, p. ex. dans le russe, idiome maternel de l’auteur, pour établir les caractères phonologiques qui distinguent la phrase des autres faits du même système linguistique. C’est ce que nous avons d’abord fait en entreprenant nos investigations. Cependant, au fur et Ճ mesure que nous avancions dans nos recherches, nous avons dû constater que les phénomènes de l’intonation « intellectuelle » relevaient du langage en général et non d’une langue ou d’un groupe de langues déterminées. Aussi, le chapitre II excepté, parlons-nous de la langue en général et citons-nous des exemples fournis par différentes langues, même non-indoeuropéenne s, bien que ce soit pourtant le russe qui concentre principalement notre attention.
Le caractère essentiel de la langue en tant que système sémiologique est la fusion intime de l’aspect conceptuel et de l’aspect phonique. Un signe linguistique, de quelque plan qu’il relève, est toujours une unité à double face. Les rapports entre les deux aspects de la langue variant d’un plan à l’autre, chaque plan, de même qu’il possède sa propre « idéologie », a également sa phonologie particulière. Il existe par conséquent une phonologie lexicologique, syntaxique, morphologique, une phonologie du mot, signe le plus important et relevant de tous les quatre plans, mais il existe enfin la phonologie tout court. Cette dernière se rapporte au plan phonologique et s’occupe des phénomènes phoniques de caractère général, ne desservant ni la grammaire, ni la dérivation, ni la phrase non plus, et n’existant qu’en fonction de la syllabe dans ses rapports avec le phonème. Nous laissons ici complètement de côté la phonologie sémantique.
Nous étudions ici la phonologie de la phrase, c’est-à-dire l’ensemble des phénomènes phoniques qui servent à distinguer la phrase des autres unités de la langue, telles que le syntagme, le mot, etc. La phrase, comme nous le montrerons, relève du plan lexicologique et en est le principe constitutif.
Il est plutôt rare qu’on fasse une distinction rigoureuse entre la phrase et la proposition. Le plus souvent on les confond pour dire « phrase » ou « proposition », indifféremment. Pourtant, la proposition est une unité grammaticale (syntaxique) bien déterminée qu’il est impossible de confondre avec la phrase.
La proposition est un syntagme, c’est-à-dire une structure binaire dont les termes se rapportent comme déterminé (T ) à déterminant (T’), ainsi старый (T’) дом ( T); botte (T) aux lettres (T’). Mais c’est un syntagme prédicatif, c’est-à-dire qu’à l’encontre de tous les autres syntagmes, l’attribution du T’ au T s’y fait par l’intervention de la personne parlante d’une manière explicite. La personne parlante est présente dans la proposition, opposition avec la proposition ordinaire: c’est une structure pré- dicative dont le .T est éliminé et le terme correspondant au T’ indique précisément l’impossibilité de le rapporter à un T absolu. Ainsi гром убил человека > человека убило громом; Ich tr gume > Es tr Sumt mir.
Bien que la proposition, par sa structure, soit le mieux adaptée ?k servir d’unité de communication dans les circonstances les plus diverses, la phrase ne doit pas nécessairement avoir la forme d’une proposition. La phrase n’a rien Ճ voir avec la grammaire, en général.
Le plan lexicologique est en quelque sorte « superposé » aux autres plans de la langue et les « emboîte » tous.2 Dans ce plan, la pensée, cherchant de plus en plus b. se libérer des formes de la langue qui sont devenues pour elle des entraves, procède ?k une intégration des éléments résultant des différenciations antérieures syntaxiques et morphologiques. Cette opération aboutit Ճ la constitution de la phrase avec ses éléments fonctionnels que nous appelons membres de phrase et dont les contours peuvent aussi bien coïncider que ne pas coïncider avec les frontières des unités syntaxiques, puisqu’il s’agit de principes de division différents.
La phrase est tone unité de communication actualisée. Elle n’a pas de structure grammaticale propre. Mais elle possède une structure phonique particulière qui est son intonation. C’est précisément l’intonation qui fait la phrase. N’importe quel mot ou assemblage de mots, n’importe quelle forme grammaticale, n’importe quelle interjection peuvent, si la situation l’exige, servir d’unité de communication. L’intonation vient procéder Ճ l’actualisation de ces valeurs sémiologues virtuelles, et depuis ce moment, nous nous trouvons en présence d’une phrase.
Voici quelques spécimens de phrases enregistrées par M. A. Peãkovskij, telles que nous en entendons ou faisons nous-mêmes Ճ tout instant et dont la structure grammaticale est tout-à-fait défectueuse: A на поле как хорошо мы были! — Дайте-ка мне материю я тут оставил, — A вот рыба, которая недосолена, ee” соль нехорошо взяла, она жирная — обязательно червячок заведется.—Почему ты уходишь не закрываешь электричество?3 Encore une phrase que nous avons surprise dans notre propre parler. Il s’agissait d’un oiseau tombé du nid: Она разбилась, упала когда, очень сильно.
L’intonation, dans l’économie de la langue, est le procédé par excellence d’actualisation. La langue en a plusieurs à sa disposition, et ils mériteraient chacun une étude spéciale. Ici nous ne faisons qu’effleurer cet important sujet.
Destinés à desservir tout le monde et dans toutes les circonstances, les signes de la langue ne peuvent nécessairement posséder qu’une valeur virtuelle. Tout acte de parole exige leur adaptation au cas concret, ‘å la réalité donnée. Le fonctionnement des pronominaux (dont relèvent, soit dit en passant, l’article aussi bien que le verbe être) et des numériques, ces deux systèmes particuliers plongés dans le système général de la langue,4 correspond à cette étape d’actualisation dont M. Ch. Bally dit: « on actualise un signe lexical quand on indique quelle portion de son extension on envisage dans chaque cas. »5 La prédication fait un pas de plus dans cette direction en rapportant les faits à la personne parlante. Cependant ces procédés-là ne visent en somme qu’à préparer la voie à cette véritable rencontre du signe et de la réalité dont l’intonation est le témoignage et l’instrument, tout à la fois.
Il ne s’agit point là de la réalité dans le sens ontologique de ce terme. La seule réalité que la langue connaisse est celle de la personne parlante avec sa façon de voir les choses et de se comporter vis-à-vis d’elles, au moment du discours. La parole étant toujours un dialogue, quand même « l’interlocuteur » ne serait que notre propre « moi »; ce sont les rapports de la personne parlante avec son interlocuteur qui constituent la situation, dans le sens linguistique du mot. Or, la phrase est justement fonction du dialogue.
Le dialogue fait penser à un duel. Chacun des interlocuteurs cherche à imposer à l’autre sa volonté, son émotion, sa pensée. L’attaque de l’un provoque une riposte de l’autre. Les attitudes actives et passives alternent; une tension psychique est suivie d’une détente. L’intonation de chaque phrase traduit l’attitude de son auteur à l’instant donné, et par là les valeurs sémiologi- ques virtuelles sont actualisées, c’est-à-dire qu’elles obtiennent une existence individuelle.
Il existe des situations revenant sans cesse dans tout dialogue. Il y a des attitudes de la personne parlante que nous relèverons partout identiques à elles-mêmes. Il y a des intonations figées formant des procédés de communication, dont aucun dialogue ne saurait se passer. En nous attachant exclusivement aux caractères linguistiques généraux du dialogue, nous serons certains de ne pas sortir de la langue pour tomber dans la parole.
Au point de vue de la psychologie, une unité de communication représente line décharge d’énergie psychique. Suivant la prédominance éventuelle de la volition, de l’émotion ou de l’intelligence ou bien suivant leurs diverses combinaisons, on peut distinguer plusieurs types d’unités de communication, différant entre eux qualitativement. Quantitativement parlant, cette décharge peut être plus grande ou moins grande, et peut se distribuer différemment dans le temps. D’autre part, une unité de communication correspond à une certaine quantité d’énergie physique distribuée dans le temps d’une manière plus intense ou moins intense. Enfin, l’attitude de la personne parlante maniant les deux faces de cette unité bilatérale peut être « active » (autoritaire, assurée, agressive, etc.) ou « passive » (incertaine, soumise, etc.). De là, la possibilité d’une grande variété de types de phrases en tant que « schémas dynamiques », pour nous servir de l’expression de M. H. Bergson.
Cependant, pour la linguistique, toute cette diversité se ramène à deux grandes classes d’intonations, à savoir: Io intonations tendues, destinées Ճ éveiller l’attention, et 2° intonations relâchées, destinées Ճ l’apaiser. (Nous nous plaçons au point de vue de l’audition et non de la phonation.) L’onde phonique étant constituée par l’association de plusieurs éléments, notamment le timbre, l’intensité, le ton et la durée, la tension aussi bien que la détente peuvent se porter de préférence sur l’un ou sur l’autre de ces éléments, de même que sur leurs diverses combinaisons. Le nombre des variétés d’intonation qui en résultent est amplement suffisant pour l’expression des mouvements d’âme les plus divers.
Nous n’étudions pourtant pas ici les inflexions de la voix au service des émotions. Nous laissons également de côté le type volitionnel de phrase. Seule l’intonation de la phrase intellectuelle dans ses deux variétés — question : réponse — nous intéresse ici. La question et la réponse sont deux schémas dynamiques les plus larges, recouvrant les attitudes les plus diverses, cadrant avec les situations les plus variées.
L’extension toujours grandissante des communications par écrit, qui fait que nous écrivons et lisons plus que nous ne parlons ni entendons parler, modifie 1e caractère des rapports entre la personne parlante et l’interlocuteur. Ce dernier n’étant plus présent in visu, ou bien étant tout-à-fait imaginaire (lecteur d’un ouvrage), la personne parlante a surtout recours à l’argumentation logique pour obtenir ce qu’elle désire, et non aux procédés affectifs. Elle est en outre obligée de suppléer à l’absence de l’intonation par des signes conventionnels graphiques (ponctuation, ordre spécial des mots). Ainsi disparaît tout ce qu’il y a de spontané et de naturel dans un dialogue. La situation devient nécessairement intellectuelle et conventionnelle. Le rOle de l’intonation s’en trouve être amoindri, et cela ne se passe sans répercussion sur notre parler.
Si intellectualisée et appauvrie soit-elle, l’intonation fait néanmoins partie intégrante du mécanisme linguistique. Dans la parole intérieure même, nous intonons tout le temps mentalement, et il suffit d’y prêter un peu d’attention pour s’apercevoir que la parole intérieure, elle aussi, a la forme d’un dialogue: nous discutons avec nous-mêmes, nous posons des questions à notre « interlocuteur », nous lui répondons. Bref, nous faisons des phrases.
L’intonation ainsi délimitée sert à marquer le terme de la phrase, à opposer la question à la réponse, à distinguer la phrase intellectuelle de la phrase volitionnelle ou émotive, mais aussi à diviser la courbe de l’intonation en membres de phrase, dont les oppositions servent à disposer dans une certaine perspective, selon leur importance momentanée, les unités de sens correspondantes. Le caractère de l’intonation est « progressif », c’est- à-dire que ses modifications annoncent les faits à venir, soit la fin prochaine de la phrase soit, au contraire, sa continuation; directement, elle ne nous renseigne point sur ce qui précède. — Au point de vue objectif, les modifications de l’intensité, du ton et de la durée qui constituent l’intonation sont parallèles à la succession des syllabes; cependant, pour notre conscience linguistique, les phénomènes de l’intonation affectent non pas les syllabes, mais diverses unités de sens (membres de phrase, phrase, mots en tant qu’éléments fonctionnels des membres de phrase). Si divergentes que puissent être, dans une phrase, les courbes de l’intensité, de la durée et du ton, notre conscience linguistique procède à leur intégration, et les ramène à des unités synthétiques en fonction du sens.6)
II.
Pour la physique, toute tranche découpée dans la chaîne phonique doit contenir les éléments suivants: la durée, l’intensité, le ton, le timbre. Mais il en est tout autrement, au point de vue de la langue. La langue ne connaît que les tranches phoniques découpées d’une manière déterminée; même les tranches les plus petites telles que la syllabe et le phonème sont pourtant des unités différentielles au service du système linguistique donné et non découpées d’une façon arbitraire dans la chaîïie phonique. Disons plus. La langue n’a pas affaire à la matière phonique, au son physique, elle n’a affaire qu’aux caractères de cette matière, tels que le timbre, l’intensité, le ton et la durée, sans considération du son empirique. En tant que mécanisme établissant une correspondance entre la marche de la différenciation dans l’ordre de la pensée d’une part, et dans l’ordre des sons, de l’autre, la langue est immatérielle. « L’essentiel de la langue, disait F. de Saussure, est étranger au caractère phonique du son. »‘7
Les caractères ou propriétés phoniques dont il vient d’être question sont utilisés de manière différente dans les différents plans de la langue.
Essayons tout d’abord de déterminer les rapports entre la syllabe et le phonème.
La notion de phonème repose sur la division de la chaîne phonique en unités qualitativement différentes, qui sont les oppositions de timbre.8 A chacune de ces unités-là sont « superposées » les différences quantitatives de ton, de durée, d’intensité. Virtuellement, le phonème possède par conséquent tous les caractères phoniques; cependant la durée, le ton et l’intensité ne peuvent se réaliser, linguistiquement parlant, que dans la syllabe considérée en tant que partie d’-une unité de sens. Autrement dit, la syllabe est une unité du plan phonologique, composée d’une ou de plusieurs unités de timbre (phonèmes) et susceptible d’être déterminée vis-à-vis des notions de ton, de durée, d’intensité. On peut dire aussi que le phonème est la limite de la syllabe, que la différenciation de la syllabe s’arrête là. D’autre part, c’est dans la syllabe seulement, qu’un phonème peut être actualisé avec toutes ses possibilités. Cependant, pour des raisons physiques, tous les phonèmes ne peuvent pas, dans la même mesure, être porteurs des caractères quantitatifs réalisés dans une syllabe. Le ton surtout, mais aussi l’intensité ne peuvent être rendus que par les phonèmes d’un certain degré d’aperture. De là cette impression que dans une syllabe le ton, la durée et l’intensité sont concentrés sur un seul point « sonnant », qui est généralement le phonème d’aperture plus grande que les autres phonèmes de la même syllabe et qui correspond à la première implosion.
La syllabe russe n’est par elle-même ni longue ni brève, ni montante ni descendante, ni atone ni accentuée, puisque les ca- ratères phoniques quantitatifs ne peuvent être réalisés dans la syllabe qu’en fonction d’une unité de sens. Voyons donc en quoi diffèrent entre elles les syllabes du mot isolé, considéré simplement comme un groupement organisé de syllabes.
On sait qu’elles diffèrent en intensité et que, sous ce rapport, elles forment un système hiérarchique qu’on peut se représenter au moyen du schéma:
... 1 — 0— 1 — 0 — 2 — 4 — 0— 1 ...
Le chiffre 4 représente le degré de l’intensité de la syllabe accentuée par rapport au degré de l’intensité des autres syllabes du même mot.9
Cette hiérarchie de degrés d’intensité n’est pas simplement superposée au timbre mais —de c’est là l’un des plus originaux caractères de la phonologie du mot russe — elle le modifie radicalement. Le vocalisme du mot russe dépend en large mesure de l’organisation du mot au point de vue de l’intensité.
Les rapports entre l’intensité et le vocalisme des syllabes à l’intérieur du mot sont réglés par la loi de la réduction des voyelles ou de la mutation des timbres vocaliques dont voici le schéma simplifié:
Les lettres â et ê désignent a et e assourdis; ê représente de plus un son glissant vers î, surtout quand il se trouve entre deux palatalisées; a dans la position 2 (après ì et c) glisse vers y; dans la position 1, après les palatalisées, le timbre de Յլ est proche de t assourdi; réduit à une durée ultra-brève, Ճ disparaît facilement dans un débit accéléré, il est alors représenté par a; u et i-y ne subissent qu’un assourdissement sans modifier leur timbre.
Exemples: gólat (ou gólAt), gâlódnj, galtidát’ (gAlâdat’ ), galadâvát’ (ou gatAdâvát’, fprôgalat’ (ou fprògAlat’), c’-à-d. голод голодный, голодать, голодовать, впроголодь; gák, gagnút’, gagftnút’ (ou gAgônút’), vygagat’ (ou vygAgat’), c’-à-d. шагнуть, шагануть, вышагать; — l’és, l’Ssnój (ou l’ìsnój), l’asav’lk (l’îsâv’ik ou l’Asqv’ik), izl’asû (îzl’îsft ou IzI’asû), c’-à-d. лес, лесной, лесовик, из лесу.
Il existe également une « position 3 », c’est celle de la syllabe portant l’accent secondaire dans les composés (dans ceux-là, chacun des éléments sémantiques a son propre sommet phonologique). Сотр. дома, ДОМОВОД, ДОМОВОЙ; (dama, dOmftvót, damftvój); мед, медовар, медовый (m’ót, m’edavàr, m’êdovj ou m’îdôvfrj); лес, лесовод (l’és, l’estivót avec un e affaibli mais ne glissant par vers i comme c’est le cas dans лесной ou лесовик).
Ainsi, soit dans un paradigme, soit dans la dérivation, soit enfin dans les combinaisons enclitiques ou proclitiques, le déplacement de l’accent modifie profondément l’aspect phonique du mot « initial ». Si les sujets parlants reconnaissent pourtant ce mot à travers tous ses changements, c’est grâce à la présence en leur conscience linguistique de ce système de corrélations qui porte le nom de loi de la réduction des voyelles. Mais, cette reconnaissance, comment s’effectue-t-elle puisque la réduction des voyelles n’est pas un processus réversible? C’est là un problème bien intéressant, mais dont nous ne pouvons pas nous occuper ici.
Nous sommes forcés de reconnaître que les différences d’intensité ne jouent de rôle dans la phonologie du mot russe qu’en s’associant aux différences de timbre vocalique. La plupart des prétendus homophones qui ne se distingueraient entre eux que par l’accentuation, sont tels seulement dans l’écriture; ainsi p. ex. замок (zamók, serrure) et замок (zámak, château), ou bien мука (muká, farine) et мука (múka, torture), etc. Notre conscience linguistique ne rapproche d’ailleurs jamais des formes isolées. C’est ainsi qu’à propos des « homophones » паруса (gén. sg., la voile) et паруса (nom, pl.), il ne faut pas oublier que l’opposition y est établie entre les désinences du singulier aux voyelles réduites (pàrûs-a,-u,-am,-ê) et les désinences du pluriel au timbre vocalique « plein» (parus-á, -6f, -ám, -àm’t, -áx). Or, le timbre « plein » ne peut être obtenu qu’au degré supérieur de l’intensité.
Ainsi, c’est le timbre, tout seul ou bien combiné avec l’intensité, qui est utilisé dans la phonologie du mot russe. Le rôle de l’intensité n’est que secondaire. Il n’y a pas d’opposition accent: atonie, car il y a, dans le mot russe, quatre ou cinq degrés de l’intensité qui sont en même temps degrés du timbre vocalique. L’intensité, en tant que notion quantitative, ne parvient pas à se dégager de l’ambiance qualitative du timbre. Au point de vue pratique, il suffit pourtant de savoir que le mot russe a un sommet phonologique et que ce sommet est celui de l’intensité.
Jetons en passant un coup d’oeil rapide sur la façon dont le principe quantitatif et le principe qualitatif se partagent, en général, la phonologie russe. Nous croyons y distinguer deux directions de tension opposées: Io amuissement du timbre, qui n’est autre chose qu’un mouvement « ascendant », tendu du ton, et 2° réduction du timbre, correspondant à un mouvement « descendant », à me « détente » de l’intensité. Les deux processus sont irréversibles. Dans le premier cas, le timbre l’emporte sur le ton; dans le second, il entrave l’intensité sans pourtant arriver à l’éliminer. — On y joindrait encore un troisième phénomène, à savoir l’allongement du timbre résultant de la tension de la durée. Ainsi сотр. gyt’ (coudre) et Zat’ (moissonner), tous deux imperfectifs, avec g gyt’ et 22at’, perfectifs terminatifs. La portée de ce phénomène est tout à fait limitée. Mais il n’en est pas moins intéressant, car il s’agit là du principe quantitatif de durée l’emportant sur le timbre, puisque cet allongement aboutit Ճ éliminer l’un des deux timbres: £ + Zat’ > 22at’ et s_ + gyt’ > ggyt’.
Le ton et la durée ne jouent point de rôle différentiel dans le mot. Il y a pourtant des faits qui, Ճ première vue, semblent contredire notre assertion.
Ainsi l’utilisation des différences de ton pour différencier le sens des mots est vin procédé tout Ճ fait courant aussi bien en russe que dans d’autres langues. Par ex. Un père est toujours un père, оиЫепБывает музыка И музыка, Es gibt Musik und Musik, etc. Nous trouvons un beau spécimen de ce genre de différenciation dans Résurrection de L. Tolstoj: Ну,да вот Mariette, вы находите, что может заниматься делами, сказал Нехлюов. — « Mariette? Mariette — Mariette. А это Бог знает то, Халтюпкина какая-то, хочет всех учить.» — Cependant, il s’agit dans nos exemples, de l’intonation de la phrase dans la courbe de laquelle, Ճ deux endroits, opposés par leur ton, se trouve être inclu un même mot. On prononcera avec la même intonation: Бывает музыка и бывает какофония, Un père est toujours bon, etc. On dira de la même façon Твой отец болен, Ton père est malade pour exprimer un étonnement: « Comment peux-tu ignorer, ou bien ne pas prendre en considération que ton père est malade? »
Chez A. Remizov (Московская Пчела. Конь и лев.) nous lisons: « Для коня старец— старец Герасим, а лев —ле-ев! » Le ton et la prolongation de la voyelle du mot лев doivent faire sentir que pour le cheval, le lion du staretz est un lion. Les mêmes observations s’imposent également à propos de cette phrase. N’oublions surtout pas que dans tous les exemples cités, il s’agit d’une intonation expressive, au service du sentiment et dont nous ne nous occupons précisément pas ici.
Enfin, l’exemple suivant peut nous convaincre que le sens du mot est, par contre, indépendant des modifications de ton et de durée. Sur l’invitation du maître de répéter tel mot, l’élève ne le reprendra jamais avec l’intonation du maître. P. ex. Скажи волк. — Волк. (Dis-moi: le loup. — Le loup.) La demande du maître a le caractère d’une « provocation » à la réponse, presque celui d’une question. C’est pourquoi, Ճ l’intonation tendue, incitante, l’élève répond par une intonation relâchée, calmante. D’autre part, la répétition exacte du mot exigé ferait l’effet d’une reproduction mécanique, et la réplique de l’élève, manquant de vie individuelle, ne constituerait pas de phrase.
III.
Nous avons déjà dit qu’au point de vue objectif, les modifications successives du ton, de la durée et de l’intensité qui constituent l’intonation sont parallèles Ճ la succession des syllabes dans la phrase. Toutes les fois que le débit est suspendu, la syllabe précédant immédiatement la pause est intonée d’une façon particulière: par son ton, sa durée et son intensité elle diffère de ce qu’elle aurait dû Stre si le débit avait continué. Il est facile de s’en convaincre en observant p. ex. la manière dont un maître d’école, en traîïi de faire une dictée, termine chaque mot après lequel il veut faire une pause, dans la mesure, naturellement, օն il est soucieux de maintenir l’intonation de la phrase entière.
Peu nous importent les caractères phoniques exacts de la syllabe affectée par le phénomène que nous appellerons mi- cadence. Il paraît pourtant que la syllabe en position de mi- cadence est abrégée, rehaussée et légèrement intensifiée, à moins de se trouver déjà sous l’accent, car dans ce cas elle est par contre légèrement affaiblie. L’essentiel est qu’en position de mi-cadence la syllabe a une physionomie particulière.
Ce phénomène est d’une importance capitale pour l’économie de la phrase.
On sait bien que dans un débit quelque peu rapide, les pauses, aussi bien entre les phrases qu’à l’intérieur de celles-là, peuvent très bien ne pas se réaliser. Cependant, des phénomènes analogues Ճ la mi-cadence et dont il sera question tout à l’heure, précédant nécessairement toute pause, virtuelle aussi bien qu’effective, en deviennent signal et équivalent, tout Ճ la fois.
Une pause, en tant qu’élément phonologique, ne vient jamais rompre une unité de sens. Il s’ensuit que la mi-cadence, elle aussi, affecte non la matérialité d’une syllabe mais bien la spiritualité d’une unité de sens. Nous ne sommes donc plus, comme il semblait tout Ճ l’heure, devant une chaîne de syllabes, mais devant une chaîne composée d’unités de sens dont les frontières sont marquées de mi-cadences accompagnées ou non de pauses. Si les choses en restaient pourtant là, notre discours ne serait qu’une suite monotone et informe de ces unités de sens, disposées toutes sur le même plan. Les divisions établies de cette manière ne seraient qu’une ébauche de différenciation. La véritable différenciation doit en même temps séparer les phrases l’une de l’autre, évaluer l’importance réciproque des unités de sens à l’intérieur de la phrase, faire distinguer enfin la question de la réponse, sans parler de l’opposition qu’elle doit maintenir entre les phrases intellectuelles, volitionnelles et émotionnelles.
Nous avons établi au premier chapitre la distinction de deux types d’intonation, à savoir: Io intonation tendue ou incitante et 2° intonation relâchée ou calmante. Envisagée sous ce rapport, la nature de la mi-cadence se révèle double: si d’une part, elle annonce un arrêt, elle avertit en même temps que cet arrêt n’est pas le terme de la phrase mais qu’il sera suivi d’une reprise du débit. La phonologie de la phrase utilise le phénomène quasi-naturel de mi-cadence en donnant la prépondérance tantôt à l’une tantôt Ճ l’autre des deux espèces d’éléments qui s’y trouvent être combinées. Pour marquer le terme de la phrase, ce sont les éléments correspondant à l’intonation calmante, relâchée, qui sont renforcés. C’est la cadence. Pour différencier les membres de la phrase tout en les enchaînant l’un Ճ l’autre, le précédent au suivant, on a au contraire recours aux éléments de l’intonation tendue, incitante. C’est ce que nous appellerons anti-cadence.
Dans les phrases qui suivent, les traits verticaux indiquent les frontières des membres de phrase établies par la voix au moyen d’anti-cadences: A вот рыба | которая недосолена | её соль нехорошо взяла | она жирная I обязательно червячок заведется. — So diese Fische I schlecht gesalzen| das Salz hat sie nicht durchdrungen I sie sind fett | ganz gewifi kommen Wttrmer hinein. — Now these fishes | which have not been sufficiently salted] the salt has not taken them | they are f at | of course there will be worms. — Vedi il pesce | non è stato salato bene | il sale non è penetrato | è grasso | andrà a male. — Вближней деревне | проснулись 6á6bi и шли за водой| мужики несли корм с гумен| дети кричали И плакали— Tout s’éveillait au village | les femmes allaient au puits | les paysans portaient aux bêtes leur fourrage | des enfants criaient | d’autres pleuraient. — Im nahen Dorfe | erwachten die Weiber und gingen um Wasser | die Bauern trugen Futter fûr die Tiere | Kinder schrien und weinten.
En comparant les anti-cadences avec les cadences, on s’aperçoit immédiatement que les premières tiennent notre attention en éveil et annoncent que quelque chose va se produire pour satisfaire notre attente. Plus cette attente est longue et la satisfaction annoncée retardée par me accumulation de nouvelles anti-cadence s, plus notre attention est tendue. Enfin, dès le début du dernier membre de phrase, une détente se produit qui aboutit Ճ un repos. C’est la cadence.
Insistons dès maintenant sur l’analogie parfaite entre l’intonation de la question et celle de 1’anti-cadence. Toutes deux relèvent de la même espèce d’intonations incitantes ou tendues. Toutes deux ont pour fonction d’éveiller notre attention et de la mettre sur l’expectative. Par contre, les membres de phrases conduisant à la cadence sont par leur intonation comparables à la réponse amenée par la tension précédente que nous avons assimilée à une espèce de question.
En nous permettant de nous servir d’une image, nous dirons que la courbe de l’intonation d’une phrase nous fait penser à un ressort bien ployé et prêt Ճ se redresser Ճ tout instant. Ce que nous appelons mi-cadence, c’est pour ainsi dire la force d’inertie prête Ճ se manifester Ճ tout point où une rupture (souvenons-nous des pauses dans une dictée) se produit. La division de la phrase en membres ressemble précisément Ճ ces ruptures- là. Pour ne pas briser l’unité de l’intonation de ce qui doit faire une unité de communication, il s’agit de ployer de nouveau chaque morceau qui vient de se redresser, et un effort considérable est exigé pour vaincre la résistance du ressort cassé. L’anti- cadence doit nécessairement être plus énergique que la mi-cadence.
La transformation de la mi-cadence en anti-cadence est opérée au moyen d’un haussement du ton. Ainsi dans les deux premiers membres de phrase de l’exemple cité, le ton est nettement montant:
tandis qu’il est non moins nettement descendant dans le dernier membre:
Pourtant, dans la phrase, aussi bien que dans chaque membre de phrase, il y a, outre le ton, aussi l’intensité. Leurs sommets tendant à coïncider,10 la direction du ton en peut être modifiée, sans perdre pour cela son caractère spécifique. C’est ainsi que dans le second membre de phrase: которая недосолена, le sommet phonologique (tonal et d’intensité, tout à la fois) se trouve sur la syllabe -co-, tandis que ce qui le suit représente une descente du ton. Cependant, puisque les phénomènes d’intonation affectent les unités de sens et non les syllabes, l’attention des sujets parlants est concentrée sur le sommet phonologique dominant le membre de phrase dans son ensemble, et les syllabes -ле-на-, comme telles, n’existent point pour leur conscience. Dans le membre de phrase: ее СОЛЬ нехорошо взяла le sommet phonologique est tout-à-fait au commencement de cette unité de sens, de telle sorte qu’après une courte mais raide montée: -ее СОЛЬ- , suit une longue mais rapide descente qui n’aboutit pourtant pas à la cadence. Malgré cela, l’impression d’intonation incitante subsiste.
L’essentiel dans le mouvement du ton est l’intervalle, c’est- à-dire la grandeur de l’écart entre le sommet tonal et la ligne moyenne tonale. La question et la réponse, sans parler de l’ordre ou de la supplication, se caractérisent surtout par la différence de leurs intervalles. C’est ainsi que dans ее СОЛЬ нехорошо взяла, l’intervalle est une des variétés de l’intonation tendue, et cela suffit, d’autant plus que le membre de phrase en question n’est terminé ni par une cadence, ni non plus par une simple mi- cadence.
Cet exemple nous permet de comprendre le rCle de l’intensité dans l’intonation. Chaque unité de sens a nécessairement son sommet d’intensité appelé accent logique. (On parle souvent à ce propos d’un « accent grammatical », mais nous ne nous servirons pas de ce terme, convaincus que nous sommes que l’intonation n’a rien à voir avec la grammaire.) D’une manière générale, le sommet tonal et le sommet d’intensité tendent à coïncider, et ce dernier sert de point d’appui Ճ la mélodie du ton. Si dans l’exemple que nous venons d’examiner, nous transportons l’accent logique vers la fin, ce qui est էօսէ-ճ-faií possible, et que nous disions: ее СОЛЬ нехорошо взял£, le dessin mélodique (ainsi que, légèrement, le sens) seront modifiés, sans que naturellement la valeur incitante de l’intonation ait à en souffrir.
Dans les langues, oïi l’ordre des mots est fixe, la mélodie de la phrase doit elle-aussi être plus ou moins immobilisée: l’un conditionne l’autre. En russe, dans Ты был вчера В театре? on peut accentuer tour Ճ tour chacun des quatre mots et obtenir ainsi quatre phrases interrogatives Ճ mélodie différente. En français, il faudra modifier l’ordre des mots: C’est toi qui as été hier au théâtre? Tu as bien été hier au théâtre? C’est hier que tu as été au théâtre? C’est au théâtre que tu as été hier? — Or, le mot accentué se trouvant partout au même endroit, la mélodie n’a pas besoin de se modifier pour suivre le déplacement de l’accent, comme c’est le cas dans le russe.
Voici encore des exemples pour illustrer l’importance de l’intervalle, indépendamment de la place que l’accent logique peut lui assigner. Dans les questions: Ты ГОТОВ? Tu es prêt?, la direction du ton est montante. Mais bien qu’elle soit descendante dans Здесь она? Où vas-tu?, le caractère interrogatif de l’intonation subsiste, puisqu’il est déterminé par la grandeur de l’intervalle et non par sa place dans la phrase. Il paraît également que la cadence est la même aussi bien dans une réponse que dans une question, chaque fois que le sommet phonologique est très éloigné de la fin de la phrase. Ainsi Это ты заходил ко мне вчера? C’est bien toi qui es venu me voir hier soir?, сотр. Я не заходил к тебе вчера; Je ne suis pas allé te voir hier soir.
C’est donc le caractère de l’intervalle en premier lieu qui décide du caractère de l’intonation. Plus grand dans la question, il est moins grand dans une simple réponse. La présence ou l’absence de la cadence devient par conséquent un fait secondaire. La question aussi bien que la réponse peuvent s’arrêter au sommet phono logique de la phrase; Ты придешь Tu viendras? — Я иду гулять; Je viendrai. Et dans ces cas-là, l’absence de mi-cadence (et d’anti-cadence) marque suffisamment le terme de la phrase. C’est la cadence au degré zéro.
On peut également observer l’intonation pure, débarrassée des entraves sémantiques. Un champ très vaste est offert à un investigateur par ces véritables symboles algébriques de phrases que sont les diverses intonations de гм, угу; hm, hum, hein?, etc. Pourquoi ne pas y ajouter aussi des observations sur la façon dont nous intonons les chiffres, par ex. 48,875.43? L’intonation montante du premier « membre de phrase » est terminée par une anti-cadence, et elle continue à monter dans le membre suivant pour atteindre sur le 5 le sommet de la phrase; de là, après une pause, elle descend et le ton du Ъ est une cadence. Ainsi nous avons intoné 48,875.43 comme une phrase énoncia- tive. Nous pouvons aussi l’intoner comme une question.
On prétend souvent que l’accentuation logique consiste en un simple renforcement de la syllabe déjà accentuée. C’est douteux. Car pour l’auditeur, c’est le mot entier ou même le groupe de mots formant un membre de phrase qui prennent un relief particulier dans leur ensemble. D’autre part, il paraît que l’accent logique reste sans conséquence pour le vocalisme déjà déterminé par l’accentuation ordinaire du mot. Nous disons ее сбль нехорошо взяла ou bien конь шажком плетется sans réduire les о demeurant sans accent logique. Il doit y avoir une différence de nature entre l’accent du mot et l’accent logique. Ce dernier correspondrait à une tension d’intensité supplémentaire répartie d’une manière plus ou moins continue sur le mot entier ou sur le membre de phrase tout entier, à moins d’être contrecarrée par l’accent secondaire, comme c’est le cas dans ее соль нехорошо взяла. Ce ne serait là qu’une confirmation de notre conviction déjà formulée plus d’une fois, que les phénomènes d’intonation n’affectent que les unités de sens. — Nous y rattacherons également l’accent secondaire dans les composés (трёхугольный , водовбз). Il relève de la sémantique et offre des analogies avec l’accent logique; de là probablement ce fait que la syllabe dans la « position 3 » (v. ch. II) n’est guère réduite.
IV.
Toute phrase intellectuelle, pas trop courte, tend à se scinder en deux parties ou membres de phrase. Il s’y constitue deux sommets phono logi que s, séparés par une pause, le premier dépassant le second aussi bien en acuité qu’en intensité. La direction est montante dans la première partie et descendante dans la seconde. Ainsi: На угловом столикеЦя увидел лампу ou bien Я увидел лампу 11 на угловом столике; Auf einem Ecktisch|| s ah ich eine Lampe ou bien Ich sah eine Lampe || auf einem Ecktisch stehen.
Ces deux parties de la phrase peuvent changer de place, l’intonation reste la même. Ici, comme ailleurs, la division d’une unité de communication en unités de sens n’est pas toujours objectivement donnée. Dans certaines limites, nous pouvons déplacer les anti-cadences séparant les membres de phrase. Voici deux manières de différencier la phrase suivante: В ближней деревне 11 проснулись бабы и шли за водой | мужики несли корм с гумен I дети кричали и плакали, ou bien В ближней дерёвне || проснулись бабы | и шли за водой | мужики| несли корм с гумен | детн | кричали и плакали,etc.— Im nahen Dor fe II erwachten die Weiber und gingen um Was ser | die Bauern trugen Futter far die Tiere | Kinder schrien und weinten ou bien Im nahen Dorfe || erwachten die Weiber | und gingen um Wasser | die Bauern | trugen die Futter ftir die Tiere | Kinder | schrien und weinten, etc. — Nous pouvons souvent ne pas différencier la phrase du tout. Cela tient surtout à l’étendue de la phrase mais aussi à la position du sommet phonologique. Pourtant, mieux une unité de communication est « phrasée », plus elle est facile à comprendre.
Une phrase courte est difficile à diviser. Mais c’est précisément à propos des phrases courtes, équivalant chacune à un seul membre de phrase, que l’opposition entre la question et la réponse éclate dans toute sa netteté, n’étant pas obscurcie par la présence d’anti-cadences.
Le caractère incitant de l’intonation interrogative, qui fait penser à une anti-cadence agrandie, empêche une question d’être sentie comme une phrase tout à fait terminée. Au point de vue du dialogue, c’est-à-dire au point de vue des rapports entre les deux interlocuteurs, une question n’est qu’un membre de phrase portant l’accent principal, qui doit être suivi d’un autre membre de phrase portant l’accent complétif amenant la cadence. Mais il va de soi que pour l’auteur de la question, c’est là une phrase bien complète puisqu’elle exprime ce qu’il avait à dire. Il en est à peu près de même quant à la réponse.
Plus la part de l’intellect dans un dialogue devient grande, plus celui-là perd le caractère d’un simple échange de répliques: question — réponse. Or, une phrase qui recouvre un certain développement de la pensée surmonte le caractère oppositif et unilatéral d’une réplique en synthétisant dans sa structure et la question et la réponse, tout à la fois.
Il nous est déjà arrivé de mettre en évidence la façon dont les gens du peuple forment les phrases correspondant à une proposition nominale. « Chez eux la parole extérieure reproduit beaucoup plus fidèlement que chez les gens cultivés le processus du discours intérieur. A la question Что такое лебдь? (mieux Что ЭТО: лебедь Qu’est-ce que le cygne?), un homme du peuple dira en reprenant la question: Лебедь? Птица такая (Le cygne? C’est un oiseau). L’intonation montante de la question traduit cette attitude expectative qui précède dans notre subconscient toute formation de pensée. L’intonation descendante et affirmative correspond au prédicat, à la réponse trouvée. Toutes deux sont réunies de façon à ne former, au point de vue rythmico- mélodique, qu’une seule phrase. Dans notre langage intellectualisé, il n’en reste qu’une ligne mélodique, montante dans la partie correspondant au sujet et descendante dans celle qui correspond au prédicat. >>11
Revenant à la scission de la phrase, nous pouvons maintenant dire que la différenciation de la phrase commence par l’opposition d’un accent principal dominant une anti-cadence à un accent complétif amenant la cadence, le premier précédant toujours l’autre sur la ligne de la phrase. Ce sont là les premiers membres de phrase se dégageant d’un tout. Par la marche progressive de la différenciation, chacun d’eux peut à son tour se diviser en membres de phrase plus menus et cela peut parfois continuer ainsi jusqu’à ce que la différenciation soit arrêtée par les frontières du mot.
La scission de la phrase (nous n’appliquerons ici ce terme que pour désigner la division de la phrase en deux parties) n’a rien à voir avec la distinction d’un sujet et d’un prédicat, ni avec aucune opposition d’entités grammaticales, en général. Nous préférons également éviter les termes si mal déterminés mais si bien compromis de sujet et prédicat psychologiques. Nous n’en avons d’ailleurs point besoin, puisque c’est la structure formelle et non le contenu psychologique qui intéresse le linguiste. Les exemples qui suivent montrent, on ne peut mieux, combien variés sont les faits psychologiques ou grammaticaux que les rapports de l’accent principal avec l’accent complétif sont à même de recouvrir. Nous citons ici des exemples empruntés aux langues: russe, polonaise, tchèque, française, italienne, allemande, anglaise, chinoise et hongroise, en donnant parfois la même phrase traduite en plusieurs langues. Ainsi: Пройдет дождь 11 пойдем гулять. — Только взошли цветы11 а мороз и yflàpb. — Я сказал||что завтра уезжкю. — Мы подошли к скамье И стоявшей у дерева.— Рыбы шшвают|| а птицы летают, — Усталые||мы вернулись домдй. — Не понимаю 11 как вы можете так рассуждать. — Буду здор6в|| пойду завтра в TeàTp. — Если буду здоров|| пойду завтра в театр. — С милым|| рай и в шалаше. — С милым páft|| и в шалаше. — Быть бычку II на веревочке-.— Вблк || cép.12 Se fa bel tempo 11 andremo a passeggiare. — Andremo a passeggiare 11 se fa bel tempo. — Большой пoжáp || вспыхнул вчера ночыо.—Вчера ночыс || вспыхнул большой пожар.— Wielki pozar || wybuchï wczora w nocy. — Wczora w nocyfl wybuchl wielki pozar. — Ohromny po2ár || vypukl u nås v mëstë I pfed nëkolika dny. — Pf ed nëkolika dny | ohromny po2ár || vypukl u nås v mëstë. — Eine grofie Feuersbrunst|| enstand gestern. — Gestern|| enstand eine grofie Feuer sbrunst. — A big fire || broke out last night. — Last night || a big fire broke out. — Un grand incendie || a éclaté la nuit dernière. — La nuit dernière || un grand incendie a éclaté | près de chez nous. — Un grande incendio II è scoppiato la notte scorsa. — La notte scorsali è scoppiato un grande incendio. — Tegnap este || nagy tuz atött ki. — Nagy tuz íttôtt ki II tegnap este, etc. etc.
Ces exemples pourraient être multipliés a l’infini, mais sans utilité. Ceux que nous venons de citer suffisent largement. Ils prouvent plusieurs choses a la fois. Nous en concluons que la scission de la phrase n’est pas une opération grammaticale. Ce n’est non plus une différenciation logique. — Peut-on parler ici de la psychologie? Nous préférerions faire appel Ճ la psycho- physiologie. Il est naturel que toute tension ait son commencement et sa fin et qu’entre ces deux termes, elle soit répartie d’une façon inégale. La pensée linguistique se sert de cette donnée, et différencie aussi bien l’unité de communication que la courbe de la tension de telle sorte qu’à l’inégalité en importance des unités de sens correspond une inégalité en tension de la ligne phonique.
Il s’agit par conséquent d’un phénomène relevant du langage et non de certains types de langues Ճ l’exclusion des autres. C’est pourquoi nous n’avons point été surpris de la constater non seulement dans les langues indoeuropéennes, mais aussi en hongrois et en chinois. Des observations personnelles nous ont renseigné sur la distinction en chinois entre l’intonation tendue de la question (Sy w<3 mà, C’est moi?) et l’intonation relâchée de la réponse (äy wõ, C’est moi). Cela suffisait pour en conclure que la phrase énonciative en chinois aurait une structure analogue Ճ celle des autres langues que nous avons étudiées. L’expérience est venue confirmer notre déduction. En effet, l’intonation de la phrase A big fire broke out last night traduite en chinois et en japonais laissait facilement distinguer la même scission opposant la tension à la détente. Nous ne risquerions pas de préciser au moyen de quels procédés cette opposition est rendue en chinois, et quelle y est la part revenant au ton, Ճ l’intensité, a la durée, etc. Nous ne nous posons, non plus, cette question à propos d’aucune langue a l’exception du russe, craignant de transporter nos propres habitudes phonologiques dans les systèmes linguistiques dont la phonologie repose sur d’autres bases.13
Profitons de cette occasion pour rappeler encore une fois que ce qui nous intéresse ici, c’est la différenciation de l’intonation et non les moyens par lesquels elle est réalisée. Ces moyens doivent nécessairement varier d’une langue à l’autre, ils varient même d’un plan à l’autre d’un même système linguistique, quoique moins considérablement. Mais leur examen n’est pas l’objet des investigations que nous sommes en train de poursuivre ici.
Revenons de nouveau a la scission de la phrase pour essayer d’expliquer les rapports mutuels de ses deux parties.
L’intonation incitante de la première partie conditionne l’intonation « calmante » de la seconde. La première partie n’est pas complète en soi, et pour qu’un tout soit constitué, elle appelle la seconde partie. (Nous reparlerons dans la suite de cette première différenciation de la phrase, différenciation pour ainsi dire « quantitative », puisqu’elle peut être ramenée à l’opposition d’un tout avec la partie de ce tout.) Il s’ensuit que la seconde partie n’a de raison d’être qu’en tant que complément de la première. On ne peut pourtant point dire qu’elle soit « subordonnée » à la première: nos exemples montrent trop bien que cette notion n’a pas à intervenir ici. Avec plus de raison on la considérerait comme fonction de la première. En effet, c’est la première partie qui dans une certaine mesure détermine le caractère de l’intonation de l’autre, ainsi p. ex. le renforcement ou l’affaiblissement de la tension de la première entraînera des modifications dans l’intonation de la seconde. — Pour éviter des termes trop suggestifs, nous désignerons ces deux parties principales de la phrase simplement comme l’ascendante et la descendante et n’appliquerons plus ces qualificatifs à la distinction des deux types d’intonation.
Parlant du ton et de l’intensité au service de la phrase, nous avons entièrement passé sous silence le rôle de la durée. C’est que jusqu’à présent, et le phénomène de mi-cadence excepté, nous n’avons point vu cet élément fonctionner. Comme toujours, le problème qui se pose devant nous concerne non la durée des syllabes, mais le tempo relatif du débit des différentes unités de sens dans une même unité de communication.
Nous ne pensons pas que cet élément joue un rôle différentiel dans la scission de la phrase. Mais il paraît bien possible que la durée du débit de la « descendante » se règle sur celle de l’« ascendante », et que sous ce rapport une sorte d’équilibre tend à s’établir entre les deux, à moins qu’une trop grande disproportion en étendue entre les deux parties ne le rende pas impossible. En serait-il ainsi, quand même ce ne serait là qu’un fait concomitant, extraphonologique, tout comme l’est certaine modification du tempo à l’approche de la cadence que nous observons dans les phrases dont la descendante est très différenciée.
V.
Après la scission, la différenciation de la phrase peut se poursuivre dans les deux parties, bien que, généralement, la structure de l’ascendante soit plus compliquée que celle de la descendante.
La tension de la première partie aussi bien que la détente de la seconde vont souvent, l’une crescendo, l’autre decrescendo, d’une manière continue. Mais il arrive également que l’une ou l’autre, ou bien les deux soient brisées dans leur développement.
Nous savons déjà que le rattachement du membre précédent au membre suivant se fait au moyen d’un mouvement particulier de tension, dans quelque partie de la phrase que l’anti- cadence se produise; et nous savons également qu’il n’existe point de moyen direct de rattacher un membre de phrase au membre précédent. Des deux membres de phrase contigus, c’est le premier qui porte la marque de leur reliement (anticadence); le second ne manifeste d’aucune façon qu’il est rattaché à ce qui le précède. C’est pourquoi le commencement de la phrase ou du membre de phrase n’a pas de valeur phonologique, on peut dire que la phrase sort du néant. Ce n’est là qu’une manifestation du caractère « progressif » de l’intonation. — L’anti-cadence fait bien penser à une augmentation momentanée de la tension sur un point de la courbe de l’intonation, réclamant une détente sur le point suivant. Cependant, à la place de celle-là peut survenir une nouvelle anti-cadence retardant la détente attendue. C’est ce que nous observons précisément dans la phrase suivante: Я не понимаю I как вы | с вашей добротой I можете так поступать || и еще хвалиться этим. — 1 don’t see | how you| with all your goodness | can act like that II and be proud | of what you have done. — Cette phrase aura la même structure d’étapes de tension échelonnées ou graduées en français, italien, roumain, allemand, polonais, tchèque, hongrois, chinois et japonais comme nous l’avons pu vérifier.
La différenciation dont nous entreprenons ici un examen est naturellement une différenciation qualitative. Les oppositions qui en résultent ne se laissent pas ramener à l’opposition des notions de tout et de partie. Il s’agit maintenant de placer les unités de sens d’une unité de communication dans une perspective, suivant leur importance relative. Or, seuls les besoins de la « situation », dans le sens linguistique que nous avons donné à ce terme, servent de critérium pour l’estimation de cette importance.
La différenciation en question ne peut aboutir qu’à quatre catégories de rapports s’entrecroisant, que voici: la notion d’égalité recouvrant les rapports: Io d’identité (série ouverte) et de 2° contraste (série fermée) et la notion d’inégalité conduisant aux rapports: 3° de gradation (série ouverte) et 4° de contraste (série fermée).
Dans l’architecture d’un système, à ces oppositions catégorielles répondront les quatre espèces suivantes de rapports structuraux: Io symétrie (égalité contrastante), 2° asymétrie (contraste par inégalité), 3° répétition (série ouverte d’identités) et 4° gradation ou échelonnage (série ouverte d’inégalités).
Il s’agit maintenant de projeter sur une ligne les oppositions que nous venons d’établir en fonction de la surface.
Rappelons-nous encore ime fois que la phrase est une tension répartie sur une ligne et dont le mouvement ne connaît qu’une direction unique, ne pouvant pas revenir en arrière, puisque le caractère de l’intonation est, avons-nous dit, progressif. Les oppositions traduites par l’intonation auront nécessairement le caractère d’opposition du suivant au précédent, de ce qui est en train de s’actualiser à ce qui vient d’être actualisé, du présent au passé.
Or, nous allons constater que la différenciation de la phrase aboutit à l’opposition de quatre types d’intonation analogues aux quatre espèces de rapports que nous avons énumérés tout a l’heure. Nous les dénommons: Io intonation de symétrie, 2° intonation d’asymétrie, 3° intonation d’identité et 4° intonation de gradation. C’est à ces quatre éléments différemment combinés que se réduit l’intonation intellectuelle des phrases les plus variées et dans n’importe quelle langue.
Il va de soi que les oppositions catégorielles auxquelles remontent les quatre types d’intonation ne se présentent guère dans la langue sous une forme aussi pure. Le dialogue réel, en tant qu’ambiance de la phrase, se meut par les volitions et les émotions, et ne ressemble à rien aussi peu qu’à un enchaînement d’idées pures. La division spontanée d’une unité de communication aboutit souvent a la constitution d’« unités de sens » à peine ébauchées, aux contours estompés et dont les rapports entre elles offrent tout une gamme d’étapes de transition d’une catégorie qualificative a l’autre.
La plus importante de toutes est naturellement l’intonation symétrique qui oppose la partie ascendante a la partie descendante et domine toutes les autres différences éventuelles d’intonation dans la même phrase.
La symétrie est une opposition binaire dont les termes sont disposés de deux cCtés d’un axe, mais ne sont pas identiques, précisément à cause de leur répartition sur deux plans opposés. Ainsi les deux mains d’un même individu sont symétriques sans être identiques, et transportées sur un même plan, elles constitueraient une paire de termes contrastant par inégalité. On peut dire que les termes symétriques se répondent l’un comme réflexion de l’autre dans le plan opposé.
A peine perceptible dans les petites phrases du type de Волк cep, le rôle de l’intonation symétrique grandit à mesure que la phrase se complique (сотр. Si tout le monde se mettait à. étudier Il il n’y aurait personne pour labourer la terre) pour devenir enfin le puissant organisateur d’une pompeuse période oratoire d’unBossuet: (Monseigneur,) Celui qui règne dans les cieux I et de qui relèvent tous les empires | à qui seul appartient gloire I la majesté | et l’indépendance || est aussi e seul qui se glorifie de faire la loi aux rois | et de leur donner quand U lui plaît] de grandes et de terribles leçons.
L’auteur pousse son amour de la symétrie jusqu’à équilibrer parfaitement les deux parties de la phrase. Cela exige, à cause de la longueur et de la complexité de l’une et de l’autre, que le mot indépendance, formant le sommet phono logique de la phrase, soit prononcé sur un ton très élevé et très fort. Autrement, il est difficile, sinon impossible, de graduer la voix pour effectuer la descente d’une anti-cadence à l’autre. — C’est bien là ce style baroque: pompeux, symétrique et raisonné jusque dans ses escapades prévues et calculées d’avance.
Les deux sommets phonologiques sur l’opposition desquels repose l’intonation symétrique tendent à se rapprocher le plus possible pour n’être séparés que par la pause de la scission. Notons que la pause faisant partie de l’intonation ne constitue pas un élément autonome, mais compte dans la durée du débit du membre de phrase qui la suit. Théoriquement parlant, le sommet phonologique de la phrase se place immédiatement devant la pause de scission et, aussitôt que le point culminant de la tension est atteint, commence la détente, puisque la pause fait partie de la ligne descendante. Mais, pratiquement, la phrase est bicéphale, bien que le second sommet n’arrive pas à la hauteur du premier. Le rapprochement des deux sommets n’est pas toujours possible, puisque le mot portant l’accent logique peut se trouver éloigné de la pause de scission. C’est ce que nous observons précisément dans la phrase déjà citée: Я не понимаю как вы I с вашей добротой | може т e так поступать!! И еще хвалиться этим, Voici comment l’intonation remédie à cet inconvénient. Le mouvement montant de la courbe de l’intensite s arrête au mot можете, tandis que celui de la courbe du ton continue sa marche pour atteindre le point culminant sur le mot поступать. Et il en est de même pour la seconde partie օե la hauteur du ton se maintient au même niveau jusqu’à ce que l’intensité atteigne le second sommet de la phrase dans le mot хвалиться; depuis lors les deux courbes coïncident dans leur descente. Ainsi le point final de l’ascension et le point initial de la descente ne sont plus séparés que par la pause de la scission. Il paraît, de plus, très probable qu’à ces deux endroits de la tension օե l’intensité est affaiblie et l’acuité renforcée, le tempo est accéléré. Pour la conscience des sujets parlants, ce qui compte, ce n’est pas le dédoublement de chacun des deux sommets phono logiques en hauteur d’intensité et hauteur de ton, mais le fait que le point culminant de la tension est chaque fois situé dans les limites d’un seul membre de phrase.
Comparons à la phrase si magnifique de В о s suet les phrases suivantes: Каким-то дряхлым инвалидом глядел сей странный замок II длинный | длинный непомерно (Gogol) et Doutant qu’aucun profit revienne à l’homme de toute ki peine qu’il prend sous le soleil || il ne se donnait jamais aucun mal (A. France). L’équilibre parfait de la phrase oratoire n’y est plus, mais le caractère symétrique de l’intonation subsiste, puisqu’il ne tient qu’à l’opposition: « ligne ascendante — ligne descendante », la durée relative du débit des deux parties étant un fait secondaire. Ce caractère subsiste également, malgré l’incohérence apparente, dans la phrase réaliste et même naturaliste de L. Tolstoj (Histoire d’un cheval), si contrastante pourtant aussi bien avec la phrase baroque de Bossuet qu’avec la phrase romantique de Go g о 1 : Но вдруг, совершенно неожиданно и без всякой причины, Нестер, предполагая, может- быть, что слишком большая фамильярность может дать ложные о своем значении мысли пегому мерину, Нестер без всякого приготовления, оттолкнул от себя голову мерина || и,замахнувшись уздой, очень больно уларил мерина пряжкой узды по сухой ноге и, ничего не говоря, пошел на бугорок к пню, около которого он сиживал обыкновенно. — Soucieux de prendre le contre-pied des épigones du romantisme, L. Tolstoj opposait sciemment a leur phrase « facile » sa propre phrase embarrasée (»затрудненная фраза«) dont la « difficulté » principale réside précisément dans sa structure compliquée ne tenant pas suffisamment compte de la différenciation par l’intonation. Cette phrase est faite beaucoup plus pour les yeux que pour l’oreille, et cependant nous pouvons parvenir à y distinguer les deux sommets.
La phrase que nous analysons ne peut pas être lue d’un seul souffle, sans qu’on reprenne, et même plusieurs fois, la respiration. Mais, en observant attentivement un discours suivi,14 nous nous apercevons que les phrases n’y sont pas non plus juxtaposées; elles sont, tout comme les membres de phrase, enchaînées entre elles, et la phrase précédente, modifiant sa cadence, fait attendre une suite. La véritable cadence marquant le vrai terme ne vient conclure qu’un groupe de phrases formant une unité supérieure à la simple « unité de communication », substrat de la phrase. La « phrase » de L. Tolstoj relève précisément de cette unité supérieure de « groupe de phrases », mais sa ponctuation est défectueuse.
Nous choisissons volontiers des exemples littéraires. Les romanciers soit en écrivant, soit en déclamant (Gogol, tout comme Flaubert, déclamait de diverses façons la phrase avant de la fixer sur le papier), utilisent pour la construction de leur phrase les mêmes éléments que ceux qui nous sont fournis par l’intonation spontanée, tout en raffinant, subtilisant ou exagérant. C’est ce qui nous permet précisément d’en tirer des indications précieuses sur la valeur oppositive de différents types d’intonation.
Il ne faut pas croire que, lorsque nous avons à rendre une opposition logique dans les limites d’une seule partie de la phrase, nous le faisions au moyen de l’intonation symétrique. Celle-ci oppose toujours des termes disposés des deux côtés de la pause de scission. Ni la ligne ascendante, ni la ligne descendante ne peuvent se briser en deux mouvements contraires. Les figures suivantes
sont impossibles. — Я куклу одеваю || а сама все слушаю | какие страсти дьячиха рассказывает, seule cette différenciation-là est possible, à moins qu’on ne fonde dans un seul mouvement ascendant les deux premiers membres, abandonnant la distinction de leur opposition à la seule logique: Я куклу одеваю a сама все слушаю || какие страсти дьячиха рассказывает. Pour les mêmes raisons, le dicton: зацепил || поволок ^сорвалось || не спрашивай devrait s’écrire en deux phrases. Il va de soi que ces phrases sont unies par l’intonation et que la seconde représente une réplique affaiblie de la première.
En second lieu vient l’intonation graduée.
Nous en avons vu déjà un spéciment très caractéristique dans Я не понимаю I как вы | с вашей добротой |можете так поступать I |и еще хвалиться этим; Non capisco I come Lei | colla Sua bontà I possa agire in questo modo 11 e per giunta gloriarsene; Ja nie pojmujç | jak ty przy swojej dobroci|| moiesz tak poste- powaC 11 i jeszcze sie tem chwalic; Nechápu| jak vy | pfi vaãf do- brotë I mûZete takto jednat 11 a jeâtë se chválit; Ich kann es nicht begreifen| wie Sie | ein so guter Mensch| auf diese Art vorgehen Il und sich damit noch brttsten können, etc.
A l’exception de l’intonation symétrique, toutes les autres ne peuvent servir à différencier que le mouvement rectiligne, soit ascendant soit descendant.
Dans notre exemple, il s’agit de la disposition, dans la partie ascendante, des unités de sens qui ne sont ni contrastantes ni identiques, mais analogues. Le caractère rectiligne du mouvement n’a pas à souffrir de cette division en éléments échelonnés, puisque la tension y va toujours crescendo, ce qui garantit et renforce même son unité. Les sommets phonologiques des membres de phrase se suivent en montant toujours en intensité. Dans les trois premiers membres de la phrase russe, le sommet est situé immédiatement avant la pause, et il n’y a point d’anticadence, l’intervalle assumant sa fonction. Cela assure également une tension continue et toujours croissante du ton, lequel atteint, avons-nous vu, son maximum dans поступать.
Si nous essayons, dans le troisième membre, de déplacer l’accent logique vers le commencement (Я не понимаю I как вы I добрый такой всегда | можете так поступать || и еше хвалиться этии), nous constaterons le phénomène déjà connu du dédoublement du sommet phonologique; la courbe du ton continuera son ascension et le mot добрый sera prononcé sur un ton moins élevé que le mot всегда, à moins, bien entendu, qu’on y appuie pour arrêter la montée de la courbe tonale, ce qui rappellerait une intonation volitionnelle (com. Выбросить это вон! ). Notons également que le tempo dans добрый такой всегда est accéléré comme s’il s’agissait de réduire au minimum la distance séparant les deux cimes du même sommet phonologique. Rien n’empêche non plus que, sous l’influence d’une émotion, l’accent logique du quatrième membre, qui est en même temps l’accent logique de la phrase, ne vienne rejoindre l’accent tonal et que les deux ne se rencontrent dans поступать.
L’intonation de gradation peut également différencier la ligne descendante: la phrase de Bossuet en est un exemple. Il s’agit là plutôt d’une « dégradation »: le ton et l’intensité diminuant par degrés, mais de façon à maintenir la continuité du decrescendo par-dessus les anti-cadences.
Il n’y a pas d’autre « opposition » entre les membres d’une série graduée que, précisément, la différence d’intensité entre leurs sommets phonologiques, laquelle s’explique par leur position sur une ligne oblique (ascendante ou descendante) et non horizontale de la tension.
De l’examen auquel nous nous sommes livrés jusqu’ici, il se dégage l’impression qu’au point de vue phonologique, la structure de chaque membre de phrase cherche à concentrer le maximum de tension vers la fin, immédiatement avant la pause appartenant, nous le savons, à la structure du membre de phrase suivant. Une concentration de tension immédiatement après la pause est difficile à obtenir, car cela exige une préparation, un « élan »; nous la rencontrons le plus souvent dans les phrases non-intellectuelles. Cette tendance à placer le sommet de la tension vers la fin ne peut rester sans influence sur l’ordre des mots dans chaque unité de sens et dans l’unité de communication. Là où cela n’est pas possible, le ton, qui est plus indépendant de notre intellect que l’intensité, continue son ascension jusqu’à la dernière syllabe accentuée du membre de phrase en question, après quoi commence 1’anti-cadence, ce phénomène phonologique caractérisant la fin de membre de phrase. Et il est probable que le dédoublement du sommet phonologique est précisément provoqué par la nécessité de réaliser l’anti-cadence. Mais ce phénomène n’a pas lieu chaque fois que le sommet phonologique se trouve immédiatement avant la pause; il est aussi à peine perceptible là où la distance qui les sépare est trop petite. Si le sommet phonologique est situé vers la fin du membre de phrase, un second accent d’intensité, plus faible celui-là, se développe vers le commencement, et il peut servir de point de repère, si la différenciation se poursuit à l’intérieur de cette unité de sens. Ainsi dans la phrase citée de L, Tolstoj , nous distinguons facilement cet accent secondaire: оттолкнул от себя голову мерина ou bien очень больно ударил мерина пряжкой узды ПО сух ОЙ ноге, et ce dernier membre de phrase peut de nouveau se décomposer en deux sous-unités, chacune pivotant autour de son accent, de la manière suivante: очень больно ударил мерина I пряжкой узды по сухой ноге; on peut continuer ainsi jusqu’à ce que nous soyons arrêtés par les frontières du mot. Les limites de la marche de la différenciation de la phrase ne sont pas objectivement fixées: livrée à elle seule, l’analyse intellectuelle, passant d’un plan du langage à l’autre, réduirait tout en poussière. Or, la faculté opposée, celle de synthèse, empêche l’activité destructrice de l’analyse et procède à l’intégration, en fonction de la situation. C’est ainsi que la différenciation par l’intonation s’arrête aux frontières de ces unités complexes que sont les unités de sens; cependant nous apercevons par-delà ces frontières-là les contours de nouvelles structures servant de soubassement à la phonologie du membre de phrase. La tension de la phrase superposée, pour ainsi dire, aux structures phonologiques des mots, empêche leurs sommets, qui sont en russe ceux d’intensité, de percer la ligne de l’intonation, mais non de sentir leur présence tout le long de la phrase. Il est bien possible qu’il y ait un certain rythme à deux temps dans la répartition de la tension par-dessus les cimes des mots ne portant pas d’accent logique, ainsi que par-dessus les sommets des membres de phrase et les deux sommets de la phrase entière. Cela paraît d’autant plus probable que nous avons déjà constaté des modifications du tempo du débit réglant les distances entre les sommets phonologiques. — Tels sont, à notre avis, quelques uns des traits caractéristiques de la phonologie du membre de phrase.
A l’idée d’identité correspond naturellement la reproduction exacte du membre de phrase précédent. Cette espèce de différenciation ne peut viser ni la ligne ascendante ni la ligne descendante, puisque, disposés sur une ligne oblique, deux membres contigus seront nécessairement différents par le degré de la tension. L’intonation d’identité ne peut par conséquent se développer que sur une ligne ou plan horizontal. Interrompu momentanément, le mouvement ascendant ou descendant reprendra sa marche aussitôt la série d’identités finie.
La forme la plus pure de l’intonation d’identité est une énu- mération օե tous les membres de la série’reproduisent exactement l’intonation du premier membre. Exemples: Мелькают мимо I будки I бабы | мальчишки | лавки| фонари | дворцы | сады| монастыри I .. .балконы | львы н а вор от áx 11 и стаи галок на крестах (Puäkin). — Il songeait au déshonneur | aux chuchote - ments dans les cercles?]? aux rires dans les salons | au mépris des femmes | aux allusions des journaux 11 aux insultes que lui jetteraient les lâches (G. de Maupassant). — Zmatek na ulici byl Ú2asny 11 hemgilo se to vojskem | upr chlfky | zvf?aty| vozy| dëly, etc.
Il va de soi que les caractères de cette intonation doivent être très saillants pour être facilement reproduits plusieurs fois de suite et reconnus pour identiques. En russe, elle se caractérise par des accents d’intensité forts, frappant rubato et se répétant uniformément tout le long de la série dont les membres sont séparés par des pauses uniformes, elles aussi. La durée des membres est égalisée par les modifications du tempo. De légères anti-cadences sont observées à la fin de chaque membre. Enfin, l’intonation du premier membre fixée par sa position sur la ligne de la phrase est reproduite par tous les autres à l’exception du dernier dont l’intonation est elle-aussi déterminée par sa position; ce qui peut avoir également des conséquences pour l’intonation de l’avant-dernier membre.
Dans la première phrase, le dernier membre amène la cadence et doit par conséquent se trouver de l’autre côté de la scission, son intonation est donc celle de la descendante. Il en résulte que le membre précédent doit reprendre l’ascension interrompue après le mot будки, et c’est lui qui représentera le sommet de la phrase. Il en est à peu près de même quant à la phrase française, mais l’intonation de la phrase tchèque est différente parce que la série d’identités y est placée Ճ la fin de la partie descendante. On serait tenté de représenter l’intonation de ces phrases par les schémas très grossiers que voici:
Ces dessins, malgré toute leur imperfection, laissent mieux comprendre que l’intonation d’identité ne peut se réaliser que dans une série; la présence de deux et même trois unités de sens, identiques au point de vue de la logique, ne suffit pas toujours. Car l’intonation du premier membre sera déterminée par sa position dans la phrase et la même chose peut arriver aux deux derniers membres. Ainsi, si nous réduisons notre première phrase à une série de trois membres, nous obtiendrons: Мелькают мимо будки I львы на воротахЦ и стаи галок на крестах, c’est-à-dire une intonation graduée disposée dans la partie ascendante. De même: Il ne remuait plus | il ne relevait pas les yeux I И ne faisait pas un geste || il lisait | entréfdisparu tout entier dans j’aventure du livre (G. de Maupassant). — Voilà des preuves nouvelles que l’intonation de la phrase n’a rien à voir avec la logique.
Au dernier type d’intonation nous avons donné le nom d’intonation d’asymétrie que nous tâcherons de justifier. Pour le moment appelons-le intonation neutre; car telle est l’impression qu’elle fait aussi bien sur l’oreille européenne que sur l’oreille chinoise. Son rôle dans l’économie de la phrase est extrêmement important. C’est au moyen d’elle que des deux unités de sens contiguës, la prejnière, quel que soit son type d’intonation, peut être mise en relief aux dépens de l’autre, reléguée au second plan. Le membre de phrase à intonation neutre est si caractéristique et nous aurons tant à parler de lui, qu’il faut lui donner un nom. Au risque de confondre les faits relevant de deux ordres différents (v. le chap. VI), nous l’appellerons enclave ou incise. Or, le cas extrême de l’enclave est la parenthèse, et pour faire le mieux ressortir les particularités de l’intonation neutre, nous prendrons une phrase avec une parenthèse intercalée au milieu.
Une enclave est prononcée sur un ton neutre, contrastant avec tous les autres types d’intonation. En russe, cet effet est obtenu par la « décoloration » de l’intonation: le ton baisse, l’intensité faiblit, le tempo est rapide, et ces caractères semblent être maintenus d’une facon uniforme sur toute l’étendue de l’enclave. Deux pauses la séparent du reste de la phrase. L’anticadence devant lui rattacher le membre suivant est à peine sentie, d’autant plus qu’elle est suivie d’une pause assez longue. Dans le cas où une autre enclave vient s’opposer à la première, le ton, l’intensité et le tempo de la nouvelle accusent encore plus leurs caractères « neutres ». Ainsi p. ex. chez A. Remizov nous trouvons un beau spécimen de double parenthèse: »Павел« говорил мой покойный отец |_рассказывает покойный повесть своей жизни J | »Павел | учись играть на трубе|| толк из тебявыйдет« (Северные Афины). La seconde parenthèse mise entre les doubles crochets |_ J est prononcée sur un ton plus bas que la première, d’un tempo encore plus accéléré et avec une intensité encore plus affaiblie. Notons en passant que, puisque la tension de la phrase, déclanchée par le premier mot Павел, n’est déjà plus sentie au moment où l’on finit avec la seconde parenthèse, force nous est de reprendre ce mot. Nous laissons de côté toutes ces questions pour ne pas nous embarrasser ici de détails.
En revenant au premier exemple pour observer son intonation, on serait porté à dire que l’enclave ne participe pas à la tension de la phrase et en pourrait être facilement éliminée. Dans notre phrase, elle est intercalée justement entre les deux sommets. Mais c’est précisément le caractère neutre de son intonation qui fait que l’unité de la phrase n’en souffre point et que les deux moitiés de la courbe se rejoignent par-dessus l’enclave. Il ne faut point croire que notre phrase se divise en trois parties, au lieu de deux. Cela ne serait possible que si l’enclave se reliait à ce qui la précède et à ce qui la suit, ou bien s’en détachait, avec la même force. Or ce n’est pas le cas. Sa propre anti-cadence étant à peine sentie, le lien entre elle et ce qui la suit est tout à fait faible, et pour cette raison, l’anti-cadence du membre précédent exerce une force d’attraction très grande et sur l’enclave et, par-dessus elle, sur le membre de phrase qui la suit et qu’elle est trop faible pour retenir à elle seule.
L’intonation neutre s’oppose à tous les autres types d’intonation sans s’opposer d’une manière particulière à aucun et sans qu’il y ait aucun caractère commun aux autres intonations avec lequel elle contrasterait. Elle est indifférente, négative. Avec le membre de phrase précédent qui se l’associe, elle fait un couple de termes contrastant par inégalité. Etant progressive, l’intonation ne nous dit rien sur le passé, mais l’intonation neutre nous rappelle que ce qui la précède est plus important que l’unité de sens qu’elle traduit elle-même.
C’est pour ces raisons-là que le couple dont elle est le second terme fait penser à quelque chose d’asymétrique.
L’emploi de l’intonation neutre est très varié. En voici quelques spécimens: В то же время | был выгнан из училища | за глупость или другую вину | бедный учи те л ь| | любитель тишины| и похвального поведения (Gogol). — Два молодых человека || один гимназист |_кажется племянники крестясь I выходили из комнаты (L. Tolstoj). — Lorsqu’ils franchirent | un peu inquiets encore | la porte de la ville || le commandant de Carmelin | l’oeil sournois et la moustache en l’air I vint lui-même | les reconnaître et les interroger (G. de Maupassant). — Ils y demeurèrent |[ c6te à côte | sans lumière I sur un canapé de velours vert || trop effrayés | pour songer à dormir (G. de Maupassant). — Vous aurez à vous prononcer entre la haine et l’amour || ce qui se fait spontanément || non entre la vérité et l’erreur dont le discernement est impossible au faible esprit des hommes (A. France); etc. Une faute d’impression (une virgule omise) nous a fait un moment hésiter entre deux façons de différencier la phrase suivante: Шталь ПОМНИЛ еще I что внизу в сенях | когда они безшумно надевали шинели И черные | стоячие | расширявшиеся кверху часы I пробили один удар et Шталь помнил ещё]что внизу в сенях|| когда они бесшумно надевали шинели | чёрные |стоячие | расширявшиеся кверху | часы || пробили один удар (M. Aldanov).
Les langues sans flexion développée semblent se servir de l’intonation neutre beaucoup plus souvent que les autres langues oà les rapports de l’accord et de la rection mettent des entraves à l’« adjonction » (juxtaposition syntaxique) que cette intonation recouvre précisément. Сотр. p. ex. Elle partit au marché I le chapeau sur la tête | le panier au bras | le parapluie dans la main I et ne revint || que dans la nuit; Sie ging auf den Markt I ein Tuch um den Kopf gebunden | den Korb am Arme | und den Schirm in der Hand haltend || und kam erst spat abends zuruck; Она отправилась на базар |l в шляпке | с корзиной и зонтиком в руках J|h вернулась только ночью. Dans les phrases allemande et russe, l’intonation neutre n’est pas aussi nette qu’elle l’est dans la phrase française.
Il serait intéressant d’étudier les cas où des intonations différentes se disputent une même unité de sens ainsi que les intonations tantôt incertaines tantôt combinées qui en résultent. Il serait également curieux de voir en quoi consiste la différence entre l’intonation des gens du peuple et celle des gens cultivés, différence qui est parfois si frappante. Il faut croire que la différenciation de la phrase chez les premiers cherche beaucoup moins Ճ délimiter les unités de sens qu’à fixer des centres affectifs. En rapport avec cela, le rôle du ton et probablement celui du tempo y sont plus importants que le rôle de l’intensité.
On sait également que la tension de la phrase faiblit chaque fois que l’intonation se trouve être secondée par le vocabulaire ou la grammaire. Ainsi: он здесь? est intoné plus énergique- ment que КТО здесь?; notre exemple de série d’identités a une intonation plus énergique qu’une énumération: un, deux, trois, quatre, etc.; si dans la phrase Мать пошла на работу, а дети остались дома, nous supprimons la conjonction a, nous serons obligés de marquer plus fortement l’opposition des deux parties de la phrase; de même, et toutes conditions égales, une phrase exhortative est plus énergique si elle n’a pas la forme de l’impératif, etc.
Malheureusement, nous ne pouvons pas entreprendre ici l’étude de ces questions.
VI.
Le problème qui se pose maintenant devant nous est celui des rapports entre le plan lexicologique et le plan syntaxique. Dans une de ses parties, notre problème coi’ncide avec la question étudiée par M. A. PeSkovskij dans son mémoire intitulé Интонация и грамматика. Ses conclusions et les nôtres concordent sur certains points pour diverger sur d’autres.
S’il ne s’agissait que de répondre à la question de savoir si l’intonation dessert oui ou non la grammaire, notre tâche serait grandement simplifiée. De l’exposé précédent ne peut se déduire qu’une réponse négative. L’intonation semble simplement ignorer l’existence de la grammaire, tandis que celle-ci tient Ճ compter avec l’intonation.
Malheureusement, le problème des rapports entre les plans lexicologique et syntaxique est extrêmement compliqué et comprend tout une foule de questions subsidiaires ou connexes, sans la solution desquelles, nous ne pourrions pas avancer. Tandis que la question plus étroite des relations entre l’intonation et la grammaire se résout pour ainsi dire automatiquement et chemin faisant.
Ne pouvant pas aborder ici notre problème dans toute sa complexité, nous ne chercherons qu’a poser simplement quelques jalons sur la route qui conduit vers la solution.
Tout d’abord, quelques explications préliminaires au sujet des « plans » de la langue.
Le plan syntaxique est situé entre les plans morphologique et lexicologique. Dans sa partie voisine de la morphologie, il est constitué par les rapports syntagmatiques.15 Ceux-là sont de trois espèces, à savoir: accord, rection et adjonction. Nous appelons accord la réflexion des valeurs formelles (genre, nombre, cas, etc.) du T par le T’, ainsi l’adjectif russe est accordé avec son substantif; l’accord peut aboutir à un simple parallélisme dans le cas d’apposition. — Il y a rection quand les valeurs formelles du T’ sont modifiées sous l’influence du T sans refléter les valeurs de ce dernier; ainsi le substantif est régi par son verbe. Autant qu’il est possible de mesurer le degré de « dépendance » du T’ régi ou accordé, de son T, il paraît que l’accord correspond a un moindre degré de dépendance que la rection. — Enfin, l’adjonction (nous traduisons ainsi le terme de примы- кание introduit par M. A. Peäkovskij qui a été le premier a dégager ce phénomène) correspond à zéro d’accord et de rection; tels sont p. ex. les rapports de l’adverbe avec son verbe.
L’autre partie du même plan, regardant vers le plan lexicologique, est constituée par des rapports asyntagmatiques de coordination, de subordination et d’incise. En accord avec M. A. PeSkovskij, nous voyons dans l’opposition de la coordination à la subordination l’opposition des rapports de réversibilité (a : b = b : a) aux rapports d’irréversibilité (ji : b b : si). — Quant Ճ l’incise, c’est pour ainsi dire zéro de rapports de coordination et de subordination: c’est tout ce qui est parenthèse, incidente; p. ex. Lorsqu’ils franchirent, un peu inquiets encore, a porte de la ville, le commandant de Carmelin, l’oeil sournois et la moustache en l’air, vint lui-même les reconnaître et les interroger.
Passant au plan lexicologique, nous y constatons également deux ordres de rapports. Ainsi, dans la partie proche du plan syntaxique, nous découvrons les rapports: (I, oppositions binaires:) symétrie et asymétrie; (II, séries ouvertes:) identité et gradation. On peut voir dans ces rapports-là résultats d’une différenciation qualitative.
La partie extérieure du plan lexicologique ne connaît que les rapports entre tout, partie et ce qui n’est ni l’un ni l’autre, enclave. Il s’agit là des résultats d’une différenciation plutôt quantitative.
Ainsi les deux plans « conceptuels » de la langue se subdivisent chacun en deux ordres; de là quatre espèces de rapports: syntagmatiques, asyntagmatiques, qualitatifs, quantitatifs.
En passant en revue ces quatre ordres de rapports nous constatons qu’ils se succèdent de telle manière que l’ordre suivant emboîte l’ordre précédent. L’ordre des faits les plus concrets est celui des rapports syntagmatiques qui aboutissent à la constitution des catégories grammaticales ou « parties du discours » (substantif, verbe, adjectif, adverbe). Il s’emboîte dans l’ordre des rapports asyntagmatiques de nature plutôt logique et qui créent les unités (subordonnée, subordonnante, coordonnée) plus larges que les catégories grammaticales. Vient ensuite la différenciation qualitative emboîtant les rapports de réversibilité et d’irréversibilité et établissant dans une unité de communication des sous-unités différant en importance: équipollence symétrique (a : b) ou identique (a. : b : с . . .) et non-équipollence symétrique (a : -a) ou progressive (aj : &? : a3. . . ). Enfin, l’ordre des rapports les plus abstraits vient emboîter l’ordre précédent. Dans celui-là nous ne retrouvons que la division plutôt quantitative de la ligne de la tension en fonction des rapports entre tout, partie et enclave.
De cet examen rapide il s’ensuit que l’intonation ne peut pas desservir la grammaire: les éléments résultant de la différenciation syntagmatique et même ceux qui résultent de la différenciation a syntagmatique ne sont pas identiques aux unités d’aucun des deux ordres du plan lexicologique.
Cela ne veut aucunement dire qu’il n’existe pas de relations entre les quatre ordres des rapports linguistiques. Nous sommes parfaitement d’accord avec M. Alb. Sechehaye lorsqu’il dit: « Il se peut qu’en réalité l’emboîtement n’existe jamais que dans l’abstraction, et que tout phénomène concret ressortisse à tous les ordres à la fois, de telle sorte qu’on n’atteindrait à la connaissance complète d’un phénomène quelconque — pour autant que la science peut y atteindre — qu’en traversant toute la série des ordres successifs. >>16 Une excellente illustration de cette pensée nous est fournie par le mot, lequel relève des plans phonologique, morphologique, syntaxique et lexicologique tout à la fois, et ne peut être compris qu’examiné « Ճ travers toute la série des ordres successifs » de la langue.
Essayons d’appliquer la même méthode à la résolution de notre problème. Examinons ce phénomène qui est des plus simples et que nous appelons enclave, afin de voir ce qui lui correspond dans les autres ordres de rapports.
L’enclave est, avons-nous dit, ce qui est extérieur au tout et ne peut se trouver dans le tout qu’intercalé. Dans l’ordre suivant, nous trouvons les rapports de non-équipollence asymétrique qui se traduisent phoniquement par l’intonation neutre ou asymétrique. Ensuite, l’incise (parenthèse, incidente), dans ses rapports avec le terme auquel elle est associée, se recouvre entièrement par la notion de couple asymétrique. La réciproque n’est pourtant pas vraie. Nous trouvons des termes subordonnés prononcés avec une intonation neutre. Ainsi Я сам зайду к тебе || Il en est exactement de même pour les autres rapports syntaxiques quant à leur relation avec l’intonation. Mais il ne nous est pas possible d’en entreprendre ici un examen systématique.
L’intonation n’a rien à voir avec la grammaire17 parce que les rapports dans les ordres emboîtants, et pour ainsi dire « superposés » aux ordres emboîtés, sont de nature plus générale. Les faits plus ou moins concrets relevant des ordres « inférieurs » passent, pour nous servir d’une image, à travers les mailles larges du réseau des rapports abstraits. Cependant, les unités appartenant aux ordres emboîtés tendent à s’identifier avec celles des ordres emboîtants et s’approprier les signes distinctifs de ces derniers. (On dirait un tableau de la société humaine trouvé là oîi l’on s’y attendait le moins.) Leurs efforts semblent rester vains. Il y a beaucoup plus de raisons de croire que tout en admettant certaine réciprocité de relations entre les ordres emboîtés et les ordres emboîtants, ce sont surtout ces derniers qui agissent sur les premiers. Il est de beaucoup plus probable que ce soit l’intonation qui exerce une influence sur la grammaire que le vice-ver sa.18 La grammaire, l’asyntagmatie d’abord, la syntagmatie ensuite, vient intellectualiser et cristalliser les résultats de la différenciation opérée par notre pensée prise dans son intégrité, c’est-à-dire avec ses réactions affectives et voli- tionnelles, en fonction de la réalité du dialogue.
Est-il nécessaire d’énumérer toutes les tentatives de la grammaire de s’emparer de l’intonation? — On cherche à disposer le T absolu (ou « sujet ») et le T’ prédicatif de telle sorte que l’opposition symétrique de l’ascendante à la descendante corresponde à l’opposition du groupe du T absolu au groupe du T’ prédicatif. Mais voici la réalité: A la maison || nous n’avons trouvé personne ou bien »Я вернусь завтра«|| говорил мой брат уезжая. On croirait que la coordination et la subordination auraient le droit chacune à une intonation particulière. Or, nous n’avons pas trouvé d’intonations de coordination ni de subordination. Les rapports de réversibilité supposent une intonation dont les deux extrémités puissent changer de place. Mais cela n’est pas possible à cause du caractère progressif de l’intonation. Seule l’intonation d’identité ou d’énumération peut dans certains cas faire l’affaire de la coordination. Ce n’est pas beaucoup. Etant toujours irréversibles, les rapports d’intonation ne sauraient non plus être utilisés par la subordination pour la faire distinguer de la coordination. — Et que dire des rapports d’accord et de rection, sinon que l’intonation de phrase ne doit pas même soupçonner leur existence?
Nous voici amenés à la dernière question que nous pourrons essayer de résoudre dans cette étude.
Les mots, existent-ils aux yeux de la phrase? Quel est leur traitement dans le plan lexicologique? Et par la solution de ces problèmes-là nous répondrons également à la question subsidiaire de savoir si c’est effectivement la phrase qui est le principe constitutif du plan lexicologique.
Qu’est-ce que c’est que le mot?
Dans le premier ordre du plan phonologique, ce n’est qu’une suite de timbres différents; mais dans le second ordre du même plan, c’est déjà une structure, un groupement organisé de syllabes. — Passons au plan morphologique. Le mot nous apparaît tout d’abord comme une suite de morphèmes, ce terme étant pris dans son sens le plus large. Ensuite nous y distinguons deux espèces de valeurs, à savoir valeurs concrètes (sémantiques) et valeurs formelles (grammaticales), les seconds encadrant et organisant les premières. La syntagmatie (premier ordre du plan syntaxique) procède à l’intégration des valeurs formelles les distribuant en quatre catégories se trouvant entre eux en rapports de T à T’, et le mot s’y présente comme relevant d’une catégorie, il est une partie du discours. Les rapports syntagmatiques pénètrent pour ainsi dire à l’intérieur du mot mais pour organiser et non pour détruire son unité en tant que structure de valeurs (resp. « significations partielles »). Les rapports asyntagmatiques passent par-dessus le mot, et la structure intérieure du mot n’intéresse guère cet ordre de rapports qui opère avec des éléments d’autres espèces (subordonnées, subordonnantes, coordonnées, incises) englobant le plus souvent de groupes de mots.
Parvenu jusqu’au plan lexicologique, le mot est aussitôt entraîné par le courant de la phrase. Il n’est plus qu’un bloc ou même parcelle d’un bloc parmi d’autres blocs qui n’ont d’individuel que des contours façonnés par l’intonation sur quelques patrons peu variés. Ce ne sont plus des mots, ce ne sont même plus des unités asyntagmatiques, ce sont des « membres de phrase » censés correspondre aux « unités de sens ». La marche de ce processus de « blocage » ou lexicalisation devient encore plus irrésistible, quand nous arrivons à l’ordre des rapports pour lesquels il n’existe qu’un tout, une partie et une enclave. C’est en fonction de ces deux ordres « supérieurs », օե rien ne s’intéresse au mot, à son « passé », à la façon dont il a été formé, à la position qu’il a occupée dans les plans « inférieurs », — c’est en fonction de la phrase qu’il peut définitivement cesser d’être ce qu’il a été pour se transformer en une unité nouvelle ou une parcelle d’une unité plus grande. C’est dans ce plan dont les rapports ne pénètrent pas plus loin que la surface des membres de phrase, que ceux-là peuvent sans inconvénient se lexi- caliser et devenir des « blocs » de divers degrés de cohésion intérieure, et souvent si « opaques » que seul l’œil de la vision historique puisse (et encore!) discerner leur structure intérieure.
Disons en passant que ce sont les enclaves qui semblent se lexicaliser le plus facilement, toutes les langues pullulent de tous ces dit-il, paraît-il, tiens, грит (< говорит), мод, ей-Богу, слава-Богу ( слаубоУ ), вишь (< видишь), etc. Д arrive même de se lexicaliser à un « tout », ainsi Sauve qui peut! Deux conditions favorisent particulièrement la lexicalisation: l’influence d’une émotion forte, phénomène dont l’importance pour le langage a été mis en relief par M. Ch. В a 11 y, et le retour fréquent dans le dialogue d’une unité de sens chargée toujours du même rôle dans la phrase.
C’est pour ces raisons-là que nous appelons lexicologique le plan où règne la phrase.
VII.
Notre exposé serait par trop incomplet si nous passions sous silence la question des rapports de l’intonation avec ce principe du dualisme asymétrique du signe linguistique dont l’homonymie (c’est-à-dire transposition, et non homophonie) et la synonymie sont les manifestations. Car il s’agit de savoir si les phénomènes de l’intonation sont oui ou non des faits sémio- logiques. Or, tout signe linguistique vivant se caractérise, selon nous, par un dualisme asymétrique de sa structure, puisqu’il n’est autre chose qu’un croisement des rapports du général et du particulier. Dans un système sémiologique, tout croisement de rapports constitue un signe. Il s’ensuit que « toute signification que nous croyons avoir délimitée en la réalisant dans la phrase, n’est qu’un point de croisement d’une série idéologique avec une série psychologique. Elle est virtuellement un synonyme et un „homonyme”, tout à la fois ».”19
« Le signe et la signification ne se recouvrent pas entièrement, leurs limites ne coïncident pas dans tous les points: un même signe a plusieurs fonctions, une même signification s’exprime par plusieurs signes. Tout signe est virtuellement „homonyme” et „synonyme”, à la fois, c’est-à-dire qu’il est constitué par le croisement de ces deux séries de faits pensés. » « Le signifiant (phonique) et le signifié (fonction) glissent continuellement sur la „pente de la réalité”. Chacun „déborde” les cadres assignés pour lui par son partenaire: le signifiant cherche à avoir d’autres fonctions que sa fonction propre, le signifié cherche à s’exprimer par d’autres moyens que son signe. Ils sont asymétriques; accouplés, ils se trouvent dans un état d’équilibre instable. C’est grâce à ce dualisme asymétrique de la structure de ses signes qu’un système linguistique peut évoluer: la position „adéquate” du signe se déplaçant continuellement par suite d’adaptation aux exigences de la situation concrète. >>20
Les unités d’intonation que sont les membres de phrase et les phrases, satisfont-elles dans leur fonctionnement à ces conditions auxquelles, nous semble-t-il, doit satisfaire un signe linguistique vivant? Sont-elles, elles aussi, constituées par le croisement d’une ligne synonymique avec une ligne homonymique? Notre réponse est affirmative. Mais, faute de place, nous nous bornerons ici à quelques illustrations, sans aucun développement.
L’intonation de l’interrogation est une intonation tendue, de ton élevé; on se demande: la question, peut-elle s’exprimer autrement? Nous savons d’autre part que l’intonation tendue est employée pour l’expression de la question; mais a-t-elle aussi d’autres emplois? La réponse est bien simple. La question peut être exprimée p. ex. par les pronominaux spéciaux; dans ce cas, le caractère interrogatif de l’intonation faiblit et peut s’assourdir complètement; telle est p. ex. la question rapide, inquiète: час,который час? D’autre part, c’est aussi une intonation tendue, montante que celle de l’anti-cadence. Et n’y a-t-il pas quelque chose d’une interrogation dans l’expression de cet étonnement qui se laisse distinguer dans notre exemple: Я не nOHHMálO как ВЫ, etc. (Ich kann es nicht begreifen, wie Sie. . . ). — La présence de l’impératif fait faiblir le caractère exhortatif de ]intonation, mais celui-là subsiste tout de même. Tandis que dans Только взошли цветы,a мороз и ударь, օե la valeur de ‘/impératif est transposée, il n’y a point d’intonation exhortative. Par contre, n’importe quel mot peut rendre l’attitude volition- nelle et alors il se trouve être immédiatement revêtu de l’intonation exhortative. — L’intonation neutre sert à reléguer une unité de sens au second plan, mais précisément parce qu’elle est contrastante, elle peut très bien être employée à mettre en relief une idée originale; il ne s’agit que d’en ralentir le tempo.
Chaque déplacement du signifiant est accompagné de modifications dans sa structure, et il en est naturellement de même quant aux déplacements du signifié.21 Cependant, soucieuse d’intégrer autant que de différencier, notre pensée n’en tient point compte aussi longtemps que possible. Autrement, ni la synonymie ni l’homonymie ne seraient possibles, ce qui reviendrait à l’impossibilité de la dénomination et par conséquent du langage en général.
Ces observations rapides suffisent, pensons-nous, pour reconnaître aux phénomènes de l’intonation le caractère de faits sémio logique s. Or, un nouveau problème apparaît immédiatement devant nous qui est celui de la distinction entre les procédés vivants et les faits improductifs dans la phonologie de la phrase. Cependant, à l’état actuel de nos connaissances sur l’intonation, il est impossible d’y songer même.
En abordant le problème de la phonologie de la phrase nous nous engagions dans un domaine inexploré. Presque tout y est inconnu, à commencer par la phrase. Il y a quelque 25 ans, le P. J. van Ginneken parlait avec force ironie de « tous les idolâtres de la phrase que personne, linguistes et psychologues ensemble, ne peut définir >>.22 Il paraît que nous n’avons guère avancé depuis, car tout dernièrement encore M. A. Me ili e է écrivait: « à. vrai dire, la définition de la phrase ou de 1’„énoncé” est difficile à établir >>.23 Une autre difficulté fondamentale était l’intonation elle-même sur laquelle jusqu’à présent il a été dit peu de choses précises et utiles pour le linguiste. Il y avait enfin une circonstance qui rendait notre tâche particulièrement compliquée. Persuadés que nous sommes que c’est le tout qui explique les parties et non le vice-versa, nous avons dû situer et la phrase et la phonologie dans le système général de la langue et ne pas les considérer en elles-mêmes. Or, on sait conlbien éloignés nous sommes encore d’une vue synthétique de la langue. On voudra peut-être y trouver l’explication ainsi qu’une justification du caractère modeste des résultats auxquels nos recherchçs ont abouti.
P. S. — Ce dernier chapitre a été ajouté après coup pendant la lecture des épreuves des premiers six chapitres, et un mois après qu’ils ont été écrits. C’est dans cet intervalle seulement que nous avons connu la série de remarquables articles de M. M. Grammont publiée dans le Journal de psychologie ( 1929-1930). C’était un grand plaisir pour nous que de constater que ce que l’auteur y dit sur l’intonation de la phrase vient confirmer quelques unes des idées formulées dans ce mémoire.
Notes
1. Au sujet des « plans » de la langue, v. l’Introduction a notre Système du verbe russe (Prague, 1927), ainsi que notre réponse à la IIP ® question de l’enquête instituée par le Comité d’organisation du 2nt Congrès international de linguistes (Genève, 1931).
2. M. Albert Sechehaye a le premier appliqué systématiquement le principe d’emboîtement aux phénomènes du langage; v. Programme et méthode de la linguistique théorique (Paris — Leipzig — Genève?, 1908).
3. A.M. Пешковсвий, Русский синтаксис в научном освещении, 3me éd. (Moscou, 1928), p. 542.
4. Système du verbe russe, § 4 Actualisation.
5. Le langage et la vie (Paris, 1926), pp. 76-77; La pensée et la langue, BSL, ЮШ1ТГ922), p. 118 n. Io.
6. Outre les ouvrages déjà cités, nous avons surtout consulté les suivants: Ch. Bally, Traité de stylistique française, I, 2me éd. (Heidelberg, 1921); В. ή. ЬогородицкЯйГ “ПЩЧй курсь русской граммамики, Зе éd. (Kazan, 1913); Р. Якобсон, 0 чешском стихе, преимущ ественно в сопоставлении с русским (Moscou—Berlin, 1923); R. Jakobson, Remarques sur l’évolution phonologique du russe comparée à celle des autres langues slaves (Prague, 192ЧТ, Vile? m Math e~s i u s, Ziele und Aufgaben der vergleichenden Phonologie (Xenia Pragensia, Prague, русск. яз. и слов. Академии Наук: СССР, 1928, I, t. 2); J. van Ginneken, Principes de linguistique psychologique (Paris der Schallanalyse (Heidelberg, 1924); C. Svedelius, L’analyse du langage appliquée à la langue française (Upsala, 1897); M. Ve i n g a r t„ Etude ‘du langage parle suivi du point de vue musical avec considération particulière du tchéqueHfTravaux du Cercle linguistique de Prague, I, Prague”, 1929); P. Verrier, Essai sur les principes de la métrique anglaise, I (Paris, 1909); B. Всёволодский-Гернг£ГоСе, ТёСрия русской речевой интонации (S.-Pétersbourg, 1922); A. Meillet, Théorie du rythme et du ton en indo-européen (BSL. XXXI); N. Troubetzkoy, “Zur allgemeinen Theorie der phonologischen Vokalsysteme (Tra- vaux du Cercle, etc.); M. Gramm o n t, Eã psychologie et la phonétique (Journal de Psychologie, 1929—T.930); M. Gram- mont, Traité pratique de prononciation française (Paris, 1914) Otto Jespersen, LeUrbuch der Phonëtik, 3 éd. (Leipzig- Berlin, 1920); Edward S apir, Sound Patterns in Language (Language, vol. I, 1924); Olaf Broch, Slavischë Phonetik (Heidelberg, 1911).
7. Cours de linguistique générale, chap. II.
8. Saisissons cette occasion pour souligner ce fait que le timbre, en tant que notion linguistique, ne doit pas nécessairement coihcider sur tous les points avec le timbre du son empirique. Ainsi, dans le russe, la différence entre une consonne mouillée et une consonne « dure » est, au point de vue de la physique, celle de ton: n’ est articulé sur un ton plus élevé que n. Néanmoins, pour les sujets parlants, cette différence est sentie comme une différence qualitative, partant une différence de timbre, puisqu’elle ne peut pas être plus grande ou moins grande, comme c’est le cas des différences de durée, d’intensité ou d’acuité (hauteur du ton). On dira donc que chaque consonne russe possède deux variétés de timbre.
9. Nous adoptons le schéma de M. J. Lunde 11 (Lärobok i ryska språket, I (Stockholm, 1911), p. 11.
10. « La courbe de l’acuité correspond à peu près à celle de l’intensité. » P. Verrier, o. c. , p. 10. « L’intensité entraîne toujours avec elle la durée et souvent la hauteurj la réciproque n’est pas vraie. Mais souvent l’une de ces trois qualités tient la place d’une autre par compensation, et l’oreille est toujours assez mal habile à discerner exactement la part qui revient à chacune. » M. Grammont, Le vers français, ses moyens d’expression, son harmonie, 2° éd. (Paris 1913), p! 102. les cadres de cette unique syllabe qui s’allonge et se subdivise en deux mores dont l’une assume les fonctions du sommet phonologique. D’après M. V. Bogorodickij (?. c., p. 298), dans Волк cep, le dernier mot comprend l’intervalle ré-la bémol.
11.
12.
13. Le rapport de M. E. Polivano v, lu à la Réunion phonologique de Prague, mettait précisément en garde contre les dangers de ce genre qui guettent le linguiste Ճ tout instant. Nous ne citerons ici qu’un seul spécimen de cette perception subjective. Un Japonais identifie phonétiquement le mot drama à do r ama ou bien jur ama, car dans sa propre langue, il n’existe pas de groupes de consonnes. Mais combien ces dangers sont plus graves quand il s’agit de l’interprétation de phénomènes aussi délicats que ceux qui se rapportent a l’intonation d’une langue étrangère !
14. M. M. Weingart a parfaitement raison d’attirer l’attention sur ce point, dans son article.
15. La théorie de la syntagmatie est étudiée par nous dans l’Introduction au Système du verbe russe; elle est systématiquement appliquée à la grammaire russe dans Повторительный курс русского языка (1928) et, d’une façon plus élémentaire, dans Русский՜язык, I (1925).
16. Programme et méthode, etc., p. 63.
17. On voit par ce qui précède que, pour nous, la grammaire, c’est le domaine des rapports syntagmatique s et asyntagmatiques, et son synonyme est la syntaxe; tandis que le principe de la morphologie, c’est la projection sur la ligne phonique des résultats des différenciations syntaxique et sémantique ( « morphèmes » de toutes espèces).
18. On trouvera des idées analogues chez M. A. Se cheli aye, Essai sur la structure logique de la phrase (Paris, 1926).
19. Système du verbe russe, pp. 31 ss.
20. S. Karcevskij, Du dualisme asymétrique du signe linguistique (Travaux du Cercle linguistique de Prague,-T), pp. SS et 93.
21. Système du verbe russe, pp. 33 — 34.
22. Principes de linguistique psychologique, § 149.
23. BSL, XXXI (1931), fase. 3, p. 69.
*From Travaux du Cercle Linguistique de Prague, IV: 188- 227 (1931).
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